Kevin Mirallas

Du Standard à Everton, l’attaquant international n’a pas connu une trajectoire linéaire, passant par une galère à Saint-Etienne et une renaissance en Grèce.

Et si Kevin Mirallas devait son renouveau à un morceau de plage, du soleil et une maison avec vue sur la mer ? Le destin peut parfois réserver des surprises et prendre des raccourcis. Il peut aussi jouer des tours. Quand, en 2010, la carrière de ce jeune espoir, pionnier parti chercher fortune à l’étranger chez les jeunes et lancé dans le bain très tôt, s’embourbe, personne ne prend vraiment au sérieux son transfert à l’Olympiacos. Son histoire prend le même chemin que celui de ces espoirs perdus dans les méandres de la jungle footballistique, encensés trop tôt et grillés trop vite. C’est mal connaître le caractère du gamin, reconnu pour ne jamais rien lâcher et qui croit en sa belle étoile.  » Dans sa tête, il ne s’agissait pas du tout de sa dernière chance « , explique son père, José.

Pourtant, le championnat grec ne ressemble pas à la compétition idéale pour rebondir. On y va pour finir sa carrière paisiblement au soleil de la mer Egée. Ou parce qu’on n’a pas assez de talent pour l’Espagne, l’Allemagne, l’Italie ou l’Angleterre. On y va lorsqu’on est enlisé dans un club. Pourtant, lorsqu’en 2010, Mirallas quitte ce Forez qu’on lui prédisait incandescent et qui s’avéra pour lui davantage un pétard mouillé, il y va avec une idée derrière la tête. Celle de prouver à tout le monde que Saint-Etienne s’est trompé sur son compte et qu’il vaut largement mieux qu’une voie de garage. Sa destination, il la choisit non pas par défaut mais par passion.  » Il aurait pu aboutir en Espagne comme il en a toujours rêvé « , ajoute José,  » mais la crise financière commençait à sévir et les clubs espagnols ont fermé la porte lorsqu’ils ont appris son salaire à Saint-Etienne. Il a alors vraiment eu un coup de coeur pour l’Olympiacos. Il avait rencontré le club à deux reprises en Europa League avec Saint-Etienne et il avait été séduit par l’ambiance. Il a été visiter le stade et les installations et il m’a dit – Papa, c’est un bon club pour moi.  »

Dieu vivant au Pirée

Ce tournant, il risque encore de le raconter à de nombreuses reprises. Car au lieu de s’enterrer, Mirallas renaît. Au Pirée, il devient une icône. En deux saisons, il réussit ce qu’aucun autre Belge n’était parvenu à faire avant lui : écrire l’histoire de ce club mythique. Deux titres (le 38e et le 39e du club), 34 buts (meilleur réalisateur de son équipe en 2011 avec 14 buts, meilleur buteur du championnat grec en 2012 avec 20 buts). En 2012, il est même élu meilleur joueur de la saison et devient le joueur de l’Olympiacos à avoir vendu le plus de maillots en une saison devant… Rivaldo. Il faut dire qu’en marquant deux buts contre le Panathinaikos, le rival honni, pour sa première saison en Super League, il s’était fait une place de choix dans le coeur des supporters locaux.  » Ces deux réalisations ont fait de Kevin un dieu vivant, ni plus ni moins « , dit celui qui fut son coéquipier lors de cette première saison grecque, Urko Pardo. Ses exploits grecs le remettent en lumière, lui qui a toujours eu une place de choix au sein de la sélection belge. Chez les Diables Rouges, il n’avait pas totalement disparu des radars mais l’année 2010 ne lui avait réservé que deux sélections. D’indispensable, il en était devenu dispensé. Celui qu’on appelle quand on n’avait plus personne à appeler.

 » S’il n’a pas sauté du noyau cette année-là, c’est parce qu’il avait tout vécu avec ce groupe, des Jeux olympiques aux galères chez les A mais aussi parce que les sélectionneurs ont toujours bien aimé son profil et sa polyvalence « , nous expliqua un jour son agent, Christophe Henrotay. Il était cependant temps qu’arrivent la résurrection, sa maison au bord de la mer dans un petit village de la côte nommé Vari, et ses buts à la pelle pour l’Olympiacos. Et voilà comment on remet sur les rails une carrière qui stagnait quelque peu.

Un coeur rouge et blanc

Car, pour lui, tout a débuté dans un petit village de la commune d’Hannut, à Villers-le-Peuplier. Sixième d’une famille de sept enfants (cinq garçons et deux filles), le petit Kevin grandit en regardant son père et ses frères jouer au football.  » A deux ans, il tapait déjà dans la balle et quand il n’en trouvait pas, il prenait une boulette de papier et en fabriquait une « , explique José Mirallas. A cinq ans, il rejoint le club du paternel à Lens-St-Remy.  » Il avait déjà une belle frappe et pointe de vitesse. Dès qu’il avait fait ses devoirs, il filait dans le jardin pour jouer au foot. Le dimanche matin, il ne regardait pas les dessins animés mais cherchait les chaînes de foot.  » Le virus était entré, il n’en sortira plus. Les semaines sont rythmées par le ballon rond davantage que par les cours d’école.  » S’il n’avait pas percé dans le football, je ne pense pas qu’il aurait fait de hautes études « , rigole son père.  » Au grand malheur de sa mère, il était trop obnubilé par le foot et c’est à coup de crosses qu’il fallait lui faire entrer dans la tête ce qu’il apprenait à l’école.  »

En 1995, alors qu’il n’a que huit ans, le Standard le repère.  » La décision ne fut pas facile à prendre « , continue José Mirallas.  » On savait qu’il fallait faire des kilomètres ; sa mère pensait à ses études et finalement, elle a été convaincue quand le Standard a bien expliqué que son évolution sportive s’accompagnerait d’un encadrement scolaire.  » Alors que le père pensait à une carrière en Promotion pour son fils, le voilà à le conduire dans le saint des saints de la région, le Standard de Liège. Ces années vont le forger un coeur rouge et blanc à jamais.

Une sainte horreur de perdre

 » Encore aujourd’hui, le Standard demeure le club qu’il supporte « , relate José Mirallas. Au Sart-Tilman, il joue toujours un an au-dessus de sa catégorie mais il n’est pas le seul. La génération 1987 fait parler d’elle. Elle regroupe les Jonathan Legear, Jordan Remacle ou Sébastien Pocognoli.  » On a évolué trois, quatre bonnes années ensemble « , se souvient Poco.  » Sous la houlette de Simon Tahamata, Alex Czerniatynski ou Gilbert Govaert. C’était déjà le buteur de l’équipe. Normal, j’étais son pourvoyeur officiel (Il rit). Il avait une bonne technique car il faisait parfois du futsal à Waremme et on le charriait car il était assez personnel. Il regardait toujours le but. Comme tous les gars de cette génération, il jouait à la liégeoise ; il se battait sur tous les ballons et mouillait son maillot.  »

 » C’est vrai qu’il est teigneux sur un terrain « , témoigne son père.  » Il ne supporte pas de perdre et quand cela lui arrivait, il parlait pendant une heure des erreurs commises durant la rencontre.  » Au Standard, il est marqué par les entraînements de Tahamata, pour qui l’important consiste à oser, à prendre du plaisir. Son amour pour le beau geste vient de là et lui restera toute sa carrière.

Pourtant, les histoires d’amour finissent mal. En général. Et chez les Mirallas, c’est le cas.  » Mon premier rêve était de devenir footballeur professionnel, mon second sous le maillot du Standard. Malheureusement, cela n’a pas été possible « , expliquera plus tard l’attaquant. Lille profite de l’immobilisme des dirigeants liégeois, de leur frilosité à lancer des jeunes mais également de la pauvreté de leurs infrastructures à une époque où l’Académie Robert Louis-Dreyfus n’est pas encore construite. Il part alors pour le LOSC qui l’a repéré dans un tournoi de jeunes.

Lille, un autre monde

A une époque où les jeunes belges n’ont pas encore pris l’habitude de perfectionner leur formation à l’étranger, Mirallas fait figure de pionnier. Et comme cette fuite de talents n’est pas encore inscrite dans les moeurs, il est montré du doigt. On lui colle l’étiquette du jeune qui privilégie l’argent à l’apprentissage.  » J’ai toujours dit que ce n’était pas pour l’argent que Kevin était parti à Lille « , se défend José Mirallas,  » D’ailleurs, il n’était pas du tout payé à Lille. Les dirigeants lillois nous ont juste aidé à me trouver un emploi en France, comme toute la famille déménageait dans la région lilloise dans le sillage de Kevin. Mais en 2003, la fédération belge a changé les jours de prestation de la Réserve du vendredi au lundi. Cela signifiait donc que tous les pros qui n’avaient pas joué le week-end étaient reversés avec la Réserve le lundi et qu’il ne restait quasiment plus de place pour les jeunes.  »

Pourtant, ce choix s’avère payant. A Lille, il découvre un autre monde. Plus professionnel.  » Outre l’entraîneur principal, il y a des préparateurs spécifiques qui se chargent soit du technique soit du physique trois à quatre fois par semaine « , confie-t-il à Sport/Foot Magazine en 2005, deux ans après son arrivée.  » Les joueurs sont répartis en différents groupes selon leurs qualités. Un garçon doué techniquement ne se retrouvera pas avec ceux dont le jeu est essentiellement basé sur le physique. Et vice versa, celui qui est très fort physiquement ne se retrouvera pas au milieu de manieurs de ballons où il perdrait son temps.  »

Merci Claude Puel

Rapidement, il gravit les échelons. A 16 ans, le voilà qui débute en équipe A, alors dirigée de main de fer par Claude Puel, un entraîneur réputé pour lancer des jeunes.  » J’ai l’impression que le rêve de Claude Puel est d’aligner une équipe entièrement issue du centre de formation « , s’amuse-t-il à dire. Tant mieux pour lui. L’entraîneur français assiste à tous les matches des -16 ans, -18 ans et de la Réserve. Il suit particulièrement Mirallas et lui dit d’améliorer son mental, son jeu de tête et sa protection de balle. Si le jeu de tête reste perfectible, les deux autres points ont largement été corrigés. Puel l’oblige à prester des heures supplémentaires à s’entraîner sur des potences garnies de ballons.  » Puel a ses principes. On y adhère ou on n’y adhère pas. Je n’ai pas toujours eu un super feeling avec lui, mais malgré les accrochages qu’on a pu avoir, je dois le remercier pour tout ce qu’il m’a appris « , reconnaît-il. Un bel hommage.

Dans le Nord de la France, sa carrière prend donc son envol. 16 ans, courte apparition en Coupe UEFA ; 17 ans, première titularisation et 19 ans, première convocation chez les Diables. La vie lui sourit et la Belgique découvre un nouveau talent.  » A partir du moment où il est parti, nous avons été pris dans un tourbillon « , concède son père.  » Il est peut-être apparu trop tôt chez les Pros. A un moment, ça va tellement vite que ce n’est plus nous qui décidons.  »

Il prend alors la vie avec l’arrogance de celui à qui tout réussit. Puel le remarque vite et en bon père fouettard le remet parfois à sa place.  » Il nous a apporté sa fraîcheur mais il doit encore faire la différence entre le collectif et l’individualisme « , lâche celui qui est aujourd’hui entraîneur de Nice. A ceux qui lui reprochent une certaine confiance en lui, il rétorque par son tatouage de la jambe droite.  » Ilfautrêvertrèshautpournepasréalisertropbas « . Citation du journaliste, romancier et dramaturge français Alfred Capus, connu aussi sous ses noms de plume de Canalis et Graindorge pour le quotidien Le Figaro. Ce n’est pas de l’arrogance mais une saine ambition. Et sans doute ce qui lui a permis de ne pas croire en sa chute après l’échec stéphanois.

Au clash avec le LOSC

A Lille, il ouvre également la voie à un autre Belge qu’il couve de son attention, Eden Hazard. Il le considère comme son petit frère et aujourd’hui encore le compte comme un de ses meilleurs amis, au même titre que Daniel Van Buyten (ils ont le même agent) avec qui il part en vacances chaque année.

Pourtant, Mirallas part du Nord en claquant la porte. Il est comme cela. Il ne sait pas dire adieu aux clubs de son coeur sans pathos.  » C’est vrai que la situation était un peu tendue, à un moment donné « , explique Mirallas.  » Il y a eu certaines déclarations, juste avant mon départ pour les Jeux olympiques. Le nouvel entraîneur, Rudi Garcia, qui avait succédé à Puel, m’avait dit : – Je vais être honnête avec toi : si tu restes, tu joueras sur le flanc droit ! Je lui avais répondu : – Dans ce cas, je vais également être honnête avec vous : cela ne m’intéresse pas !  » Avant son départ pour la Chine, il convoque la presse pour annoncer son départ pour Saint-Etienne alors que les dirigeants lillois n’ont pas encore donné leur feu vert. Les négociations vont s’éterniser mais Mirallas va finir par obtenir son bon de sortie contre 4,5 millions d’euros.

Bienvenue pour deux saisons en enfer. A Saint-Etienne, Mirallas coule.  » Il est arrivé déjà cramé « , explique Bernard Caïazzo, co-président de Saint-Etienne à cette époque.  » Il avait été au clash avec Lille et il est arrivé avec une étiquette d’ingérable, ce qui ne correspondait pas vraiment au garçon. Ça n’a pas facilité son intégration.  » D’autant plus que le cas Mirallas divise au sein même de la famille des Verts. Alors que Caïazzo et l’entraîneur en place, Laurent Roussey,soutiennent son transfert, l’autre co-président Roland Romeyer n’est pas convaincu. Roussey laisse très vite la place à Alain Perrin puis la saison suivante à Christophe Galtier avec lequel Mirallas avait eu un échange de mots alors que Galtier était encore adjoint.

L’enfer, c’est les autres

 » J’étais encore un gamin quand j’évoluais en France. Je ne réalisais pas que le football était mon travail avant d’être un hobby. La décision de quitter Lille n’était pas une aberration mais une fois arrivé à Saint-Étienne, je n’ai pas fait ce qu’il fallait sur le terrain et en dehors. A Saint-Etienne, je ne comprenais tout simplement pas ce qui m’arrivait : alors que j’avais toujours eu les faveurs partout, voilà que ça coinçait subitement. Dans mon esprit, ce n’était pas moi le fautif mais les autres. A commencer, bien sûr, par le coach. Je lui en voulais à mort. A la maison, c’était la guerre car je n’étais pas à prendre avec des pincettes.  »

Autre problème : sa volonté d’absolument évoluer en pointe. C’est pour cette raison qu’il a quitté Lille mais cela foire. Ce n’est qu’en Grèce qu’il se rend compte qu’il a davantage d’avenir dans le couloir droit que comme pivot.  » Je ne suis plus taillé pour jouer seul en pointe, je n’en ai pas la carrure « , reconnaît-il en 2011, l’année de sa renaissance. Un bonheur qui se prolonge en dehors du terrain. Cette année-là, il se marie avec Christelle qu’il a rencontrée en 2004 lors d’un voyage en Tunisie. L’histoire ne dit pas si le mariage eut lieu sur une plage en bord de mer. Par contre, on sait désormais que ce sont les flots bleus de la Mer Egée qui l’ont conduit au nirvana de la Premier League où, depuis deux ans, il s’épanouit pleinement.  » Il ne lui manque que le climat grec « , conclut d’ailleurs José Mirallas.

En Angleterre, il s’est fait un nom grâce à ses déboulés et quelques buts d’anthologie. Grâce aussi un tout petit peu à sa Bentley dorée. La légende de Goldfinger a trouvé un terrain pour s’épanouir.

PAR STÉPHANE VANDE VELDE

 » Quand il perdait, il parlait pendant une heure des erreurs commises  » José Mirallas, son père

 » J’étais encore un gamin lorsque j’évoluais en France  »

 » Il faut rêver très haut pour ne pas réaliser trop bas  » Le tatouage sur sa jambe droite

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