LE 5E BEATLE

Une promenade à Manchester, en sept étapes, permet de faire revivre la légende. Entre foot et rock’n’roll attitude.

1. Ne m’aimez pas

To be George Best. C’était prédestiné. Sa statue à Old Trafford baigne dans le soleil. Pourtant, Best était un jeune homme modeste qui voyait sa vie rebondir sans fin. Etait-ce une illusion, comme le plus beau mouvement de sa carrière, lors d’Irlande du Nord-Angleterre, à la grande frustration de Gordon Banks ? Le meilleur gardien du monde s’apprêtait à dégager. George Best l’a contourné et, en une fraction de seconde, le ballon, qui se trouvait entre le pied et la main du portier, a été propulsé d’un léger coup dans l’air puis Best a dribblé son adversaire et a marqué. L’arbitre, perplexe, a annulé le but : il n’avait jamais vu ça. La virtuosité muée en réalité virtuelle.

En 2008, 40 ans plus tard, Rinaldi Singer chantait Where did it all go wrong Mr. Best ? Il faisait référence au gag du garçon de café qui servait champagne et saumon à Best, en compagnie de Miss Univers, dans sa luxueuse chambre d’hôtel. Phyliss, un bistrot faisant aussi office de night-club, était accessible 24 heures sur 24 aux célébrités de Manchester, mais en toute discrétion. Officiellement, il n’existait même pas mais à partir de 1968, Best l’a fréquenté à toutes les heures du jour et de la nuit, en compagnie de sa dernière conquête en date. Le café était tenu par la mère de Phill Lynnot, le chanteur de Thin Lizzy, qui a pensé à Best en écrivant :  » Oh the boy could kick a ball, but the boy hung up, making love against the wall.  » Le journaliste Jim White qui a écrit Manchester United, the Biography raconte l’anecdote suivante :  » Lors d’un énième procès pour conduite en état d’ivresse sur la voie publique, il a contacté le célèbre avocat George Carman. La soirée s’est passée dans une ambiance musicale. Carman s’est endormi sur le divan et Best a fait ce en quoi il était le meilleur : il a partagé la couche de Celia, l’épouse de son hôte.  »

Plus de 100.000 personnes ont suivi son cercueil, le 3 décembre 2005 à Belfast, par un froid de canard. Ils se sont souvenus des dernières paroles publiques de la star :  » Ne m’aimez pas.  » George Best, l’éternel gamin, l’adulte qui se trompait lui-même.

2. L’artiste footballeur

Le 17 mai 1966, au Manchester Free Trade Hall : BobDylan bouleverse la culture pop avec Like a Rolling Stone, une chanson qui a été qualifiée de plus belle chanson de tous les temps à la fin du siècle dernier. Durant cette période, par ses mouvements, George Best a coupé le souffle des amateurs de football et dribblé le football de ses résultats. C’est sans doute pour cela que Pelé estime que Best est probablement le plus grand joueur de tous les temps.

Est-ce un hasard, cette naissance conjuguée, au même moment, au même endroit, d’un génie du football et d’un génie de la musique ? How does it feel, to be on your own, with no direction home.Like a rolling stone. Le refrain de Dylan colle à la nature de Best. Le mythe est né le 9 mars 1966 à l’Estadio da Luz du Benfica Lisbonne. A l’occasion de ce match, un quart de finale de la Coupe d’Europe des Clubs Champions, Eusebio, footballeur numéro un d’Europe, est fleuri avant d’être déclassé par un gamin de vingt ans, issu des bas-fonds de Belfast. Score final, 1-5, la plus belle performance de l’histoire mouvementée de Manchester United. Dribbles endiablés, accélérations, assists purs et deux buts : en 2000, lorsque Best est revenu sur sa carrière, il a reparlé de cet exploit, le jugeant plus considérable que la finale de Coupe d’Europe à Wembley, contre ce même Benfica, en 1968. Le 9 mars 1966 a modifié le cours de son existence. Il y a eu un avant et un après Lisbonne.  » Si le football est un art, alors je suis un artiste « , a-t-il résumé.

3. Mode et gloire

Au coin de Piccadilly Place, une boutique de souvenirs . La cave regorge de vieux livres, de vidéos et de maillots. On y trouve de nombreuses reliques de George Best, parmi lesquelles des posters et des photographies. Oldham Street et Hinton Street se rejoignent là. Les deux artères respirent l’ambiance des années 60 : Retro, style is timeless avec des robes roses ; Paul’s Hair & Beauty World, un salon de coiffure tendance ; Vinyl Revival, un magasin de disques qui propose les £uvres des Beatles, des Rolling Stones et de Jimi Hendrix. Mode, musique et coiffure, c’est le monde de George Best quand il était au sommet de sa gloire. Une semaine après Lisbonne, il a ouvert ses premières boutiques avec Mike Summerbee, son ami, collègue puis partenaire d’affaires. Summerbee joue chez le concurrent, Manchester City. Télévision et magazines ont demandé à Best de participer à des campagnes publicitaires. Pour des chips, des chewing-gums, du savon, du jus d’orange, des £ufs, des chaussures, de la lotion après-rasage, de la lingerie et même de la saucisse de porc. L’argent afflue de toutes parts.

En automne 1969, des centaines de curieux s’amassent devant son nouveau domicile. Un architecte l’a convaincu d’emménager dans une villa snob située dans un meilleur quartier de la ville. Laconique, il explique :  » Si j’ose quitter ma maison le dimanche, je ne parviendrai plus à y rentrer.  » Il la baptise Che Sera. Traduction libre : ce qui adviendra . L’auteur Gordon Burn, psychothérapeute, commente :  » Che Sera est devenu un endroit de solitude. C’était le début de la fin. L’isolement de Best s’est accru, il n’a plus eu de contrôle social.  »

4. Rien de plus chouette que le sexe

La libido, rien que la libido :  » Le sexe n’est pas mal. Les filles me couraient après car moi, je n’osais pas prendre d’initiative. Actrices, maîtresses, mères et s£urs, parfois deux ou trois femmes en même temps.  » Il partageait un flat avec Mike Summerbee, pour les occasions spéciales. Celui-ci raconte :  » Le lundi, nous sortions. Le mardi, nous allions au pub et le mercredi, nous profitions de la vie nocturne.  » Ils étaient des habitués de The Grapes. Le bistrot est devenu un café théâtre. Peter Rydell estime être un Red pur et dur depuis 1970. Il a vu Best à l’£uvre – sur le terrain mais aussi dans les discothèques qu’il a ouvertes, Slack Alice et Oscars. Slack Alice, du nom d’une pièce populaire, se trouvait de l’autre côté de The Grapes, au coin de la 42nd Street.  » Je me souviens de Felix, le barman espagnol, qui retenait votre nom et votre boisson préférée. Le plafond était orné d’une peinture bleue qui donnait l’impression de se trouver dehors, sous un ciel d’azur. Les actrices TV allaient et venaient. Slack Alice accueillait à peu près tous les groupes rock qui se produisaient à Manchester.  »

La réputation de George Best était déjà solidement établie. Après des flirts innocents, il a fait scandale en 1966 en séduisant Dahlia Simmons, l’épouse d’un homme d’affaires. Il la surnommait the most beautiful. Matt Busby a rappelé son prodige de 19 ans à l’ordre, pour la première fois. Best a menti, prétendant qu’il allait mettre un terme à cette relation mais aussitôt après la réprimande, il a rejoint son amante.

Sa relation avec l’actrice Sinéad Cusack a tourné, quant à elle, au feuilleton. Durant l’hiver 1971, il ne s’est pas éveillé à temps pour un match contre Chelsea. Il a pris le train pour Londres mais il n’avait plus la tête au football et a donc décidé de rendre visite à sa nouvelle amie. La presse a humé le parfum du scandale. Le lendemain matin, le journal télévisé est revenu sur l’histoire. Le couple a découvert qu’il était pris sur le fait dans son lit, en déjeunant devant le petit écran. Entre-temps, une foule hurlant des obscénités s’était réunie devant l’appartement. L’affaire a tenu le pays en haleine pendant quatre jours.

5. Van Morrison, Ray Davies, Simply Red

Le Barcelona Bar se distingue par un intérieur aux peintures psychédéliques et par ses photographies de rock. Il a été ouvert à la fin des années 90 par Mick Hucknall (Simply Red). A l’âge de sept ans, durant l’année du titre 1967, il accompagnait son père à Old Trafford. George Best l’a plongé dans le ravissement et il ne s’est plus jamais départi de cette admiration. En 2001, il a dédié son hit mondial, Holding back the Years, à l’ancienne vedette du football, alitée à cause d’un foie démoli par l’alcool. Entretemps, il avait noué des liens profonds avec son idole, liens rompus littéralement par un Best en rage, en 2003 : il brisa ses disques accusant Hucknall d’entretenir des relations sexuelles avec sa seconde femme.

Van Morrison (31-8-1945) est un compagnon d’âge de George Best (22-5-1945) et un voisin. En 1965, le chanteur a écrit Gloria alors que le footballeur remportait son premier titre national. Les deux hommes étaient spirituellement proches. Le cowboy musical de Belfast a encensé le footeux de Belfast dans Too Long in Exile :  » Too long in exile, just like James Joyce baby, too long in exile just like George Best baby. « 

Ray Davies, des Kinks, l’a invité à chanter en duo avec lui en 1966. La chanson Dedicated Follower of Fashion lui a été inspirée par le modernisme un brin snob de Best. Les Kinks ont fait un tabac dans le monde entier. Davies, supporter d’Arsenal, adorait le Red Devil, en son for intérieur, et a toujours regretté que leur collaboration musicale ait échoué.

6. La boisson et la mort

Urbis est un bâtiment en vert du 21e siècle. Il abrite le National Football Museum, dont Best est une des principales attractions. On y découvre aussi The Brown Bull : un pub sombre, situé sous le pont de chemin de fer de la gare Victoria. La star y a attiré du monde, au point que le patron du café lui donna une clef.

 » What’s your nationality ? I’m a drunkard ! « Humphrey Bogart dans Casablanca, son film préféré. George Best était alcoolique et avait une mauvaise image de lui-même. La vodka, mêlée à de la limonade, s’est installée dans sa vie dès ses 17 ans. Il était l’objet de l’attention générale, il était constamment sous pression. Le journaliste Jim White se souvient :  » Il n’avait pas de modèle, personne qui puisse lui apprendre comment se comporter, il n’avait aucune aide de ses parents ni d’exemple parmi ses coéquipiers. Il cherchait en vain un moyen de se libérer. Au début, le football a comblé sa vie mais ça n’a pas duré, pas plus que l’amour. Il a trouvé refuge dans l’alcool, pour oublier ses déceptions. Il était intelligent mais dépourvu d’éducation. Il comprenait bien l’absurdité de la célébrité mais il n’a jamais pu échapper à son assuétude. Sa situation s’est aggravée à la mort de sa mère, qui a succombé à l’alcool à 54 ans, en 1978. Elle buvait parce que son fils buvait.  » Best a développé un terrible sentiment de culpabilité qui l’a rongé jusqu’à la fin de sa vie : sa mère n’avait pas accepté son style de vie et il avait été absent durant sa terrible déchéance. Vingt ans plus tard, il a confié qu’il ressentait toujours un énorme chagrin.

7. To be George Best

Jamais encore un footballeur de 22 ans n’avait obtenu cette prestigieuse récompense : le Ballon d’Or… De 1963 à 1968, ses succès sont allés crescendo : deuxième, premier, quatrième, premier, deuxième en championnat. Puis la Coupe d’Europe des Clubs Champions en 1968, la première pour un club anglais. Puis… plus rien. Il a quand même été élu Footballeur britannique du siècle. Sa chanson préférée était Vincent, de Don McLean. Brian Kennedy l’a entonnée en guise d’hommage à son enterrement en 2005.  » Ah, but I could have told you George, this world was never meant for one as beautiful as you. « Une ombre s’étend sur la statue d’Old Trafford. To be George Best : finalement, il n’y est jamais parvenu.

RAF WILLEMS À MANCHESTER – PHOTOS: IMAGEGLOBE

 » Les filles me couraient après car moi, je n’osais pas prendre d’initiative. « 

 » Si le football est un art, alors je suis un artiste « 

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