L’HOMMAGE AU KETJE

Bruno Govers

Ancien Daringman, l’entraîneur mythique a désormais sa tribune au stade Edmond Machtens.

Le hasard, qui fait souvent bien les choses, aura voulu que quatre jours après le premier anniversaire de la mort de Raymond Goethals, un certain Brussels – Saint-Trond figure au programme de la 17e journée du championnat. Deux clubs qui, à des titres ô combien différents, ont compté dans la carrière du personnage le plus emblématique que le football belge ait jamais connu.

C’est effectivement au Daring, ancêtre du FCB actuel, que le ketje pure souche fourbit ses armes au poste de gardien de but. Des Rouge et Noir auxquels il allait être fidèle l’espace de 16 ans, entre 1933 et 1949, avant de rallier les voisins du Racing. Ces mêmes Rats qui, en 1963, devaient finalement s’acoquiner avec une autre entité de la capitale, le White Star, pour former le Racing White, futur précurseur du RWDM, lui-même à l’origine du FC Brussels actuel. Comme quoi l’histoire, pour mouvementée qu’elle soit, n’est jamais qu’un éternel recommencement !

Saint-Trond, c’est une autre histoire d’amour. Toujours entre le ballon rond mais avec un homme devenu coach dans l’intervalle. En 1959, à l’âge de 38 ans, le Bruxellois bon teint rallia le Staaienveld en provenance du Stade Waremme, où il était entré dans le métier deux années plus tôt, après une campagne en tant que joueur/entraîneur au FC Hannutois.

Chez les Canaris, le nouveau venu réussit la gageure de s’inscrire comme nul autre dans la durée : un bail de six saisons avec, comme cerise sur le gâteau, une deuxième place au classement général derrière Anderlecht en 1965-1966 et ce, au nez et à la barbe des deux autres grands de l’époque déjà, le Standard et le Club Bruges. C’est là, en Hesbaye, qu’est né à coup sûr Raimundo, futur mentor à succès des Diables Rouges au Mexique, en 1970, ou du magicien qui contribua aux plus belles heures de gloire d’Anderlecht d’abord (1976-1979) et du Standard (1981-1983) avant de devenir Raymond-la-Science à Marseille (1991-1993), avec qui il remporta la CE1.

Dans l’espace VIP qui porte désormais son nom, et niché lui-même dans la tribune Raymond Goethals au stade Edmond Machtens, une réplique de la Coupe aux Longues Oreilles figure en bonne place dans le coffre-fort aux souvenirs. De même que le fameux Banc d’Or, pendant du Ballon d’Or chez les footballeurs, qui lui fut décerné par les plus hautes instances du football après le succès historique de l’OM sur l’AC Milan en finale de la Ligue des Champions 1993.

Ces deux objets sont assurément les plus marquants et symboliques de sa carrière. Une vitrine, toujours dans la même pièce, fait la part belle à d’autres distinctions sortant de l’ordinaire. Comme la médaille du mérite marseillais ou encore le titre de Bruxellois de l’Année 2004. Quant aux murs de l’endroit, ils sont tapissés d’une bonne vingtaine de photos qui constituent autant de jalons de sa carrière : du triomphe de l’OM sur l’AC Milan en 1993 jusqu’à un premier cliché, remontant au beau milieu des années 40, et réminiscence de son passé comme joueur du cru au côté d’autres noms célèbres comme Fernand Buyle, Marius Mondelé, Pierre Sonjeau et Jean Steurs.

Entre Badjou et Speeckaert

Au même titre que Raymond Goethals, la plupart, octogénaires, ne sont hélas plus de ce monde aujourd’hui. A l’exception de l’ex-international A Robert Van Kerkhoven et de son compère Gaston Van Lancker qui, 60 ans plus tard, ont toujours conservé un souvenir vivace de leur ancien coéquipier.

 » En sa qualité de gardien, il a assuré la transition entre Arnold Badjou et Joseph Speeckaert « , observe le Bob.  » Nolle était un keeper légendaire, le meilleur à coup sûr que le Daring ait jamais connu. C’est lui, d’ailleurs, qui défendit les couleurs des Diables Rouges à l’occasion de la toute première phase finale de la Coupe du Monde en Uruguay, en 1930. Succéder à pareil monument n’était évidemment pas un cadeau et, au petit jeu des comparaisons, il va sans dire que la balance penchait manifestement du côté de celui qui avait fait honneur à notre pays à Montevideo. Celui-ci, il est vrai, avait tout pour lui : élancé, souple, il s’appuyait aussi sur une technique hors pair. Et, ce qui ne gâte rien, il n’avait pas froid aux yeux pour un sou. L’autre était à l’antipode. De petite taille, il ne se hasardait guère dans les sorties aériennes. En outre, il avait une sainte horreur des attaquants dotés d’une frappe de mule. Comme le Carolo Léon Gillaux, par exemple. Chaque fois que nous affrontions les Zèbres, il répétait d’ailleurs à l’envi : -Sivouslelaisseztirer, moijemeretireégalement. (Il rit).

Le contraste entre eux était saisissant aussi au plan de leur personnalité respective. L’aîné était d’un calme olympien alors que l’autre faisait figure de Monsieur 100.000 volts. A cette lointaine époque, on décelait toutefois déjà en lui les stigmates du futur entraîneur. En match et à l’entraînement, il n’avait de cesse de diriger sa défense. Et même en dehors des terrains, le football était son sujet de conversation favori. Je me rappelle personnellement des vacances que lui et son épouse, de même que ma femme et moi, avions passé de concert à Blankenberge. Du matin au soir, le ballon rond avait été à l’honneur. Même à la terrasse d’un café, il s’emparait de sous-bocks pour griffonner des schémas de jeu. Inutile de dire, sans doute, que cette expérience de vacances ne fut pas répétée (il rit) « .

 » Il était fasciné par les schémas de jeu « , renchérit Gaston Van Lancker.  » Comme il avait un peu le trac, comme portier, il tenait toujours à ce que la tactique soit savamment mise au point afin que ses propres interventions, surtout sur les balles aériennes, se limitent au strict minimum. Après que ses défenseurs aient fait le ménage, il ne lui restait plus qu’à cueillir gentiment les ballons. A cet égard, c’était déjà un homme des plus rusés. J’ai souvenance aussi que lors des séances de théorie du coach anglais Jack Butler, il n’y avait pas plus attentif que lui. Il voulait tout savoir en détail sur le WM que cet entraîneur avait à la fois importé et imposé chez nous. Par la suite, lui-même a innové en étant le premier mentor belge à adopter la défense en ligne avec Saint-Trond. Son plus grand mérite, d’après moi, aura été d’évoluer avec son temps. Voire de l’anticiper. C’était un visionnaire. Il l’a suffisamment prouvé après-coup « .

Une idée de Cartier

Samedi 10 novembre, 17 heures. En présence de Charles Picqué, ministre Président de la Région de Bruxelles-Capitale, du ministre régional bruxellois en charge du sport, Emir Kir, des édiles communaux molenbeekois, le bourgmestre Philippe Moureaux en tête, ainsi que de Guy Goethals, fils unique de Raimundo, la tribune Raymond Goethals est officiellement inaugurée. Son nom s’y affiche désormais en lettres bien visibles, jouxté d’une photo symbolique remontant à son passage sur la Canebière.

 » Nous avions l’embarras du choix sur base du matériel fourni « , observe l’échevin des Sports Jamal Ikazban.  » Finalement, le cliché choisi a été sélectionné par l’entraîneur actuel du FC Brussels, Albert Cartier, lui-même grand admirateur de l’ancien coach national. Ce portrait géant de 7 mètres de haut sur 4 de large et la plaque commémorative à son nom constitueront à jamais les souvenirs grand public. Dans la Business VIP Lounge Raymond Goethals, de futurs aménagements sont prévus au gré des articles qui nous parviendront encore. Il est d’ores et déjà acquis, par exemple, que quand Igor De Camargo retournera au Brésil, cet hiver, il fera un petit détour par São Paulo afin de ramener une trace du passage de Raimundo dans ce club « .

 » Mon père était peut-être conservateur au plan du jeu et des joueurs mais beaucoup moins en matière d’objets relatant sa carrière « , observe à son tour Guy Goethals.  » Ses souvenirs, il les portait en lui. Pour l’avoir vécu au quotidien pendant tant d’années, je suis bien placé pour dire que Molenbeek, et le football qui y était pratiqué, ont toujours eu une place particulière dans son c£ur. Même s’il a connu ses plus grands triomphes à l’OM, à Anderlecht et au Standard, il est toujours resté un Daringman dans l’âme. D’ailleurs, la dénomination du club a beau avoir changé au fil des ans, pour lui, tout est toujours resté du pareil au même. Chaque fois qu’il se rendait au stade Edmond Machtens, il me disait : -Je vais au Daring. C’est assez significatif « .

 » Natif de Forest, mon père était venu habiter très tôt avec ses parents, rue Schmitz, à Molenbeek « , poursuit Guy Goethals.  » A l’exception d’un court intermède à Koekelberg, chaussée de Jette, il a toujours vécu par la suite à une portée d’arbalète du stade : d’abord au boulevard Louis Mettewie, puis à l’angle de cette artère avec l’avenue du Château. Tout au long d’une carrière à l’étranger, qui l’avait mené tour à tour au Portugal, au Brésil et en France, mon père avait fini par prendre goût au soleil. Au moment d’entraîner les Girondins Bordeaux, il avait même dans l’idée de finir ses vieux jours dans le sud-ouest de l’Hexagone, à Lacanau ou Arcachon. Mais l’appel du pays, et de Molenbeek en particulier, a été plus fort. Il m’a raconté un jour qu’un joueur anglais lui avait dit : -On retourne toujours à l’endroit où l’on est né pour mourir. Il y avait sûrement une grande part de vérité dans ces propos « .

 » Ayant connu mon père comme nul autre, je suis sûr qu’il aurait apprécié l’hommage que le FC Brussels, émanation du Daring, lui a fait « , conclut Guy Goethals.  » Et s’il est vrai que Saint-Trond, adversaire du jour, ne veut pas demeurer en reste, qui projette d’ériger une statue de lui devant le Staaienveld, je sais qu’il n’en aurait pas été peu fier non plus. Plus que tous les autres, ces deux clubs ont compté dans sa vie et ont laissé une empreinte indélébile chez lui. C’est là que sa double carrière de joueur et de coach a commencé. Il était normal, dans ces circonstances, qu’elle s’y achève aussi « .

BRUNO GOVERS

 » POUR MON PÈRE, MOLENBEEK A TOUJOURS ÉTÉ LE DARING  » (GUY GOETHALS)

 » GARDIEN, IL AVAIT PEUR DE LÉON GILLAUX, UN CAROLO À LA FRAPPE DE MULE  » (BOB VAN KERKHOVEN)

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