Avant les championnats d’Europe, Lisa Vaelen ne s’attendait pas du tout à monter sur le podium. © BELGA

Lisa Vaelen (gymnastique), des urgences à la médaille en un an: «J’ai eu plus de 40 de fièvre pendant quinze jours»

Lisa Vaelen a failli être écartée du sport de haut niveau après une longue bataille contre des infections. Elle est pourtant revenue, jusqu’à monter sur le podium des championnats d’Europe.

Le 30 mai, Lisa Vaelen a remporté la médaille de bronze du saut de cheval lors des Championnats d’Europe de gymnastique, à Leipzig. Deux jours plus tard , elle effectuait tranquillement son retour à l’entraînement. Bien que les examens approchent –elle étudie la podologie–, elle prend le temps de savourer son exploit.

«Ce moment était purement magique, dit-elle, les yeux encore pétillants. J’étais à ce point heureuse que j’avais l’impression d’évoluer dans un rêve. Avant les championnats d’Europe, je ne m’attendais pas du tout à monter sur le podium. Mais après ma deuxième place lors des qualifications, je savais que j’avais une chance, même si j’étais en stress total avant la finale. Mes jambes tremblaient. Le public soutenait à fond ma concurrente, ce qui a ajouté de la pression. Quand tout s’est passé comme prévu, j’ai eu l’impression que le travail de ces dernières années s’était concrétisé en un seul moment. Je me suis dit « voilà pourquoi je n’ai jamais abandonné ».»

Tout le monde aurait pourtant compris qu’elle abandonne. Après sa participation aux Jeux de Tokyo en 2021, de bonnes performances aux Championnats du monde de 2022 à Liverpool (onzième en finale du concours général, sixième en finale du saut) et une médaille de bronze aux Championnats d’Europe de 2023 à Antalya, Lisa Vaelen semblait sur la bonne voie pour atteindre les sommets de la gymnastique mondiale. Mais son système immunitaire a commencé à faiblir. La gymnaste a été terrassée pendant des mois par une forte fièvre et une série d’infections: oreillons, Covid, fièvre glandulaire, pneumonie, streptocoque… Alors qu’elle semblait enfin se rétablir, de nouveaux obstacles sont apparus lors de la préparation des Championnats d’Europe de Leipzig: elle est tombée sur le sacrum à l’entraînement et a à peine pu marcher pendant quinze jours, elle fut aussi renversée par un cycliste et, juste avant les qualifications, la fièvre est revenue…

«C’était devenu de la survie: continuer quoi qu’il arrive.»

Comment avez-vous appréhendé ces événements, après tout ce que vous aviez déjà vécu auparavant?

Ma stratégie consiste à rester calme et à accepter ce que je ne peux pas changer. Si on se fixe trop sur chaque échec, on n’y arrivera pas. Au début, j’étais très frustrée par chaque nouvelle infection, mais cela ne faisait que me rendre plus malheureuse. Aujourd’hui, je me concentre sur ce que je peux contrôler.

Quel a été le moment le plus difficile pendant cette période?

Quelques semaines avant les Mondiaux d’Anvers (NDLR: en octobre 2023), on m’a dit que j’avais une fièvre glandulaire. Je suis restée au lit pendant quinze jours avec plus de 40 °C. J’étais une épave. Mes muscles fondaient à l’œil nu car je ne faisais rien et je mangeais à peine. J’avais n tel sentiment d’impuissance! Je savais que les Mondiaux étaient compromis alors qu’en équipe, nous devions nous qualifier pour les Jeux olympiques de Paris. J’avais l’impression de laisser tomber les autres. J’ai pleuré pendant une semaine, surtout parce que je savais que ça prendrait beaucoup de temps. Une série d’infections a suivi, mais j’avais tellement l’habitude d’être malade que ça n’a presque rien changé. J’étais au stade de la survie: il fallait continuer quoi qu’il arrive.

Vous avez dû vous rendre plusieurs fois aux urgences à cause de ces fortes fièvres. Avez-vous paniqué à ce moment-là?

C’était difficile, surtout pour ma maman. Je suis fille unique et, en tant que prématurée, j’ai été hospitalisée à plusieurs reprises. Pour moi, c’était devenu presque normal, puisque ça arrivait très souvent, mais ma mère était morte d’inquiétude. Elle se sentait impuissante, d’autant que les médecins ne trouvaient souvent rien.

N’était-ce pas frustrant?

Très frustrant. Un médecin me disait que je n’avais rien d’anormal, alors que je sentais mon corps complètement épuisé. Une fois, j’ai passé des heures aux urgences et un docteur m’a demandé: «Pourquoi êtes-vous ici?» J’ai eu envie de répondre: «Vous êtes sérieux? J’ai de la fièvre depuis des semaines!» Parfois, j’ai même douté de moi, je me suis demandé si c’était dans ma tête. Mais quand votre thermomètre affiche 38 degrés et qu’en fait, ça vous rassure tant la température monte régulièrement bien plus haut, vous savez que quelque chose ne va pas.

Manquer les JO de Paris a été un coup dur?

C’était difficile. Je les ai regardés à la télévision en me disant que j’étais si près du but… J’ai pleuré, car j’avais l’impression que tout mon travail n’avait servi à rien. C’était un mélange de frustration, de tristesse et de deuil pour ce qui aurait pu être le plus grand moment de ma carrière. D’un autre côté, c’était aussi motivant. J’ai encouragé Nina Derwael, Maellyse Brassart et les garçons, et je me suis dit que dans quatre ans, à Los Angeles,  je voulais être là aussi.

Avez-vous parfois été à deux doigts de tout abandonner?

Cette question m’a souvent hantée. Le plus dur, c’était l’incertitude: mon corps serait-il un jour capable de supporter ce qu’il avait l’habitude de faire? Je pouvais à peine marcher, encore moins sauter. Mais je me suis dit: «Lisa, tu ne peux t’arrêter que si tu es en bonne santé et que tu n’aimes plus faire de la gym, pas parce que tu es malade.» Cela m’a donné une raison de m’accrocher. Lorsque je suis montée sur le podium à Leipzig, j’ai su que c’était pour ça que je faisais ce sport.

Cette médaille était-elle aussi une revanche sur ceux qui ne croyaient plus en vous?

Avec Stefan (NDLR: Deckx, expert en performance de la Fédération de gymnastique), j’en avais rigolé avant: chaque médaille est un doigt d’honneur symbolique à ceux qui ne croyaient plus en moi. Mais ce n’était pas ma motivation. J’ai mené cette bataille principalement pour moi et pour les personnes qui ont toujours cru en moi.

Quel rôle ont joué vos entraîneurs Edwin Zegers et Valerie Van Cauwenberghe dans votre rétablissement?

Ils m’ont soutenue inconditionnellement. Edwin et Valerie m’ont redonné confiance alors que je l’avais moi-même perdue. Juste avant la finale des Championnats d’Europe, Valérie m’a dit: «Lisa, tu peux le faire. Profites-en.» C’est ce que j’ai fait, malgré les jambes tremblantes et le stress, et j’ai obtenu des résultats. L’étreinte qui a suivi a été intense.

Une fille «positive, motivée et plus résistante que jamais». © BELGA

Stefan Deckx et le physiothérapeute Thibau Dierickx ont également joué un rôle important.

Ils ont été les chaînons manquants de mon rétablissement physique. Ils se sont parfaitement complétés grâce à leurs connaissances. Ils coordonnent méticuleusement les entraînements et les moments de repos. Ils analysent les vidéos de mes sauts et donnent leur avis sur ma posture. Je dois également leur apporter moi-même beaucoup d’informations. Je trouve cela fascinant: poser des questions, comprendre pourquoi quelque chose fonctionne ou non. J’ai l’impression d’être au volant et qu’ils sont mon GPS.

Votre compagnon a-t-il également été d’un grand soutien?

Inias a eu une fièvre glandulaire lorsqu’il était enfant, il savait donc ce qu’on ressent. Il est resté près de moi dans mon lit pendant que j’étais malade. Il ne pouvait pas faire grand-chose d’autre que d’être là et d’écouter mes plaintes (rires). Cela a renforcé notre relation. Cela montre à quel point on s’aime, même dans les pires moments.

Vous avez travaillé en étroite collaboration avec Nina Derwael. Son retour vous a-t-il inspiré?

Il est difficile de comparer nos situations. Elle avait une trajectoire de rééducation plus claire après son opération à l’épaule. Dans mon cas, les infections étaient beaucoup plus imprévisibles. Mais c’est agréable d’avoir quelqu’un qui comprend ce que vous traversez. Nous sommes toutes les deux motivées et perfectionnistes, et nous nous tempérons l’une l’autre.

Qu’est-ce qui vous plaît dans la gymnastique pour vous battre à ce point pour elle?

Elle procure un sentiment de liberté inégalé. Flotter dans les airs est magique, presque addictif. Peu de gens peuvent faire ce que je fais. Cette prise de conscience me motive à continuer à en profiter aussi longtemps que mon corps le permettra. La gymnastique est mon premier amour, depuis mon plus jeune âge. Pourtant, il s’agit parfois d’une relation amour-haine. Il y a des jours où je me demande pourquoi je dois aller dans cette salle puante alors qu’il fait beau dehors. Mais les beaux moments, comme lors des championnats d’Europe, compensent tout.

Une minitumeur bénigne a été découverte au début de l’année sur votre hypophyse, une glande productrice d’hormones située dans le cerveau. Cela explique-t-il vos problèmes de santé?

On ne sait pas si elle a toujours été là ou si elle est à l’origine de mes symptômes. Je dois me rendre à des examens annuels et je suis surveillée de très près. Cela me rassure de savoir qu’il y a peut-être une explication, même si nous n’en aurons jamais la certitude. Je préfère me concentrer sur ce que je peux contrôler: mon entraînement, ma récupération et mon état d’esprit.

Comment êtes-vous sortie de ce cercle vicieux d’infections?

En réapprenant à sentir mon corps et à écouter ses signaux. Stefan et Thibau ont mis en place un système de code couleur: vert, c’est bon, orange, c’est stop. De cette façon, j’évite de retomber dans le rouge. Avant, je me contentais de m’entraîner et de forcer mon corps, ce qui affectait encore plus mon faible système immunitaire. Aujourd’hui, je freine à temps lorsque mon corps proteste.

«Flotter dans les airs est magique, presque addictif. Peu de gens peuvent faire ce que je fais.»

Vous entraînez-vous différemment, à présent?

Oui. Stefan estime que je n’ai plus besoin de faire de musculation lourde, parce que je suis naturellement très explosive. La gymnastique elle-même est un stimulus d’entraînement suffisant. Nous avons même réduit un peu ma masse musculaire. Je me concentre principalement sur l’explosivité, la mobilité des hanches et la flexibilité. Cela fonctionne et je me sens beaucoup moins fatiguée.

Vous disiez tout à l’heure être perfectionniste. Cela a-t-il changé?

C’est une bénédiction et une malédiction. Cela m’a permis d’aller loin dans ma carrière, mais je suis parfois trop dure avec moi-même. Mon équipe doit alors me rappeler le chemin parcouru. Me dire qu’il y a un an, j’étais encore aux urgences. Cela m’aide lorsqu’une séance d’entraînement ne se déroule pas comme je l’aurais souhaité. J’ai dû lutter pour accepter ce que mon corps peut supporter, mais je suis en paix avec cela.

Qui êtes-vous aujourd’hui?

Une fille positive, motivée, plus résistante qu’avant. Je relativise plus rapidement, je ne me laisse pas autant perturber. Je suis fière de la façon dont j’ai traversé ces deux dernières années, j’ose me battre pour mes rêves.

Quels sont ces rêves?

Les Jeux olympiques de Los Angeles en 2028. Je me concentre d’abord sur l’Universiade de cet été et sur les Championnats du monde de Jakarta, en automne. Aux Championnats d’Europe, je n’étais pas encore au sommet de ma forme, mais j’apprends de nouvelles choses. C’est passionnant, car j’évalue maintenant les risques de manière plus consciente. Enfant, je faisais tout sans réfléchir, aujourd’hui je suis plus prudente. Avec mon psychologue, je travaille à surmonter cette peur.

Une médaille de bronze au saut aux Championnats d’Europe, sans être au top de votre forme, ça donne quelles perspectives pour les Championnats du monde ou les Jeux de Los Angeles?

Le podium est un rêve. Mais avec des concurrentes du calibre de Simone Biles et Rebeca Andrade, deux médailles sont normalement déjà acquises. Une finale est plus réaliste. Mais le plus important est de toute façon ailleurs: atteindre mon meilleur niveau et apprécier le chemin qui y mène.

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