« JE VOULAIS ÊTRE ÉCRIVAIN « 

Le gardien de but gabonais Didier Ovono veut à tout prix assurer le maintien d’Ostende. Il parle de son combat sportif mais aussi de sa vie.

Didier Ovono parque sa Mercedes 525i, immatriculée en France, sur un emplacement réservé aux arrêts de courte durée de l’hôtel Ter Streep. Il accuse un retard d’une heure trois quarts. Il s’excuse : il vient de passer une radiographie.

Ovono habite un appartement au coin mais il reste domicilié en France.  » J’y vis depuis quatre ans. Dans un an, je pourrai acquérir la nationalité française. Mon fils cadet y est né et je ne veux pas le déraciner.  » Sa femme Daniella se trouve en Afrique, pour le moment.  » Elle est mannequin et styliste de sa propre marque. Elle effectue des défilés au Gabon, au Niger et au Sénégal. J’ai fait sa connaissance par hasard, dans un hôtel de Libreville. Nous n’avions jamais entendu parler l’un de l’autre alors que nous sommes connus dans notre branche. Je lui ai adressé la parole à un kiosque et ce fut le coup de foudre.

C’est une femme de coeur, qui s’engage pour les orphelins et les jeunes mères célibataires, au Gabon. Nous sommes mariés depuis trois ans et nous avons un fils de deux ans.  » C’est son deuxième.  » Le premier est né d’une autre relation, à l’époque où je ne vivais pas comme un professionnel. J’étais jeune, international, un des plus jeunes gardiens d’Afrique mais je n’étais pas bien entouré ni prêt à affronter la célébrité. J’ai fait des bêtises.  »

Quelles bêtises ?

Didier Ovono : Je suis sorti en discothèque et je n’ai pas été sérieux avec les femmes. C’est ainsi que mon premier fils est né. Mon amie et moi étions jeunes et nous n’étions pas prêts à avoir un enfant. Nous n’en avions pas les moyens et nul ne pouvait nous aider. À cause de nous, Herly n’a pas le bonheur de grandir entouré de ses deux parents. C’est pour ça que je dis que c’était une bêtise. Je pensais que tout était facile, je ne me rendais pas compte que les filles qui voulaient poser pour une photo en ma compagnie – et plus – ne voyaient que le footballeur. J’ai grandi dans une famille pauvre, mon père m’a inculqué certaines valeurs mais je n’en ai compris l’importance qu’une fois devenu footballeur professionnel et international. Sortir ne m’intéressait pas vraiment mais les autres allaient en discothèque après les matches et… voilà, j’étais jeune, j’avais de l’argent, j’étais populaire. Je ne comprenais pas que mes proches souffraient en lisant dans la presse que j’avais perdu un match mais que la nuit précédente, on m’avait vu en boîte avec trois filles.

Didier de père en fils

Combien de copines avez-vous eues ?

Pas tellement car j’ai rapidement fait la connaissance de la mère de mon premier enfant. Elle m’accompagnait en boîte et je ne pouvais donc pas me permettre de sortir avec d’autres filles. Mon éducation ne m’y autorisait pas. Mes parents m’ont conseillé de choisir le plus vite possible celle avec laquelle je voudrais partager ma vie. Je regrette que mon fils aîné ne vive pas avec moi mais je reste en contact avec lui. Il s’entend à merveille avec ma femme et son demi-frère. Il veut devenir footballeur.

Gardien ?

Non, attaquant.

Pourquoi pas gardien ?

Parce qu’un avant gagne plus facilement sa vie en football. Un gardien africain a du mal à s’imposer en Europe. Mon cadet, Didier Junior, aime aussi le football. Au Gabon, nous jouons tous les trois sur la plage.

Pourquoi lui avez-vous donné votre prénom ?

Je ne sais pas. Mon père s’appelait Didier aussi, comme un de mes deux frères : Didier Beranger. C’est le seul prénom qui me soit passé par la tête : Didier Junior. C’est un enfant merveilleux. Samuel Eto’o lui a déjà signé un ballon. Plus tard, je lui expliquerai qu’Eto’o a gagné le Ballon d’Or africain à quatre reprises et qu’il devra le remporter au moins deux fois !

Avant la Coupe d’Afrique 2012, vous avez été, avec Samuel Eto’o, le visage d’une campagne de sensibilisation au danger du sida. Vous connaissiez-vous ?

J’avais déjà joué contre lui en équipe nationale mais j’ai découvert un homme profondément gentil. Je n’ai jamais vu une star de son envergure rester aussi simple. J’ai également découvert la puissance sociale qu’exerce le football : le fait que deux footballeurs connus participent à cette campagne a quelque peu changé les mentalités.

Dans le but à 15 ans

Un des slogans était : le préservatif est la meilleure défense. Quand vous étiez célibataire, en utilisiez-vous ?

Oui. Un pro mesure l’importance de la santé. Quand vous sortez avec deux, trois ou quatre femmes, vous ne savez pas avec qui elles étaient la veille. La campagne a eu un grand mérite : on a enfin pu parler de ce problème. Parler de sexe est tabou mais quand des joueurs connus le font et disent qu’il ne faut pas en avoir honte, ça a un impact. De plus en plus de jeunes osent demander des préservatifs à leurs parents et ceux-ci sont plus conscients des dangers du sida. Thomas N’Kono m’avait mis en garde, à la Fundacion Marcet de Barcelone. Il m’avait prévenu :  » Ton corps est ton arme. Il peut te valoir une belle carrière alors protège-le.  » C’est là que j’ai commencé à aller chez le dentiste. En Afrique, c’était trop cher. On m’a également mis en garde contre les filles qui comptent le nombre de footballeurs avec lesquels elles couchent.

Comment avez-vous découvert le football ?

Mes parents avaient tous deux un emploi mais ils ne pouvaient quand même pas offrir tout ce qu’ils voulaient à leurs six enfants. Quand je dis que nous étions pauvres, d’ailleurs, c’est en comparaison avec l’existence que je mène maintenant. Je possède des maisons, des villas, des autos et je peux offrir à mes enfants tout ce qu’ils veulent. A la Noël, mon père avait acheté un ballon à ses trois fils. Ce n’était pas cher et nous étions ravis. Nous avons fait du sport dès notre plus jeune âge. Mon père s’adonnait à l’athlétisme. Il courait le marathon et quand il partait s’entraîner à six heures du matin, nous devions l’accompagner, avant d’aller à l’école. En football, j’ai débuté en attaque puis j’ai reculé dans l’entrejeu mais on ne m’a placé dans le but qu’à quinze ans.

Des maisons, des villas, des autos… Un gardien africain gagne bien sa vie ?

Oui, mais pour m’imposer, j’ai dû m’exiler au Salvador puis en Géorgie. Je ne veux pas que mon fils s’expose aux mêmes risques.

Comment se fait-il que des six enfants, vous soyez le seul à être devenu riche ?

J’ai eu de la chance. J’étais doué pour l’étude et le football. Après mes humanités, je me suis inscrit à l’université de Libreville tout en jouant pour un grand club. Après quatre matches, j’ai été sélectionné en équipe nationale. Déjà dans mon premier club, à Port-Gentil, ma ville natale, j’ai obtenu ma chance en équipe première à seize ans, grâce à la blessure d’autres gardiens. J’en suis déjà à 114 sélections pour les Panthères du Gabon.

Accueilli comme une star

Comment avez-vous intégré la Fundacion Marcet, l’école de football de Javier Marcet à Barcelone ?

Jairzinho, un ancien coéquipier de Pelé au Brésil, est devenu sélectionneur du Gabon en 2003. Il voulait nous apprendre à jouer comme le Barça et nous a envoyés en Catalogne. Le Barça B nous a rapidement menés 3-0 à cause d’un certain Messi, âgé de seize ans. Après une demi-heure, notre entraîneur a remplacé sa défense et le gardien. Je suis entré au jeu. Nous avons défendu sèchement, Messi s’est blessé et nous nous sommes imposés 3-4. N’Kono m’a alors demandé si j’avais envie de m’entraîner avec lui. Le ministère du Sport du Gabon m’a octroyé une bourse d’études. Une fois de plus, j’ai eu de la chance. Celle d’arriver tôt en Europe et d’avoir ainsi le temps de m’adapter.

Rêviez-vous de devenir footballeur professionnel ?

Non, j’ai étudié la littérature moderne à l’université de Libreville et je voulais devenir écrivain mais mon père est décédé. Je commençais à gagner ma vie grâce à l’équipe nationale et j’ai décidé d’abandonner mes études pour aider ma famille. J’ai eu la chance de travailler avec N’Kono, le plus grand gardien africain de tous les temps. Il m’a appris les ficelles du métier avant de m’envoyer à l’Alianza FC, au Salvador, à vingt ans.

Pourquoi aller jouer là-bas ?

Parce qu’on m’y a offert ma chance. Quand vous êtes jeune, Africain et gardien, il n’est pas évident de trouver un bon club en dehors de votre continent. En plus, Alianza est un grand club, qui possède le plus grand stade d’Amérique centrale et se produit devant des milliers de personnes. N’Kono avait joué en Bolivie et y avait laissé un excellent souvenir. On a accueilli son élève comme une vedette. 300 personnes m’attendaient à l’aéroport avec une banderole  » Bienvenidos Ovono «  et il y avait près de 3.000 spectateurs à mon premier entraînement. J’ai appris à gérer la célébrité et à me comporter en professionnel. J’étais accompagné d’un interprète qui veillait aussi à ce que je ne me laisse pas tenter par les discothèques. Lors de mon premier match, un derby, j’ai intercepté un penalty et nous avons gagné 1-0. Nous avons été sacrés champions et j’ai été élu meilleur gardien. C’est un de mes meilleurs souvenirs, avec les Jeux de Londres et la Coupe d’Afrique au Gabon. Ensuite, ma carrière a mal tourné. J’ai signé pour le FC Paços de Ferreira au Portugal mais Alianza a refusé de me libérer et je n’ai pas pu jouer pendant trois mois. J’ai passé un semestre à l’académie de Barcelone puis j’ai rejoint le Dinamo Tbilissi. Là, j’ai découvert l’Europa League, nous avons enlevé le titre, la Coupe et la Supercoupe. J’ai encore été élu meilleur gardien.

La France, une déception

Puis vous avez passé quatre ans en France, trois saisons au Mans et une à Sochaux.

Ce qui constituait un sujet de fierté pour un Gabonais s’est mué en déception. Le Mans a payé cher pour m’enrôler, un million, mais l’entraîneur m’a placé sur le banc. Après deux matches, il m’a quand même repris mais nous avons été rétrogradés. Je suis devenu capitaine en D2. Nous sommes restés en tête pendant trente journées puis nous nous sommes effondrés : nous n’avons gagné qu’un seul des huit derniers matches. Nous avons terminé quatrièmes. Nous avons raté la montée d’un but.

Que s’est-il passé ? Certains joueurs ne voulaient pas monter ?

Non. Nous manquions de maturité. Le club a connu des problèmes financiers et joue maintenant en D6. À Sochaux, j’ai d’abord fait banquette. On ne m’a aligné qu’en Coupe. Je voulais jouer davantage pour conserver ma place en équipe nationale mais je n’avais pas envie de retourner au Salvador ou en Géorgie. Je suis donc rentré au Gabon puis en novembre, Luc Devroe m’a offert ma chance à Ostende. C’est l’endroit idéal pour relancer ma carrière : c’est un club familial qui travaille sérieusement. Exactement ce que je cherchais.

PAR CHRISTIAN VANDENABEELE – PHOTOS: IMAGEGLOBE/ KETELS

 » Quand on est un gardien africain, trouver un bon club n’est pas évident.  »

 » J’ai eu la chance de travailler avec Thomas N’Kono. Il m’a appris les ficelles du métier.  »

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