Après huit journées, la Fiorentina est le leader surprise d’une édition de Serie A qui s’annonce particulièrement indécise. Arrivé du FC Bâle cet été, le technicien portugais Paulo Sousa est l’acteur principal de ce retour au premier plan.
4 octobre 2015, 6086 jours après avoir occupé seule la tête du championnat italien pour la dernière fois, la Fiorentina trône à nouveau en tête de la Serie A. Cela nous ramène donc en février de la saison 1999-2000, avec le duo Edmundo–GabrielBatistuta en attaque, l’élégant Rui Costa en numéro 10 et Giovanni Trapattoni sur le banc de touche. C’est aussi la dernière fois que Florence a rêvé d’un hypothétique scudetto qui lui échappe depuis maintenant 46 ans. Les tifosi y croyaient dur comme fer avant que la blessure de l’attaquant argentin ne mette fin à cette épopée. Seulement trois ans plus tard, la Fiorentina fait faillite et repart de la quatrième division avec le nom de Florentia Viola. Le retour en Serie A fut relativement rapide et le club obtient même de jolies satisfactions durant l’ère Cesare Prandelli, mais jamais il ne se mêla de nouveau à la course au titre.
LA PATTE SOUSA
» Sousa, gobbo di m… « , c’est le tag que l’on pouvait lire sur un mur de la ville au lendemain de la nomination du Portugais au poste d’entraîneur. » Gobbo » signifie » bossu » dans la langue de Dante, mais Paulo Sousa n’est pas du tout victime de cette malformation physique. En Italie, c’est un synonyme de » juventino » et l’auteur de ce gribouillis insultant se référait à ses deux années passées à la Juve en tant que joueur. La Vieille Dame, club haï et honni par tout supporter florentin qui se respecte, à tel point qu’un passage relativement court il y a vingt ans peut vous créer des problèmes. Folklore local un brin ridicule, mais qui traduit très bien le contexte dans lequel a débarqué le natif de Viseu. Et ce n’est pas tout, au début de l’été, le peuple violet prend en grippe la direction lui reprochant un manque d’ambitions. Constat objectivement sévère quand on sait que la Fiorentina reste sur trois quatrièmes places consécutives, un résultat en parfaite adéquation avec ses moyens financiers. Mais le tifoso fiorentino est comme cela, historiquement exigeant au point de perdre parfois le sens des réalités.
Ce climat pesant n’a cependant pas effrayé Paulo Sousa comme il l’avait déclaré lors de sa conférence de presse de présentation : » Je comprends que l’on se souvienne de moi en tant que joueur de la Juve, mais j’espère que tous ces supporters se rappelleront de moi pour tout le travail fait ensemble, et après avoir atteint des résultats importants. » Profil bas, pas pour amadouer ses nouveaux tifosi, mais parce que c’est bien le caractère du bonhomme. Il suffit d’analyser son parcours pour s’en assurer, un aspect que son compatriote José Mourinho a récemment tenu à souligner : » Paulo est un grand, je suis content pour lui. Il a travaillé beaucoup pour en arriver là. Il y a des entraîneurs qui ont commencé tout de suite dans des grands clubs sans faire d’expériences fondamentales au préalable. Lui a été humble, il a voyagé à travers la Hongrie, Israël, la deuxième division anglaise, la Suisse. Et maintenant qu’il est prêt, il est arrivé en Italie. Il étudie, il s’informe. On voit sa patte dans le jeu de la Fiorentina. »
En plus de ce cursus atypique, le Portugais a eu l’humilité de s’inspirer du travail de son prédécesseur, ce Vincenzo Montella qui a régalé la Serie A trois ans durant avant que l’aventure ne se finisse en eau de boudin pour des divergences avec la direction. » J’ai été un très grand fan de ce qu’il a fait, il a mis en place un football déterminé, qui avait de la personnalité. C’est un style dans lequel je m’identifie. C’est risqué certes, mais pour atteindre certains objectifs, il faut proposer du jeu et non subir. » Toutefois, si cette équipe développait le football le plus plaisant de la Serie A, elle manquait beaucoup trop d’efficacité et tendait trop souvent à se déséquilibrer. C’est aussi pour cela que le rapport entre Montella et les supporters s’était détérioré ces derniers mois. Bien jouer, c’est beau, gagner, c’est mieux.
UN MERCATO RÉUSSI
Trouver un équilibre, voici la première chose que Paulo Sousa s’est attelé à faire. Finis les trois milieux relayeurs constamment alignés pour tripoter le ballon, place à des profils de récupérateurs tels que Milan Badelj, Matias Vecino ou encore Mario Suarez. Et ce sont les défenseurs centraux qui peuvent pousser un ouf de soulagement. Dès l’été, les résultats se voient avec des succès de prestige contre le Barça à domicile et Chelsea à l’extérieur. C’est un premier signal, et surtout, ces victoires facilitent l’empathie envers le nouvel arrivant de la part des supporters. Très vite, les plus pessimistes d’entre eux sont contraints de faire leur mea culpa devant la culture du travail démontrée par l’ancien coach de Bâle. Son style, son charisme, son équilibre dans les propos ont fait leur effet en l’espace de quelques semaines. Contrairement à Montella qui lançait volontiers des pics à sa direction, Sousa attend patiemment les recrues et cherche à exploiter au mieux les hommes déjà à disposition.
Une campagne de transfert très discrète mais réussie si on s’en tient à une étude récente de la Gazzetta dello Sport, démontrant que les renforts les plus rentables de la Serie A sont pour le moment l’ailier polonais Kuba Blaszczykowski et l’avant-centre croate Nikola Kalinic. Deux joueurs arrivés sur la pointe des pieds et coûtant tout juste 8 millions d’euros à eux deux. On est bien loin des 20 millions plus 4 de salaire annuels déboursés pour le buteur allemand Mario Gomez il y a deux étés. Comme quoi, pas forcément besoin de Top player pour passer un palier supplémentaire. Pas exigeant en termes de renforts, Sousa réclame surtout des joueurs fonctionnels pour son projet de jeu qui diverge de son prédécesseur. Le tiki-taka horizontal a laissé place à un jeu plus vertical et direct, basé en partie sur les contre-attaques. Une stratégie plus facile à amorcer lorsque le ballon est récupéré plus haut, précisément de cinq mètres, et que la défense agit beaucoup plus proche du rond central. Se projetant beaucoup plus facilement vers l’avant, cette Fiorentina a déjà inscrit 15 buts contre 5 l’année passée. Mais surtout, elle a gagné en efficacité, en attestent les 18 % de réussite au niveau des tirs tentés, un chiffre qui était seulement de 6 l’an passé. Et le danger peut venir de partout, 8 des 10 éléments offensifs ayant déjà trouvé le chemin des filets.
Parmi eux, Borja Valero, véritable maître à jouer du cycle Montella. Le milieu de terrain avait connu une dernière saison très compliquée. Sousa en a déduit qu’il fallait l’épargner d’une partie des tâches défensives afin que le milieu de terrain maintienne cette lucidité nécessaire dans les 20 derniers mètres. Remonté d’un cran, il est redevenu le métronome que l’on connaissait avec 92 % de passes arrivant à bon port. D’autres éléments ont bénéficié de la cure portugaise, c’est le cas de l’arrière-gauche ibérique Marcos Alonso et du milieu offensif slovène Josip Ilicic. De plus, cet effectif possède une marge de progression encore très importante. Les jeunes attaquants Khouma Babacar et Federico Bernadeschi doivent encore exploser définitivement tandis que Giuseppe Rossi revient doucement mais sûrement de quasiment deux ans d’inactivité. Voilà une arme redoutable quand il sera totalement opérationnel.
LA SAISON OU JAMAIS
Victoire contre le Milan (2-0), le Genoa (1-0), Carpi (1-0), Bologne (2-0), l’Inter à San Siro (4-1), l’Atalanta (3-0) et un revers 3-1 chez le Torino lors de la 3e journée. Jamais la Fiorentina n’avait aussi bien démarré une saison, au point d’inspirer une boutade de Matteo Renzi, Premier ministre italien, ancien maire de Florence et fidèle supporter viola : » J’ai pensé à un décret pour stopper le championnat maintenant, mais je crois que ce serait légèrement anticonstitutionnel « . Les collègues de Paulo Sousa ne tarissent pas d’éloges à son encontre, et parmi eux, certains le connaissent très bien : » C’était mon coéquipier à la Juve et il avait des convictions tactiques très claires. Regardez quel milieu on formait avec lui, moi et Deschamps, » a fait remarquer un Antonio Conte amusé. Marcello Lippi voit là un autre de ses anciens joueurs embrasser le métier d’entraîneur avec succès : » On parlait souvent de l’importance d’agresser les adversaires. Il était d’accord et je vois qu’il a transposé ce concept sur le terrain. » Enfin, Giovanni Trapattoni a déjà connu cette situation il y a 16 ans et y va de son petit conseil : » Qu’il se bouche les oreilles de temps en temps, car Florence est très belle, mais aussi très exigeante. »
Depuis la reprise des hostilités après la trêve internationale, la Fiorentina a enchaîné avec un déplacement à Naples (défaite 2-1) avant la réception de la Roma pour un duel au sommet dimanche prochain. Si elle passe sans encombres ce dernier obstacle, il faudra prendre sérieusement en compte sa candidature pour le gain du scudetto. Et vu les difficultés de la Juventus, ainsi que les incertitudes de nombreux outsiders, il semblerait que cela soit la saison ou jamais pour déjouer tous les pronostics. Si Paulo Sousa réussit cet exploit, nul doute qu’il deviendrait l’égal de Michel-Ange, Leonard de Vinci et Raphaël au sein du berceau de la Renaissance.?
PAR VALENTIN PAULUZZI – PHOTOS BELGAIMAGE
Malgré les réticences initiales, Paulo Sousa a déjà conquis le coeur des Florentins.
Valero est redevenu le métronome que l’on connaissait avec 92 % de passes arrivant à bon port.