Le grand mal-aimé

Du monde dans de belles et grandes salles et pourtant, le basket a encore du mal à toucher le grand public. Explications du paradoxe.

Samedi, le Country-Hall du Sart-Tilman accueillera la finale de la Coupe de Belgique entre Charleroi et Ostende : les deux plus gros budgets de la Ligue Ethias. Bref, l’Anderlecht-Standard du basket. L’occasion de se demander où en est le basket belge. A-t-il progressé autant que certains veulent bien le dire ? S’il y a du monde dans la plupart des salles, parfois plus que dans certains stades de football de D1, ce sport ne semble pas encore toucher le grand public, ni encore moins booster les audiences TV. Question de tradition ? Sans doute.

Les budgets

Charleroi a le plus gros budget de l’élite : environ 5 millions. Les meilleurs joueurs ont un salaire qui oscillent entre 200.000 et 250.000 dollars.

C’est beaucoup dans un sport où les rentrées n’ont rien de pharaoniques. Les droits télés sont inexistants. Au contraire : au départ, c’étaient les clubs qui payaient pour qu’on installe des caméras dans les salles, ce qui permettait d’avoir une certaine visibilité pour les sponsors. Il faut donc compter sur des parraineurs, sur les pouvoirs publics ou sur les repas VIP d’avant-match (entre 200 et 500, selon les cas). A force de vouloir suivre les ténors, beaucoup se sont brûlé les ailes. Des équipes comme Ypres, Houthalen, le BC Gand, Tournai ou l’Atomia Bruxelles ont dû mettre la clef sous le paillasson. La dernière équipe à avoir rendu l’âme est Bree, encore champion de Belgique en 2005 mais relégué en D2 depuis deux ans faute de licence.

Depuis trois ans, il n’y a plus que neuf clubs en D1. Pepinster est toujours en difficulté (le club est passé à deux reprises par le chas de l’aiguille pour l’obtention de la licence) et on ne trouve guère de clubs, à l’étage inférieur, désireux de tenter l’aventure.

Les salles

On est loin des vétustes salles d’écoles d’autrefois. Au cours de la dernière décennie, on a vu fleurir un peu partout des salles modernes et fonctionnelles. Le Spiroudôme de Charleroi, avec ses 6.500 places, reste le modèle. Il a accueilli, entre 2004 et 2007, quatre finales de Coupe ULEB (la C2) qui ont à chaque fois fait le plein. Et les salons adjacents ont fait l’admiration des dirigeants du Real Madrid.

D’autres belles salles ont surgi de terre, d’une capacité de 4.000 à 4.500 places. C’est le cas de la Mons Arena (avec un taux de remplissage de 80 %), du Country Hall Ethias à Liège, de la Sleuyter Arena à Ostende, de la Lotto Arena à Anvers ou de l’Expodroom de Bree,… désormais inoccupé.

Le Sport Oase de Louvain, qui a accueilli quatre finales de Coupe de Belgique au cours des cinq dernières années, peut héberger 3.000 personnes.

Alost attend sa nouvelle salle dans un délai de deux à trois ans : le nouveau président en a fait son objectif prioritaire, car le club est actuellement gêné aux entournures par les 2.000 places du Forum, largement insuffisantes pour répondre aux demandes d’abonnements.

Les joueurs

La Belgique manque-t-elle d’un joueur emblématique, capable de devenir l’idole des jeunes ? On a pourtant un DidierMbenga qui a été champion NBA en 2009, un AxelHervelle qui a joué cinq ans comme titulaire au Real Madrid avant d’être prêté ces six derniers mois à Bilbao ou une AnnWauters élue à quatre reprises Joueuse européenne de l’année. Mais ils jouent tous à l’étranger.

En championnat, les joueurs belges sont rares et peu d’entre eux jouent réellement un rôle en vue, à l’exception de ChristopheBeghin à Anvers.

La plupart des équipes sont très américanisées.

Les joueurs belges d’aujourd’hui sont-ils moins forts que ceux d’autrefois ? La question mérite d’être posée et la réponse n’est pas évidente. Il y a 20 ans, ils étaient souvent au service des deux Américains autorisés. Aujourd’hui, on leur demande d’être aussi forts qu’un Américain pour avoir droit au chapitre. XavierCollette, distributeur remplaçant de Liège, est-il moins fort que BernardTirtiaux, capitaine des valeureux Castors de Braine à la fin des années 80 ?

Les supporters

Les supporters les plus fervents, ceux qui vibrent avec leur club et sont capables de mettre l’ambiance sans l’intervention du DJ, on les trouve essentiellement à Pepinster et à Alost. Deux clubs moyens mais chauds, un peu à l’image de Malines en football.

Mons peut être classé en troisième position au niveau de la ferveur, mais ses supporters boudent actuellement un peu la Mons Arena à cause des mauvais résultats.

Charleroi, c’est l’Anderlecht du basket. Son Spiroudôme est l’endroit où il fait bon se montrer. On y trouve un public diversifié : des hommes en costume-cravate venus discuter affaires dans l’une des loges, des familles avec enfants venues goûter à l’ambiance et au spectacle, présent tant pendant le match qu’aux temps morts avec les cheerleaders.

Ostende, c’est un peu le Bruges du basket.

Liège, où les business seats sont souvent bien remplis, se cherche un public de masse. Anvers a un public d’événements, capable de se déplacer massivement lors d’une affiche mais qui boude un match normal.

C’est à Gand que les assistances sont les plus faméliques : elles se limitent parfois à quelques centaines de personnes. Cette saison, le club a tenté l’expérience d’une équipe à 80 % belge, comme au bonvieuxtemps, et le public mord un petit peu plus à l’hameçon, mais cela reste anecdotique.

La tradition

Aux premières heures du basket en Belgique, c’est-à-dire après la Deuxième Guerre mondiale, ce sport envahissait les plaines de jeux des grandes villes. Les premières pages de l’histoire du basket belge ont été écrites par le Royal IV ou les Semailles à Bruxelles, l’Antwerpse, Brabo ou Zaziko à Anvers, Liège Perron dans la Cité ardente. Les Bruxellois se souviennent avec nostalgie d’ EmileKets, de JeanCrick et de CocoDePauw, les Anversois de JefEygel, JohnLoridon et WillySteveniers. Puis est arrivé l’Ostendais (et ensuite Malinois) RikSamaey, élu Joueur de l’année à dix reprises (dont neuf fois consécutivement entre 1981 et 1989, et la dernière fois en 1994). Dans la foulée, on a eu EricStruelens, d’abord associé à Samaey à Malines, puis transféré à Charleroi à qui il a offert son premier titre en 1996 avant de partir à l’étranger (Paris, Real Madrid). RonnyBayer, JeanMarcJaumin et JacquesStas, trois distributeurs, ont aussi incarné les années 80 et 90.

Aujourd’hui, si l’on réalisait un micro-trottoir, peu de passants seraient sans doute en mesure de citer les noms de trois basketteurs belges. La figure la plus connue en Wallonie est peut-être GiovanniBozzi, revenu coacher Charleroi après l’avoir déjà fait durant 11 années entre 1992 et 2002. Certains affirment d’ailleurs que, si les Spirous l’ont rappelé, c’est en partie parce qu’il véhiculait une image positive auprès des sponsors et que cela pouvait servir en temps de crise.

Au niveau des clubs, après le titre du Standard en 1977, et ceux du Fresh Air en 1978 et 1979, on a assisté à un duel entre Malines et Ostende dans les années 80 : un duel entre deux présidents-mécènes, le voyagiste RudolfVanmoerkerke et le brasseur ThéoMaes. Castors Braine a tenté de bousculer la hiérarchie, avec un autre président-mécène en la personne d’ AndréRenauld (conditionnement d’air) mais a dû se contenter d’un rôle de Poulidor.

C’était l’époque où le basket était surtout populaire dans des villages ou des villes de moyenne importance où le football n’avait pas droit de cité : Braine-l’Alleud mais aussi Ypres, Houthalen, Andenne ou Mariembourg. Ensuite, sous la pression des pouvoirs publics et du sponsoring, il s’est installé dans les villes : Monceau est devenu Charleroi, Quaregnon est devenu Mons-Hainaut et Fléron est devenu Liège.

Malines fut le premier club belge à devenir professionnel en 1990. Mais il a fallu attendre 1996 pour revoir un club wallon – Charleroi en l’occurrence – ravir les lauriers du champion. Aujourd’hui, Charleroi reste le club n°1 en Belgique, et Ostende refait surface. Malines a déménagé à Anvers en 1995 : les Antwerp Giants en sont un descendant. Pepinster est le plus ancien club wallon en D1 : il fête actuellement ses 25 années de présence ininterrompue, alors qu’on lui prédisait un aller-retour lors de sa montée en 1985.

La suprématie wallonne

C’est assez rare pour être souligné : le basket est sans doute le seul sport collectif où la Wallonie est dominatrice. On le doit en grande partie à un homme : EricSomme. Doué comme pas deux pour dénicher des sponsors, et convaincre les autorités du bien-fondé de ses projets, il a fait de Spirou Charleroi le club phare du pays.

Mieux : Somme a compris que, pour intéresser les gens, il fallait une compétition valable. Un Charleroi champion chaque année avec dix points d’avance n’intéresserait personne. Il a donc aidé les autres clubs wallons à se développer. Aujourd’hui encore, il aide Pepinster à subsister : quatre jeunes joueurs belges, plus l’Américain BrandonFreeman, sont sous contrat avec Charleroi mais jouent pour les Pépins.

A un moment donné, cette saison, on trouvait les quatre clubs wallons aux quatre premières places du classement et les quatre clubs flamands aux cinq dernières places. Aujourd’hui, Ostende est revenu dans le coup et Mons a perdu les pédales au point de risquer de louper les playoffs (qui concernent six équipes) mais on a toujours Liège 1er, Charleroi 2e et… Pepinster 3e.

Les résultats

Malgré l’américanisation du championnat de Belgique, les clubs belges ont encore du mal à être réellement compétitifs sur la scène européenne. Si les budgets ont explosé chez nous, c’est encore pire ailleurs.

Depuis 2001, et la participation de Charleroi, plus aucun club belge ne participe à l’Euroligue, la Ligue des Champions du basket. Le champion de Belgique dispute l’Eurocoupe, la C2 (Charleroi n’y a fait que de la figuration cette saison, perdant ses six matches de poule). Bon an, mal an, trois ou quatre autres équipes disputent l’Eurochallenge, la C3. Avec, là, des résultats valables, mais – ne nous voilons pas la face – contre une opposition faiblarde.

Malines fut le premier club belge à atteindre la finale d’une compétition européenne : en 1973, contre les Italiens de Cantù. Il a fallu attendre 2008 pour voir Mons l’imiter. Mais c’était en C3 et les adversaires, lors du FinalFour, étaient Limassol (Chypre), Riga (Lettonie) et Tartu (Estonie) : pas vraiment des ténors européens, convenons-en. Ypres fut demi-finaliste de la C3 en 2001 (à l’époque encore baptisée Coupe Korac, du nom d’un ancien basketteur yougoslave du Standard tragiquement décédé) et, cette saison, Anvers a atteint les quarts de finale de l’Eurochallenge (toujours la C3, donc) où il a été éliminé par Pesaro, qui lutte pour son maintien en Serie A italienne.

Aucun club belge n’a encore remporté de coupe européenne. En revanche, des joueurs belges en ont remporté. Le premier fut Jaumin, l’actuel coach d’Ostende qui, en 2001, s’adjugea la C3 avec Malaga. TomasVandenSpiegel a même remporté l’Euroligue à deux reprises avec le CSKA Moscou, mais il y jouait comme roleplayer. Et Hervelle a remporté la C2 (à l’époque baptisée Coupe ULEB) avec le Real Madrid en 2007, au Spiroudôme de Charleroi. Et donc, Mbenga a été champion NBA avec les LA Lakers l’an passé. En y jouant un rôle mineur mais, comme il le dit lui-même :  » Si je n’avais pas été bon, on ne m’aurait pas choisi pour faire partie de l’effectif de 15 joueurs. Même en jouant deux minutes par match, voire en servant uniquement de sparring-partner à l’entraînement, il faut se montrer à la hauteur.  »

L’équipe nationale

Elle n’a plus participé à un Championnat d’Europe depuis 1993 à Berlin. C’était l’époque de Samaey, Struelens, Bayer, Stas et consorts. Depuis, les BelgianLions échouent désespérément à chaque tentative de qualification. Pour quelle raison ? Peut-être la fin de la génération dorée de l’époque, pas vraiment remplacée. Mais aussi, et ce n’est pas une vaine excuse, l’éclatement de l’URSS et de la Yougoslavie, deux nations phares du basket européen. C’est simple : lors du dernier EURO, l’an passé, la moitié du plateau des 16 participants émanait de ces contrées. Il y avait la Russie, l’Ukraine, la Lettonie, la Lituanie, la Serbie, la Croatie, la Slovénie et le Monténégro. Cela laisse donc très peu de place pour les autres.

Pourtant, lors de la dernière campagne de qualification, les Lions n’ont échoué qu’au tout dernier barrage, face à la France. Si l’on se fie aux chiffres, la Belgique est donc la 17e nation européenne… alors que l’EURO accueille 16 participants.

La médiatisation

On n’a jamais eu autant de basket à la télévision qu’actuellement. Mais pour quelles audiences ? La RTBF a renoncé à diffuser des matches dans leur intégralité, car les téléspectateurs n’accrochaient pas. Le magazine animé par PierreRobert au début des années 2000, qui a tenu pendant quatre ans, a aussi été abandonné. La chaîne publique se contente désormais d’un résumé de dix minutes du principal match de la soirée du samedi. Beaucoup de téléspectateurs le regardent un peu par hasard, parce qu’ils ont branché leur poste dans l’attente du Studio 1 football, qui suit dans la foulée.

A RTL, c’est le même scénario. La chaîne a, pendant une saison, diffusé les matches européens du Spirou Charleroi le mardi soir, mais l’audience était confidentielle.

Désormais, les télés locales ont pris le relais : chaque samedi soir, elles diffusent en direct LeChocdesGéants, l’affiche de la soirée (de préférence entre deux clubs wallons). Mais, au lieu de décaler le match diffusé, elles le programment en concurrence avec tous les autres matches du calendrier. Pourquoi ? Parce que la RTBF reprend les images pour le résume de Basket 1.

Depuis cette saison, il y a du neuf : BeTV, déjà présente pour la NBA (deux matches par semaine) et l’Euroligue (un match chaque jeudi soir), s’est lancé sur le marché du basket belge : un match par mois en début de saison, deux matches par mois actuellement, plus les playoffs de la mi-mai à la mi-juin. Avec, cette fois, un petit dédommagement pour les clubs. L’audience suit-elle ?  » Je n’en sais rien « , reconnaît PierreVandersmissen.  » La maison ne s’intéresse pas à l’audience particulière de chaque émission – et c’est peut-être une chance pour le basket – mais au nombre d’abonnements. S’il augmente, ou ne baisse pas, cela signifie que les abonnés sont satisfaits de la programmation globale et cela suffit à notre bonheur.  »

Dans la presse écrite aussi, la part réservée au basket est minime par rapport aux sports-rois de notre pays. Et toutes les tentatives de publication d’un magazine 100 % basket se sont cassé les dents, les unes après les autres. Notre confrère AlainAdams vient toutefois de publier un ouvrage intitulé Spirou, 20 ans déjà, qui raconte les 20 saisons du club en D1, depuis la montée de Monceau en 1989 et son déménagement vers la Garenne puis la Coupole devenue depuis lors le Spiroudôme.

Par Daniel Devos

« Lors d’un micro-trottoir, qui serait en mesure de citer trois joueurs belges ? »

« Malines fut le premier club belge à devenir professionnel en 1990. »

« Si l’on se fie aux chiffres, la Belgique est la 17e nation européenne. »

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire