Le goût de L’EFFORT

John Baete

Après deux ans de silence, le directeur technique des Rouches fait le point.

Très trendy, habillé de noir de pied en cap, les cheveux repoussés vers l’arrière et nimbés de gel, Michel Preud’homme s’enfonce dans un des fauteuils en cuir ébène de la salle du conseil du Standard. Devant lui, sur la table basse, une tasse de café sans lait et une boîte de ce tabac spécial dont il glisse une boulette entre la gencive et la lèvre supérieure.

Malgré les tons ambiants, le directeur technique du Standard est pétillant comme un invité de chez Ardisson et l’interview sera parsemée d’éclats de rires. Tendu, celui qui fut il y a dix ans le meilleur gardien du monde ? Non, relax. Normal, tout roule pour lui et les Rouches qui ont planté leurs griffes dans un ticket pour la Ligue des Champions.

Cela fait pratiquement deux ans que tu n’avais plus accepté de donner d’interview à notre magazine. Depuis que tu étais entraîneur au Standard, en fait. Tu as vraiment été fâché sur nous, alors ?

Michel Preud’homme : Ce n’était pas un contentieux ou une affaire de personne. Mais quand je pensais à l’intérêt du club, je trouvais que Sport/Foot Magazine y était allé un peu fort, parfois. Pas vis-à-vis de moi comme coach, parce que là, j’ai toujours trouvé que j’étais jugé correctement et même soutenu dans mes idées de jeu. Mais j’estimais que vous accordiez trop d’importance à certaines problématiques qui n’avaient rien à voir avec le foot et que vous donniez plutôt la parole aux joueurs mécontents qu’aux autres.

Nous, c’est clair, on préfère parler de foot. Mais à certains moments, le Standard était secoué par des tas de problèmes qui n’avaient rien à voir avec le jeu. Notamment l’affaire Jean Wauters, les critiques de Régis Genaux, le licenciement de Robert Waseige, le poids des joueurs, les discussions avec les arbitres, etc. Et le Standard était mauvais sur le terrain.

Bon, mais c’est passé tout ça et l’évolution a prouvé que nous avions raison dans presque tous les domaines..

Même vis-à-vis des arbitres ?

Il y en a des bons et des moins bons. Moi, j’essaye de comprendre le pourquoi de leurs décisions. Et c’est vrai que dans le passé, comme coach, j’ai vu des choses alarmantes et je l’ai dit tout haut. Parce que je pense que j’ai le droit de réagir comme le grand public, de m’exprimer… comme tout lecteur qui écrit à Sport/Foot Magazine. Mais pour le moment, je ne suis pas insatisfait. Le Standard n’est ni favorisé, ni défavorisé. C’est tout ce qu’on est en droit d’attendre, d’ailleurs.

Le Portugal

Tu connaissais le joueur hongrois de Benfica, Miklos Feher, qui est décédé sur le terrain ?

Oui. J’avais même joué contre lui il y a quelques années, quand il était encore à Salgueiros. C’est affreux….

As-tu encore beaucoup de contacts avec le Portugal ?

Beaucoup non, mais j’en ai. Avec les gens avec lesquels j’ai travaillé à Benfica, avec des joueurs, des dirigeants d’autres clubs et des journalistes.

Tu iras au Portugal pour l’EURO ?

Je pense que non. On sera en pleine période des transferts. Je n’aurai pas le temps d’aller voir des matches. Et puis, de toutes manières, la plupart des joueurs de l’EURO sont inaccessibles pour nous.

Au Portugal, il y a des voix qui s’élèvent pour dire qu’on a un peu forcé les choses avec l’organisation de l’EURO, que le pays aurait eu plutôt besoin d’investissements dans le secteur hospitalier, par exemple.

Ce sera un merveilleux tournoi et le grand public va adorer, j’en suis sûr. Mais c’est vrai aussi qu’il y avait d’autres aspects à améliorer, notamment dans les soins de santé. Quand on vivait là-bas, ma femme était toujours inquiète qu’il arrive quelque chose de grave à l’un de nous.

La Flandre et l’argent

Le standard fait une belle saison ! Que du plaisir ?

Le contraire serait aberrant. Surtout que les résultats sont là mais aussi que le Standard a vu son aura renforcée dans la tête de tous les Belges fans de football. Le Standard se repositionne également dans le foot belge au niveau des pouvoirs de décision.

En ce qui concerne la Communauté flamande, tu fais aussi, personnellement, un gros effort de communication vis-à-vis des médias du nord, en particulier dans le cadre de tes analyses en télévision pour la Ligue des Champions…

Au Standard, je suis directeur technique mais aussi l’un des deux attachés de presse du club, avec le directeur général Pierre François. Oui, je veux aussi être présent en Flandre car le Standard est un club national, avec des supporters flamands et parce qu’on veut montrer que notre club n’est pas celui décrit par des journalistes du nord du pays qui n’ont jamais mis les pieds à Sclessin.

Mais tu as aussi tes fonctions à la Ligue Pro et au comité exécutif de l’Union Belge. Quel pourcentage de ton temps consacres-tu à l’aspect sportif du club ?

Cela dépend. En période de transferts, j’y suis jusqu’au cou. Pour l’instant, je suis déjà en train de préparer le stage d’entraînement pour la saison prochaine. Et au-delà de la gestion journalière des relations avec les joueurs et le staff de coaches, une grosse partie de mon travail est constituée de réunions avec Pierre François et Luciano D’Onofrio.

Comment décrirais-tu aujourd’hui le rôle de ce dernier ?

Il est conseiller du Standard et en réalité une mine d’or pour le club. Il sait toujours ce qu’on peut faire ou pas, c’est un professeur extraordinaire. On discute sans arrêt avec lui et on trouve des solutions. On fait progresser le Standard. Luciano a souvent le mauvais rôle parce qu’on pense qu’il monte une équipe pour qu’elle soit bonne et puis qu’il vend les meilleurs pour réaliser ses investissements. Je ne suis pas d’accord. Avec Robert Louis-Dreyfus et d’autres, Luciano a participé à un investissement de 32,5 millions d’euros. C’est normal, alors, qu’on veuille faire en sorte que le club soit sain.

Et le Standard est-il rentable maintenant ?

On veut en arriver à une situation où le Standard ne dépende plus d’investisseurs ! Mais pour y arriver, il est clair que ça passe par des ventes de joueurs ; comme tous les clubs belges. Pour que le Standard gagne sur tous les plans, il faut faire des sacrifices.

Comme peut-être laisser partir Emile ?

Tout le monde fait des efforts. Emile en a consenti un sur le plan financier pour revenir ici, et de notre côté, on s’est engagés à ne pas lui mettre des bâtons dans les roues s’il trouve l’occasion de monnayer son talent.

En fin de contrat

Le terrain ne te manque pas ?

Evidemment que le terrain est formidable. Comme coach, j’ai connu des moments fantastiques mais je me suis aussi rendu compte très vite qu’il y avait des tas de problèmes latents à régler dans le club pour qu’il fonctionne bien. Il n’y avait pas de trait d’union entre la direction et le groupe et j’ai bien vu à Benfica û où j’ai joué avant d’être directeur technique û comment devait fonctionner un grand club. Mais en posant le problème, il est vite apparu que c’est moi qui devais apporter la solution Et quitter le terrain. Je me souviens qu’il y a juste deux ans, on avait encaissé trois défaites de suite et que j’avais dit à Luciano : -Tu ne me dois rien, je pars. C’était trop difficile d’être à la fois coach et d’essayer de rattraper le travail qu’un directeur technique devait faire. Il m’a répondu : -Pas question, tu restes jusqu’en fin de saison et on voit.

C’était tout vu : tu deviens directeur technique… et tu t’exposes au moins autant qu’en tant que coach.

Je savais bien que ce serait dur aussi, mais c’est la règle du jeu à partir du moment où on s’investit dans un club. Comme entraîneur, c’est fou comme tu peux souffrir du fait que tes joueurs n’aient pas les mêmes ambitions ou la même abnégation que toi. Mais comme directeur technique, on ne voit pas les choses avec plus de détachement. Ma vie n’est pas plus cool qu’avant.

Tu as un contrat à vie ici ?

Non, mon contrat expire en juin.

Tu négocies avec toi-même, Pierre François et Luciano D’Onofrio alors ?

Non, on n’en a pas encore parlé. On a tous trop de travail. Mais je n’envisage pas d’arrêter. J’ai encore trop de travail ici. Je n’ai pas terminé. Ce sera le cas quand le club sera stable financièrement et sportivement, c’est-à-dire qu’il finira tout le temps dans les trois premiers et que sur cinq ans, il sera champion une ou deux fois. Comme avant, quoi.

Le club parfait

Et tu vas faire en sorte de ramener Eric Gerets comme entraîneur, alors ?

Eric Gerets a été contacté à deux reprises lorsque nous devions choisir un coach. A chaque fois, il a décliné l’invitation tout en nous répétant que le Standard était son club. Parce qu’il voulait respecter son contrat en cours mais aussi parce qu’il avait d’autres propositions financières étrangères. Le fait de déclarer que le Standard était le club de son c£ur ne voulait pas dire qu’il était prêt à consentir un sacrifice financier… du moins pas pour l’instant.

C’est pour ça que Wilmots ne vient pas ?

Il n’a jamais été question de Marc… sinon comme joueur il y a trois ans.

C’est pour ça que Dominique D’Onofrio reste ?

Dominique reste parce qu’il est bon. Je l’avais bien jaugé quand il avait travaillé avec moi comme adjoint, mais ce fut difficile de le faire signer comme coach car Dominique rêvait de faire une carrière dans le staff sportif du club. Mais ce n’était pas possible de lui trouver des garanties du genre : -Tu redeviens adjoint quand ça n’ira plus comme principal… Alors, il est resté aux conditions du club. C’est-à-dire avec un contrat de coach principal, point.

Bon, si on en revenait à ta vision du club parfait…

C’est un club où la direction décide, où l’entraîneur entraîne et où les joueurs jouent.

Et quand Drago met les choses au point vis-à-vis de coéquipiers dans les journaux, c’est son rôle ?

Drago est capitaine parce qu’on trouve qu’il a les qualités pour. S’il décide de hausser la voix et de rappeler des principes avec lesquels on est d’accord, on trouve qu’il fait bien son travail.

Le premier international à Bruxelles

Si on parlait de la Ligue Pro et du comité exécutif de l’U. B. ?

OK. Je siège à la Ligue Pro au nom du Standard en compagnie de Pierre François, et au comité exécutif, je suis l’un des six représentants de la Ligue Pro. A la Ligue Pro, je me frotte à tout ce qui concerne le foot professionnel (jeu, ticketing, réformes, règlements, etc). Au comité exécutif, c’est ça plus le foot de la D2 à la Promotion plus le football des provinces… et la Commission nationale d’étude. Comme je suis le premier ex-pro à siéger au comité exécutif, j’ai l’impression de surtout intervenir sur l’aspect sportif. Comme les pourparlers sur la Benecup ou le fait de trouver un système sur la légitimité des exclusions et des suspensions dans le championnat des Réserves. Comme ce championnat sert aussi à relancer des éléments de Première qui ont été blessés, il serait sot de leur mettre des bâtons dans les roues. On en est donc revenu à une carte rouge pour deux jaunes (avant c’était une exclusion pour une jaune mais avec remplacement) et au fait qu’en cas de suspension, un match remis comptait comme s’il avait été joué.

Et l’oreillette ?

On n’en a pas encore parlé, mais je trouve ça génial. Quand j’entraînais, j’y avais déjà pensé, d’ailleurs. Pour le gardien mais aussi pour les joueurs du champ. Une équipe gagnera toujours à être constamment repositionnée sur le terrain.

Comment te situes-tu dans le débat entre le G5 et les 13 autres clubs ?

Je fais partie du G5 évidemment, que l’on appelle d’ailleurs Pro-ject maintenant. C’est marrant, parce que quand on parle individuellement avec chaque club de D1, tous les projets semblent bien pouvoir passer. Mais quand les 18 clubs se retrouvent en réunion de la Ligue Pro, on ne discute plus aussi sereinement et le consensus s’éloigne. On entend des voix qui plaident pour une diminution du nombre de clubs. Je ne vois pas les choses comme ça. Il est stérile de dire qu’on va garder 12 ou 14 clubs. Peu importe si on joue à 13 ou 16 ou 17 en D1, ce qu’il faut c’est bien restructurer les clubs et passer par une fusion ou l’autre s’il le faut. On doit avoir des clubs forts.

10.000 abonnés

Vu de l’extérieur, on a parfois l’impression que la Ligue Pro n’est pas très efficace, parce qu’elle ne se réunit pas assez…

On a une réunion par mois, mais on s’échange des informations par fax, par mail. Et puis, au Standard, on reçoit les dirigeants des clubs visiteurs deux heures avant le match pour discuter ensemble des choses importantes.

Mais elle vit quand même sur un volcan avec la manière dont Jean-Marie Philips se fait bousculer…

Tous les clubs sont d’accord pour reconnaître l’importance et la qualité du travail effectué par Jean-Marie Philips et personne ne veut se séparer de lui. Cependant, nous estimons que les fonctions de directeur général et de président de la Ligue Pro devraient être remplies par deux personnes différentes dans le but de renforcer les clubs pros sur le plan stratégique.

Entre le Standard et la Ligue Pro, ça n’a pas toujours été la grande histoire d’amour. Plusieurs fois, le club avait menacé de la quitter.

Aujourd’hui, on est bien respecté mais c’est vrai que le Standard a toujours lutté pour qu’on applique ses principes comme on a fait valoir notre point de vue par rapport à la fancard, la responsabilité des supporters en déplacement ou les droits d’image.

Le plus gros problème pour vous, c’est la fancard non ?

Oui. On l’applique parce qu’on y est obligé mais ce système est un problème pour les clubs qui n’ont pas une grosse clientèle d’abonnés. Au Standard, on a 10.000 abonnés environ, c’est peu pour l’instant et c’est râlant de constater qu’on est limité dans la vente le jour du match. Car sans fancard, les gens ne peuvent se décider à venir deux ou trois heures avant un match. Et cette masse flottante se dirige vers d’autres loisirs.

La gestion du jeu

Comment expliquer les deux points sur six après Mouscron, Lokeren et Mons ?

Il y a d’abord eu les suspensions (Dragutinovic, Bisconti et Sorondo), la blessure de Moreira et les départs à la CAN (surtout Enakarhire). Cela dit, on a parfois du mal à gérer nos matches tellement on veut aller de l’avant A Sclessin, le public pousse l’équipe vers l’avant mais ce n’est pas toujours la bonne formule. Il faudrait pouvoir un peu temporiser, jouer plus latéralement et puis accélérer, mais ici, une passe latérale est une hérésie. Alors, il faut soigner le jeu par les flancs, ce que Dominique s’évertue à faire. Et aussi travailler sur le deuxième ballon : le centre ou le tir qui est repoussé par la défense adverse et qui nous revient dans les pieds. Là, il faut être plus déterminant : choisir un une-deux, un tir, repartir par les flancs. C’est le travail de la deuxième ligne qui doit être prêt pour repartir à la guerre. Mais il faut rester calme aussi.

Tu es quand même bien accroché comme entraîneur… D’ailleurs tu as terminé ta Licence Pro, non ?

Oui, j’ai le diplôme UEFA. Parce que j’aime bien terminer ce que je commence, qu’il fallait qu’un des entraîneurs l’ait avant que Dominique ne suive les cours aussi et parce que dans la vie, il peut se passer des tas de choses.

Que vaut votre nouvel Uruguayen, Juan Ramon Curbelo Garis ?

Dans son club de Liverpool Fenix, il jouait en duo avec un autre demi défensif mais il était le plus offensif des deux. Il peut évoluer comme récupérateur, en deuxième ligne ou sur le flanc droit. On a bien pu l’analyser sur K7 et nous avons de très bons renseignements sur lui au départ d’AmSud. J’ai toujours adoré le football argentin et uruguayen, de toutes façons. Et par expérience, je sais que ces joueurs s’adaptent toujours facilement partout.

A propos d’adaptation : et si le premier match de la saison prochaine était Ostende-Standard ?

J’ai souvent Gilbert Bodart au téléphone et on discute de foot, de jeu, de qualités de joueurs. C’est bien ce qu’il fait…

John Baete

 » Le Standard a vu son AURA RENFORCéE dans la tête de TOUS LES BELGES fans de football «  » GERETS a été contacté à deux reprises mais a refusé en disant QUE LE STANDARD EST SON CLUB « 

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire