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 » Je ne retiens que le positif « 

A 25 ans, Alberto Contador avait déjà remporté trois grands tours. Par la suite, il a connu des hauts et des bas. L’été dernier, après le Tour d’Espagne, El Pistolero a pendu son vélo au clou. Il évoque sa carrière.

Lors de la dernière année de sa carrière, Alberto Contador(34) était revenu habiter à Pinto, le village espagnol qui l’avait vu naître le 6 décembre 1982. Maintenant qu’il a pendu son vélo au clou, il va sans doute y rester. Avant cela, il s’était établi à Lugano, en Suisse. Son retour à Pinto pourrait être symbolique – la boucle est bouclée – mais Contador ne voit pas les choses de cette façon.

 » Si je suis revenu, c’est parce que tous les gens que je connaissais en Suisse avaient déménagé « , dit El Pistolero dans le patio de l’hôtel du centre de son village natal.  » Cela n’a rien de symbolique ; je suis tout simplement très fier de mon village, je suis très heureux d’y avoir grandi et d’y habiter.  »

Avec le recul, quel fut le meilleur moment de votre carrière ? Le Tour 2009, lors duquel vous avez battu Lance Armstrong et son équipe ?

Alberto Contador : Non, le Tour de France 2009 fut très compliqué et je n’ai pas pu savourer comme je l’ai fait en d’autres occasions. C’est incontestablement en 2014 que j’étais le plus fort (il a dû abandonner au Tour en raison d’une blessure au genou avant de remporter la Vuelta deux mois plus tard, ndlr). Les tests physiques ont démontré que j’étais alors en bien meilleure condition qu’en 2009.

Donc, vos plus grandes victoires ne coïncident pas avec le meilleur moment de votre carrière ?

Contador : Ça peut sembler bizarre mais certaines victoires qui peuvent paraître insignifiantes aux yeux du grand public ont eu beaucoup d’importance pour moi, comme Paris-Nice en 2007.

Parce qu’elle a obligé pas mal de gens à ouvrir les yeux…

Contador : J’y ai pris énormément de plaisir. Le Tour 2007 fut très spécial également, plus que celui de 2009. Les médias ne parlaient que de la rivalité entre Armstrong et moi mais je me concentrais sur l’aspect sportif : je voulais remporter ce Tour.

 » Je ne peux pas oublier le passé  »

Et dire que votre carrière aurait pu prendre fin à l’âge de 21 ans, suite à une chute au Tour des Asturies. Vous aviez des caillots de sang dans la tête et vous avez fait une hémorragie cérébrale.

Contador : Ce fut un tournant dans ma carrière. Quand on a 21 ans, on ne pense pas que ça peut arriver. Heureusement, même si elle était forte, l’hémorragie n’a pas provoqué de lésion. On m’a opéré et les médecins ont résolu le problème. Cela a changé ma façon de voir la vie. J’ai toujours respecté les valeurs que mes parents m’ont inculquées. Nous étions quatre enfants à la maison et nous ne roulions pas sur l’or. Mais quand on reste aussi longtemps à l’hôpital et qu’on ne sait pas si on pourra encore vivre normalement ou si on ne sera pas victime d’une nouvelle hémorragie pendant la nuit, on définit de nouvelles valeurs. Quand on sort, on s’aperçoit qu’on ne s’est plus promené au parc depuis longtemps, qu’on n’a pas passé suffisamment de temps avec ses amis… On voit les choses autrement. Lorsque j’étais à l’hôpital, la seule chose que je voulais, c’était guérir rapidement et retrouver une vie normale. Le vélo, c’était accessoire, même si je voulais devenir coureur professionnel et gagner le Tour…

Cela vous a-t-il aidé à mûrir ?

Contador : J’ai toujours été relativement mûr pour mon âge. Peut-être à cause du cyclisme, un sport qui vous oblige à vous éloigner rapidement de la maison et des amis. Est-ce dur ? Il faut mettre cela dans la balance et décider…

Etait-ce un moment plus difficile que votre test positif au clenbuterol lors du Tour 2010 ? Vous avez été suspendu et on vous a retiré vos victoires au Tour 2010 ainsi qu’au Giro 2011.

Contador : Je pourrais dire que j’ai fait une croix sur le passé mais non, je ne peux pas l’oublier car ça a fait beaucoup de dégâts. Je ne parle pas de mon image mais de conséquences directes. Sur moi et sur les gens que j’aime le plus. C’est cela qui m’a marqué, bien plus que le fait qu’on m’ait retiré mes victoires au Tour et au Giro. J’avais mal au coeur en lisant le journal, je vous le jure. Toutes ces bêtises écrites dans la presse me faisaient mal, ainsi qu’à ma famille. Je ne souhaiterais pas cela à mon pire ennemi.

 » Je me vois plutôt ambassadeur que directeur sportif  »

Comment se présente votre avenir ? Dans le cadre de la Fondation Alberto Contador, avec Ivan Basso, vous avez lancé une équipe de formation Trek-Segafredo. L’objectif est-il de la faire évoluer ?

Contador : Le cyclisme nous a beaucoup apporté. Ivan Basso et moi voulions faire quelque chose en retour. Nous le faisons gratuitement. Je vais y consacrer une partie de mon énergie mais je vais surtout m’occuper de la maladie qui m’a affecté (une hémorragie cérébrale, ndlr) et favoriser la recherche par l’intermédiaire de ma fondation. Je vais aussi devenir ambassadeur de certaines marques et donner des conférences en entreprises sur les thèmes de la motivation et du leadership.

Vous pensez devenir un jour directeur sportif ?

Contador : Non, je ne me vois pas au volant d’une voiture. Si je m’engage au sein d’une équipe, ce sera plutôt pour attirer des sponsors. Mais je ne veux pas le faire pour avoir du boulot, plutôt pour offrir davantage de possibilités au cyclisme. Je me vois plutôt dans un rôle d’ambassadeur que dans celui de directeur sportif ou de manager.

Aucun grand champion n’est devenu un grand directeur sportif.

Contador : Peut-être parce que les coureurs qui ont eu tellement de responsabilités au cours de leur carrière ne veulent plus avoir de charge ou être esclaves du cyclisme. Pour obtenir de bons résultats, il faut être esclave, super-professionnel, hypothéquer une bonne partie de sa vie. La plupart ne veulent plus faire cet effort, ils veulent un boulot plus tranquille.

En août dernier, vous avez quitté le peloton après la Vuelta. Ce fut comme un tour d’honneur à travers toute l’Espagne. Les applaudissements que vous avez reçus un peu partout vous ont-ils fait oublier les moments les plus difficiles de votre carrière ?

Contador : Je suis quelqu’un qui ne retient que le positif. Le négatif, je laisse tomber car cela m’empêche d’être heureux. Quand on ne pense qu’aux mauvaises choses… Cette dernière Vuelta fut un rêve. Un véritable hommage, du premier au dernier jour. Je n’oublierai jamais ça. Un mauvais jour à Andorre m’a empêché de lutter pour la victoire finale mais j’ai fait la course dans mon style et mes fans ont apprécié. Bien plus que si j’avais couru avec une calculatrice en tête pour tenter de prendre le maillot de leader à Chris Froome.

 » Je suis fier que les gens se rappellent de mes coups d’éclat  »

Ce mauvais jour à Andorre a, en quelque sorte, reflété l’image du vrai Contador : un attaquant qui faisait tout pour gagner et ne pensait pas toujours à ce qu’il avait à perdre…

Contador : La théorie dit qu’il faut être conservateur pour ne pas perdre de temps mais la théorie, je m’en fiche. Ma tête et mes jambes me disaient d’y aller et j’y allais.

On dit que vous étiez plus apprécié pour votre style que pour votre palmarès. Vous êtes d’accord ?

Contador : Oui. Je suis fier que les gens se rappellent de mes coups d’éclat. Cela veut dire que je les ai fait vibrer devant leur téléviseur ou sur le côté de la route, quel que soit le résultat final. J’ai eu de beaux jours, des jours où j’ai perdu du temps et des jours où je suis passé très près. C’est ce cela que les gens se rappellent, je pense. Les chiffres et les statistiques, c’est pour le papier.

Mais vos statistiques sont tout de même impressionnantes. Peu de coureurs ont fait aussi bien que vous au cours des dernières années.

Contador : Mon palmarès en dit long. Tous ces grands tours, peu importe ceux qu’on compte ou pas (sept ou neuf, selon que l’on compte le Tour 2010 et le Giro 2011, où il a été disqualifié avec effet rétroactif, ndlr)... Mais quel souvenir garde-t-on de Marco Pantani ? Celui d’un vainqueur du Tour ou celui d’un coureur qui attaquait loin de l’arrivée et conquérait le coeur des supporters ? Son palmarès n’est pas le plus beau de tous mais les gens l’aimaient bien. C’est ce genre de reconnaissance que j’apprécie le plus… Et si un palmarès vient s’y greffer, tant mieux.

Est-ce pour  » ressembler  » à Pantani que vous avez attaqué sans cesse lors du dernier Tour d’Espagne ?

Contador : C’était ma façon de courir préférée et celle que les gens voulaient voir. Après un certain temps, j’ai eu l’impression qu’ils attendaient cela de moi. Cela me fait repenser au Tour 2007, où je luttais avec MichaelRasmussenpour la victoire finale. J’avais promis d’attaquer dans l’Aubisque mais, ce jour-là, je n’avais pas de très bonnes jambes. J’ai quand même attaqué, parce que je m’y étais engagé. Mais je l’ai payé et j’ai perdu du temps sur Rasmussen. Il y a dix ans, déjà, je prenais des risques, j’étais anti-conformiste. J’aurais pu me contenter de la deuxième place mais je ne pensais qu’à une chose : la victoire.

 » J’ai toujours pu décider moi-même de la tactique à adopter  »

Ce Tour 2007 était le deuxième de votre carrière et vous l’avez gagné parce que Rasmussen a été mis hors course pour dopage. Vous faisiez connaissance avec la réalité.

Contador : Ce fut une très mauvaise soirée. Quelqu’un d’autre dirait sans doute que ce fut un beau jour mais je ne vois pas les choses de cette façon. J’étais dans ma chambre avec Benjamin Novallorsque le directeur de course est venu m’annoncer que j’étais le nouveau leader. Je n’ai pas sauté de joie mais je me suis posé des questions : était-ce vrai ? Pourquoi ? Dix secondes après avoir appris la nouvelle, je décidais de ne pas porter le maillot jaune le lendemain mais bon… Finalement, la situation n’avait pas changé.

Votre parcours est atypique. La plupart des grands champions sont associés à un directeur sportif mais vous en avez eu tellement (Saiz, Bruyneel, Martinelli, Riis, Tinkov, De Jongh, Guercilena) qu’on pourrait croire qu’ils n’assuraient qu’un soutien logistique.

Contador : Hmm… Disons que j’ai toujours peu décider moi-même de la tactique à adopter. J’ai toujours eu une vue assez claire des choses mais j’étais tout de même à l’écoute. Tout l’art est dans la négociation : je fais des concessions mais tu en fais aussi. Si tu me respectes, je te respecte. Tous mes managers ont toujours respecté ma façon de courir et mes décisions. Et pour ma part, je n’ai jamais adopté aucune tactique sans leur en parler, à une exception près.

Ce sens de la course, c’est Manolo Saiz, votre premier directeur sportif, qui vous l’a inculqué ? Il avait la réputation d’être un stratège.

Contador : Non car j’étais encore très jeune à l’époque, ça n’est venu que plus tard. A l’époque où il échafaudait des plans qui permettaient à ONCE de s’imposer partout, sauf au Tour de France où Miguel Indurain (Banesto, ndlr) régnait en maître, je regardais des vidéos du Tour que mon frère achetait (Contador avait huit ans lorsque Indurain a remporté son premier tour, en 1991, et douze ans lorsqu’il a gagné pour la dernière fois à Paris, ndlr). J’ai regardé les vidéos des succès d’Indurain au Tour, les attaques de Claudio Chiapucci, de Pantani, et des coureurs d’ONCE. J’ai surtout retenu celles de Pantani parce qu’il courait pour lui, pas pour une équipe.

 » J’aurais encore pu tenir deux ans à un haut niveau  »

Hormis avec Saiz, de 2003 à 2006, vous avez toujours couru pour des équipes étrangères. Etait-ce une volonté ou le fruit du hasard ? Il faut dire qu’en 2006, le cyclisme espagnol était anéanti, après l’Operación Puerto…

Contador : Courir pour une équipe étrangère, c’est très positif, cela vous ouvre les yeux sur le monde. Je suis Espagnol et j’aime l’Espagne mais je suis respecté dans beaucoup d’autres pays, comme au Danemark, où je garde de très bons souvenirs de ma période chez Saxo Bank. Après mes passages chez Specialized et Trek, j’ai également beaucoup de fans aux Etats-Unis. Bien entendu, j’aurais aimé représenter une équipe et un sponsor espagnols mais je n’en ai pas eu la possibilité. J’ai toujours pris mes décisions en fonction de l’aspect sportif, pas de l’aspect économique. Je n’ai jamais signé quelque part en me disant qu’un meilleur salaire compenserait de moins bonnes prestations. Si c’était cela qui m’avait motivé, j’aurais tenu beaucoup moins longtemps le coup au plus haut niveau car cela aurait voulu dire que je n’avais plus d’ambition.

Vous pendez votre vélo au clou à l’âge de 34 ans alors que les gens auraient voulu vous voir poursuivre et après avoir démontré que vous en aviez encore sous la pédale. Cette décision est-elle liée à un manque de motivation ou à l’absence d’une proposition financière intéressante ?

Contador : Cela n’a rien à voir avec l’argent. J’ai tout simplement toujours dit que je voulais arrêter au sommet de mon art. Lorsque je suis devenu professionnel, je m’étais dit que j’arrêterais à 32 ans. A l’époque, c’était l’âge moyen auquel les coureurs arrêtaient. Maintenant, ils sont beaucoup à poursuivre jusqu’à 40 ans. C’est pour cela que j’ai repoussé la date fatidique de deux ans. Je suis certain qu’au sein d’une bonne équipe, j’aurais encore pu tenir deux ans à un très haut niveau et remporter des courses. J’aurais tenu mon rang dans les grands tours et j’aurais même été candidat à la victoire.

Cette décision est définitive ? Même si une équipe vous fait la proposition du siècle ?

Contador : Oui. Actuellement, il n’y a aucune chance de me revoir sur un vélo. Je sais que les fans aimeraient que je change d’avis mais il y a aussi des gens qui sont contents de me voir arrêter. Quelles que soient les propositions, je ne reviendrai pas sur ma décision.

par Carlos Arribas – photos Belgaimage

 » Mon hémorragie cérébrale, à 21 ans, a changé ma façon de voir la vie.  » Alberto Contador

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