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Home of Belgian Football

Eleven Sports, le nouveau détenteur des droits TV, a offert un demi-milliard pour retransmettre le football belge durant les cinq prochaines années. Avec quels changements à la clef ?

Boulevard Reyers, 70. Eleven Sports, le nouveau détenteur des droits TV pour le football belge, a quitté Anvers pour s’installer dans un bâtiment flambant neuf au pied des tours de la VRT et de la RTBF, au coeur de la capitale. Le groupe international détient déjà, entre autres, les droits de La Liga, la Bundesliga, la Serie A et la NBA. La branche belge touche déjà 750.000 clients sur le marché belge, via trois chaînes.

Chaque week-end, on aura droit à toute la D1A en direct, de même que la D1B et, toutes les deux semaines, un match de la Women Super League.

Ces derniers mois, ses responsables ont suivi avec une nervosité croissante les débats qui ont secoué la Pro League. Une D1A à seize, 18 ou vingt fait un monde de différence dans le modèle commercial de la chaîne : elle doit couvrir plus de matches, dégager plus d’espaces dans sa programmation. Eleven se serait bien passé de ces soucis concernant et a donc envoyé quelques mails bien sentis à la Pro League.

De plus, Eleven a dû mener une multitude de négociations, avec VOO et Telenet pour la diffusion des matches, avec la RTBF et SBS pour les résumés et émissions du samedi et du dimanche soir. Avec des présentateurs, des maisons de production, etc.

QUELQUES CHIFFRES

On n’a pas communiqué les chiffres exacts, mais Eleven Sports verse environ 500 millions d’euros pour cinq saisons. Les rapports publiés ces trois dernières années par Deloitte Belgium à la demande de la Pro League révèlent que les droits TV sont devenus extrêmement importants pour le football professionnel.

Le premier rapport sur l’impact socio-économique, publié en 2018, remonte à la saison 2012-2013. Les seize clubs de D1 s’étaient partagé 56,5 millions d’euros. Cette somme a augmenté quasi chaque année depuis, et même fortement les trois dernières saisons. Il ressort de l’étude 2020 qu’on a distribué 80,9 millions en 2017-2018, certes à 24 clubs, la D1B touchant 7,8 millions prélevés sur ce montant. En 2018-2019, la somme s’élevait à 84,3 millions et à 80 millions en 2019-2020. Eleven verse quelque vingt millions de plus par an.

La nervosité de la Pro League et l’hostilité des grands clubs à l’idée d’élargir la D1A est également liée au contrat TV et à sa clef de répartition. Le bulletin de Deloitte en révèle les causes. L’argent n’est pas distribué équitablement : tous les clubs ne touchent pas la même somme. Ça n’est le cas nulle part ailleurs en Europe. Tous les matches sont retransmis en direct, mais les grands clubs attirent plus de téléspectateurs et sont récompensés en fonction de l’intérêt suscité.

Le premier rapport de Deloitte (2018) a repris cette différence. En 2012-2013, le G5 (Club Bruges, Gand, Standard, Genk et Anderlecht) s’est approprié 28,9 millions, le K11 a reçu 27,5 millions, soit moins de 50%. Cette proportion n’a guère fluctué au fil des années : les cinq grands ont touché entre 51 et 53%, en fonction du classement final.

CES CHERS DROITS TÉLÉ

Les étoiles montantes, comme l’Antwerp et Charleroi, n’étaient évidemment pas d’accord. Ce n’est pas un hasard si l’Antwerp s’est opposé aussi longtemps à la clef de répartition, au printemps. Le Great Old a obtenu une concession. Les deux prochaines saisons, il perçoit 750.000 euros de plus par an. Il doit les rembourser durant les saisons trois et quatre, mais espère avoir rejoint le G5 d’ici là, ce qui rendra le remboursement moins pénible. Le reste du K11 n’a pas été oublié. Si un petit se qualifie pour les PO1, il perçoit un supplément. Si deux équipes y parviennent, elles se partagent 1,2 million.

La part varie de club à club. Tous chiffres confondus, Deloitte arrive à la répartition suivante. La saison 2018-2019, les 23 clubs professionnels (Tubize n’a pas communiqué de chiffres) ont récolté un total de 378,5 millions sur le marché belge : 99,3 millions viennent de la billetterie, 76,2 millions de la publicité et du sponsoring, 84,3 millions des droits TV, 55,2 millions des contrats commerciaux et 63,6 millions des subsides de l’UEFA. Les années précédentes, les rentrées TV étaient inférieures à celles issues de la publicité et du sponsoring, mais depuis quatre ans, elles occupent la deuxième place, après les rentrées générées par les matches à domicile. Elles constituent même la principale source de revenus pour certains clubs. Vous comprenez donc pourquoi Waasland-Beveren a tout mis en oeuvre pour éviter la relégation : même s’il n’émarge qu’au K11, il touche beaucoup plus qu’une formation de D1B.

Jan Mosselmans :
Jan Mosselmans :  » Nous avons cinq ans pour évoluer et nous allons voir ce qui est possible, mais nous avons l’intention de nous renouveler tous les six mois. « © Getty

UNE PROGRAMMATION UNIFORME

Voilà pour les chiffres, retour boulevard Reyers : quelle est l’approche rédactionnelle de ce nouvel acteur médiatique ? Jan Mosselmans, head of content & production, déclare qu’ Eleven Sports a l’intention d’introduire le football belge dans un maximum de foyers et d’éviter, dans la mesure du possible, que les gens doivent changer de décodeur. Donc, la société a négocié avec tous les télédistributeurs jusqu’en dernière minute. Elle a rapidement trouvé un accord avec Orange et Proximus, ça a pris plus de temps avec VOO et Telenet. Il est aussi possible de télécharger l’app sur le site d’ Eleven Sports, avec un pass sur mesure – il y a plusieurs formules. Les abonnés d’un club peuvent acquérir un pass away pour leur équipe. Le supporter qui ne se rend pas au stade peut obtenir un club pass pour suivre tous les matches de son équipe. La chaîne a pensé à tout, y compris à ceux qui veulent avoir accès à tous les matches.

Eleven Sports a conclu un contrat avec Opta afin de fournir énormément de statistiques intéressantes en temps réel durant les rencontres.

Le contenu va changer. Ces dernières années, Telenet, Voo et Proximus se partageaient le contrat TV et servaient différemment leurs abonnés. L’un avec des analyses en studio, l’autre avec des commentaires sur place.

À la demande de Telenet, qui avait investi dans Play Sports, les télédistributeurs avaient également accès aux compétitions étrangères dont les droits étaient détenus par Eleven. Les abonnés de Telenet pouvaient suivre ce qu’ Eleven Sports ne retransmettait pas en direct sur un de ses trois canaux. Telenet offrait ainsi des matches de Premier League, de Bundesliga et de Liga via Play Sports. Initialement, Telenet souhaitait une formule similaire pour le championnat de Belgique, soit une transmission via Play Sports, mais Eleven Sports a refusé : elle continue à partager le football international, mais le belge doit rester exclusif.

Conclusion : que vous suiviez le foot belge via Orange, Telenet, Voo, Proximus ou l’app, vous verrez la même chose. Il n’y a plus qu’un détenteur et il fournit un contenu identique partout.

UN CALENDRIER ÉLARGI

Mais qu’allez-vous voir ? Tout. Ou presque. Toute la D1A en direct, de même que la D1B et, toutes les deux semaines, un match de la Women Super League. Le samedi à 14 h. Pas toutes les semaines, parce que les différences sont encore trop marquées chez les dames. Ce sont d’ailleurs les clubs qui proposeront les matches à diffuser.

La totalité du football professionnel masculin passera à la TV. La grande nouveauté, c’est l’élargissement du calendrier de D1A : il n’y aura plus de matches en même temps, sauf durant les deux dernières journées du championnat régulier. Ne vous fâchez pas sur Eleven : c’est la Pro League qui le souhaitait, pour offrir une exposition optimale à chaque club.

La chaîne comprend l’inquiétude des clubs amateurs. Elle va donc s’y intéresser en semaine, via des reportages de toutes sortes. Jan Mosselmans précise que le slogan de la maison n’est pas  » Home of Belgian Football  » pour rien. De haut en bas. Amateurs et pros, hommes et femmes, jeunes et adultes, nul ne sera oublié.

Trois jours de football, transmis de manière différente chaque jour. Le vendredi, le téléspectateur est accueilli dans le stade, où sera dressé un studio. Un journaliste s’y promènera : Eleven Sports mise sur un homme au bord du terrain. Il ne se cantonnera pas à des interviewes avant le match, au repos, puis après : il interviendra aussi en cours de partie ou pendant l’échauffement. Il annoncera qui se prépare ou rapportera ce qu’un entraîneur crie. Il s’agira de trouver un équilibre entre ce que le spectateur peut entendre et les questions qu’un commentateur doit poser.

CINQ ANS POUR INNOVER

Eleven Sports veut innover encore plus. La chaîne va étudier avec les clubs ou la fédération si un joueur remplacé peut réagir brièvement ou si on peut demander à l’entraîneur les motifs d’un remplacement en cours de match. Ou encore suivre les conversations des arbitres, qui sont de toute façon équipés d’un micro. Peut-on y ajouter une caméra go-pro ? Mosselmans :  » Nous avons cinq ans pour évoluer et nous allons voir ce qui est possible, mais nous avons l’intention de nous renouveler tous les six mois. Nous n’allons pas faire la même chose toute une saison.  »

Le samedi, un seul journaliste enchaînera différrents matches en studio à Bruxelles. Côté francophone, c’est Jérémie Baise. Ses interventions seront brèves et émaillées de statistiques, les matches se suivant de près. Eleven Sports a conclu un contrat avec Opta afin de fournir énormément de détails intéressants en temps réel. Par exemple, si l’Antwerp obtient un penalty qui est botté par Lamkel Zé, on montrera rapidement où le Camerounais a placé ses coups de réparation précédents. Il n’y aura plus de longues analyses d’entraîneurs et autres analystes en studio comme ces dernières années. Eleven veut innover et a le sentiment que les téléspectateurs sont quelque peu las de ce genre de palabres interminables.

Le menu principal est réservé au dimanche, avec quatre parties d’affilée et du rythme : il y aura deux affiches, à 13h30 et à 18h15, en alternance avec deux autres matches.

Ça requiert de l’expérience en régie et la chaîne a donc fait appel à Woestijnvis, une maison de production renommée en Flandre. Bien plus que maintenant, le fil rouge de la production est le vécu dans le stade. Eleven compte donc placer un studio mobile près de l’entrée principale ou du lobby, afin de capter l’ambiance qui règne dans les stades trois quarts d’heure avant le début des matches. La chaîne veut donner la parole aux légendes qui arrivent, au supporter qui a confectionné un tifo particulier… Un reporter arpentera le stade, y compris les espaces VIP, pour interroger brièvement un président ou un autre invité… Eleven avait pensé s’installer dans une loge, comme ça se fait en Angleterre, mais elle risquait alors de s’éloigner des supporters alors qu’elle veut précisément s’en rapprocher.

Home of Belgian Football

UN PLANNING HEBDOMADAIRE

Une chaîne axée sur le football belge doit offrir plus que des retransmissions en direct et des répétitions en différé. L’objectif est de diffuser vingt heures de reportages maison par semaine. La rédaction a planché là-dessus ces derniers mois et a coulé ses idées dans une série de formats.

Le lundi est consacré à la récapitulation. Vous aurez l’occasion de découvrir ce que vous n’avez pas encore vu ou de revoir un moment particulièrement beau. Il y aura un magazine reprenant les moments forts des dames, de la D1B, de la D1A et en plus l’ Eleven Gazette pour un coup d’oeil particulier sur le week-end. On y exposera notamment le point de vue officiel de la commission arbitrale, par vidéo. Eleven Sports veut également mettre en images ce qu’on peut lire sur le site de la fédération. Elle a trouvé un accord avec la VRT et la RTBF pour diffuser ces clips dans les émissions Extra Time et La Tribune, afin que nous puissions y découvrir le point de vue officiel des arbitres sur une décision du VAR, par exemple. Ces deux émissions sont donc maintenues.

Tous les clubs doivent être mis en valeur, y compris ceux de D1B. Il y a de belles histoires partout, d’Ostende à Eupen.  » Jan Mosselmans

Les autres jours sont réservés à des documentaires, des interviewes et des reportages, parfois faits maison, parfois fournis par les clubs. Ils iront dans tous les sens, car les experts mettront tous les acteurs du football en vitrine, d’un steward à un arbitre en passant par un responsable de l’entretien de la pelouse ou un supporter. La formation des jeunes, les amateurs, l’e-sport : aucun aspect du football ne sera laissé de côté.

LE CHOIX DES TÉLÉSPECTATEURS

Chaque bloc horaire de deux heures, avec un nouveau contenu, commence en prime time à 19h45 avec A day at the club. Eleven Sports vient de conclure un accord avec le Club Bruges et ce n’est que le premier d’une longue série. Le nouveau détenteur des droits négocie avec tous les clubs professionnels afin d’obtenir un contenu qui montre tous les aspects d’un club.

La frontière entre promo et approche critique est très mince. Eleven en est conscient et gérera personnellement les interviewes des entraîneurs et des présidents en cours de match, avant et après, avec un filtre journalistique. Mais quand Sven Kums visitera un projet community de La Gantoise et sera suivi par un membre du staff média de son club, Eleven n’enverra pas en plus sa propre équipe de reportage. Mosselmans :  » Nous voulons que chaque club apparaisse dans cette rubrique, y compris les clubs de D1B. Il y a des belles histoires partout, d’Ostende à Eupen.  »

Le téléspectateur aura son mot à dire dans la programmation. Pendant le confinement, Eleven Sports a repassé des matches, par thèmes : les plus beaux matches de Dries Mertens, la saison de Simon Mignolet. La chaîne va remettre le couvert.  » Nous pouvons laisser le spectateur choisir « , affirme Mosselmans.  » C’est une norme chez nous. La chaîne belge sera réservée aux matches belges, mais le contenu peut être international. Nous pouvons utiliser un reportage comme celui que nous avons fait l’année passée, en visite chez Wesley à Aston Villa, pendant la mi-temps d’un match du Club Bruges. Les clubs peuvent réutiliser ce reportage sur leur chaîne, dans une version plus longue. C’est comme ça que nous concevons nos deals avec les clubs : une collaborations effective.

Les visages d’Eleven Sports

Côté francophone, on retrouve pas mal d’habitués des commentaires de football belge comme Benjamin Deceunink, Marc Delire, Vicenzo Ciuro, Mathieu Istace ou Jérémie Baise. Le long de la ligne, on retrouve également le Français Swann Borsellino, un des collaborateurs de Sport/Foot Magazine.

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