L’argent ne REMPLACE RIEN

Rencontre avec l’avocat de l’Association des familles des victimes.

Daniel Vedovatto (55 ans) a défendu les intérêts des familles de 27 victimes et de 18 blessés, ce qui représente 144 parties civiles. Comme depuis, les rapports professionnels qu’il avait avec Otello Lorentini se sont transformés en liens d’amitié, il a pu apprécier l’effet du temps sur la mémoire des familles des victimes.

 » Je sais qu’Otello n’a toujours pas pardonné la mort de son fils. Comme ce n’est pas mon rôle de savoir si les parents des victimes avaient l’intention de pardonner ou non, je ne leur ai jamais posé la question alors que nous nous rencontrions trois à quatre fois par an. Il est possible que la plupart pensent comme Otello. Chacun est patron de son chagrin. Il aurait également fallu le demander à l’épouse de Domenico Russo : cette jeune dame était enceinte de cinq mois à la mort de son mari. Lors de la dernière rencontre, elle s’était présentée avec son nouveau compagnon, apparemment heureuse de vivre. Elle était jeune, elle a refait sa vie mais elle n’a pas oublié « .

L’efficace machine judiciaire belge

Comment s’est déroulé le procès ?

Daniel Vedovatto : La machine judiciaire belge a bien fonctionné : les trois degrés de juridiction en six ans, ce n’est pas mal. Dans d’autres circonstances, l’affaire serait toujours en cours. Au niveau pénal, les responsabilités de chacun ont été bien individualisées. Je parle en tant qu’avocat car l’homme, amateur de football, garde toujours un manque parce qu’on ne va pas au stade pour mourir. Cela ne signifie pas pour autant que tout s’est déroulé tranquillement car la machine judiciaire est très froide. Surtout qu’à l’époque, les parties civiles étaient considérées comme quantité négligeable. Ce n’était pas facile d’entendre Albert Roosens prétendre que le stade du Heysel était en parfait état et l’UEFA affirmer qu’elle n’avait rien à voir dans toute cette histoire. Dans ce cas, nous n’avions pas choisi la solution de facilité en voulant démontrer qu’il existait un lien de causalité directe entre le drame et la fédération européenne. Nous avons introduit une demande en citation en correctionnelle parce que le procureur du Roi a dit que l’UEFA n’y était pour rien. Les avocats de l’UEFA se sont présentés en nombre au tribunal avec un gros dossier de conclusions tentant à prouver que notre requête était inacceptable. Le juge nous accorda 24 heures pour le lire et y répondre. Arguant que la quantité de documents était importante, le juge a porté le délai à trois jours. Avec un ami, Michel Delorge, nous avons planché pendant ce délai sans relâche et quand je suis arrivé au tribunal, j’étais crevé et ma plaidoirie s’en est ressentie. Après le premier jugement qui leur donnait raison, les avocats de l’UEFA se sont présentés vers moi et sur un ton arrogant m’ont lancé : -Tu as compris maintenant ? Ce mépris à l’égard des victimes a fait mal aux familles. Mais nous ne voulions pas que l’UEFA passe à travers les mailles du filet. Nous n’avons pas cru à la fable du pot de fer contre le pot de terre et nous avons bien fait puisque la Cour nous a donné raison tant en appel qu’en cassation. Les hooligans avaient débauché 40 avocats auxquels il faut ajouter une bonne dizaine alertée par les autres parties ; les trois avocats de l’UEFA qui m’ont apostrophé au terme du premier niveau étaient des juristes bien installés alors que moi, j’avais la trentaine.

A l’époque, on a prétendu que la motivation première de l’Association était l’argent.

Je tiens à préciser que ce sont sans aucun doute les parties civiles qui ont le moins parlé d’argent. Les parents des victimes sont tous restés dignes et n’ont fait aucune déclaration fracassante. Le problème, c’est qu’il n’y a pas eu de provisions, pas de montants à valoir. C’est un secret de Polichinelle : les compagnies d’assurances ne voulaient pas payer et elles ont joué un mauvais rôle, obligeant les avocats à se montrer très rigides. Mais une fois le jugement tombé, le paiement a été effectué assez rapidement.

La question des dédommagements

Le sujet des dédommagements est très délicat : les parents ne veulent pas s’exprimer sur la question sans doute parce que la vie d’un fils ou d’un père n’a pas de valeur.

Il y a deux types de dommages, le matériel et le moral. Le premier s’articule sur deux axes, qui impliquent le remboursement de tous les frais réels et la compensation du manque à gagner. Tous les frais exposés par les familles des victimes ont été remboursés. Il y a eu un cas où la Cour a estimé que les frais prouvés étaient trop importants. Il s’agissait d’une famille qui avait décidé d’organiser des funérailles somptueuses à leur fils unique : cette attitude est compréhensible de la part de parents ayant perdu leur seul enfant. On a prétendu, de manière cynique, que la facture était fausse. Mais comme cette famille ne faisait pas partie de l’Association, je ne peux en dire plus.

Le manque à gagner est basé sur la déclaration d’impôts. La mentalité en Belgique est d’accorder le minimum que l’on peut et, en cas de doute, ce n’est jamais à l’avantage de la victime. Ceux qui ne travaillaient pas n’avaient aucune valeur économique : un enfant ne subvient pas aux besoins de la famille. Mais comment estimer le manque à gagner d’une famille qui tenait un magasin et dont le fils, mort au Heysel, était le seul habilité à le gérer ? Les parents, qui n’avaient effectué que leurs études primaires, ne pouvaient pas le reprendre. D’un autre côté, qui peut assurer que le jeune homme aurait persévéré dans cette activité jusqu’à la pension ?

Le problème était corsé par le fait qu’en Italie la déclaration fiscale n’était û pour ainsi dire û pas obligatoire : les gens devaient tout faire et ne rentraient pas leur modèle 740. Il y a eu un cas extrême : une des victimes, père de cinq enfants, n’avait pas rentré de déclaration fiscale depuis plusieurs années, il était conseiller communal, entrepreneur en construction et ses revenus permettaient à toute la famille de vivre convenablement. En principe, sa famille n’aurait pas eu droit à des dédommagements mais cela revenait à la sanctionner pour un fait qui n’avait rien à voir avec le drame du Heysel…

Le dédommagement moral a eu lieu selon des montants à majorer de 7 % d’intérêts fixés comme suit : 6.200 euros pour la perte d’un conjoint, 4.340 euros pour un enfant cohabitant qui a perdu son père, 2.000 euros pour un enfant non cohabitant qui a perdu son père ; 4.340 euros pour la perte d’un enfant unique.

La Cour n’a pas tenu compte des problèmes psychologiques.

Le problème psychologique n’a pas été pris en considération. Il y a des gens qui sont devenus agoraphobes, d’autres ont des handicaps mais ils doivent prendre leur mal en patience.

Les blessés ont été mieux dédommagés ?

La loi belge est ainsi faite. Je n’ai représenté que 18 blessés sur les 502 recensés et je crois qu’il n’y a en a pas beaucoup qui se sont pourvus en justice. Dans ce cas, un accord a été négocié et obtenu avec les avocats représentant ceux qui payaient sur base d’un rapport de médecins italiens, soit un rapport unilatéral. Ils ont accepté d’accorder les montants qui avaient été demandés. Heureusement, car on serait peut-être encore là en train de plaider.

Qui a payé ?

L’Etat belge, l’UEFA et l’Union Belge via leurs compagnies d’assurance.

A combien peut-on estimer le montant total ?

Un peu plus de 5 millions d’euros.

Que vous inspire tout cela 20 ans plus tard ?

Qu’il m’arrive d’avoir peur quand je vais au stade, comme ce fut le cas récemment avec ma fille de 9 ans.

Nicolas Ribaudo, envoyé à spécial Arezzo

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