GEORGETTE AGACE MARCEL

Bernard Jeunejean

« Eh bien, voilà des images qui font remonter Stéphane Demol dans mon estime ! s’exclama Georgette. En voilà au moins un qui n’est pas atteint de bisou mania comme toi, Marcel ! En voilà enfin un qui garde une distance décente entre les joueurs et lui !  »

c’était un petit reportage de la VRT, tourné au Standard au début d’un entraînement, et sur lequel elle était tombée en zappant. La caméra fixait Dominique D’Onofrio et son T2, tandis que les joueurs s’amenaient l’un après l’autre. Et le contraste était comique autant que systématique : chaque Standardman faisait d’abord la bise à Dominique le chef, avant de serrer virilement la main de Stéphane l’adjoint ! Marcel, auquel tous ses joueurs de Noiseux-sur-Berwette faisaient aussi la bise, haussa les épaules et replongea dans le syllabus du cours pour entraîneurs qu’il bouquinait.

– » Je ne suis atteint par rien du tout et je vais finir par te croire en manque, sourit-il sans se démonter. Dominique et moi ne faisons que nous adapter à l’évolution de la sociabilité des jeunes ! Quant à Stéphane, il a simplement opté pour une autre stratégie relationnelle : je la respecte, mais ce n’est pas la mienne.  »

– » Stéphane ! Dominique et moi ! Mais je finirais par croire que tu les connais personnellement ! Mazette, tu te la pètes, dis donc, et tu causes comme un livre ! C’est en étant le plus vieil élève de 1re année à l’Ecole des Entraîneurs que tu apprends tout ça ? »

Une mouche, au moins tsé-tsé, avait piqué Georgette. Certains soirs à deux, quand d’une part elle avait taquiné l’alcool de prunelles, quand d’autre part elle sentait juste à côté d’elle un Marcel trop serein tout seul dans sa bulle footeuse, montait alors en Georgette l’irrépressible envie d’agacer son vieux mari : à elle seule, elle pouvait alors déployer la même agressivité qu’une armée de demis défensifs sous pression…

– » Fous-toi de ma fiole, mais laisse-moi me concentrer, implora Marcel. J’ai un exposé dans trois jours sur le thème Jouer dans les intervalles et, même si tu n’y comprends rien, crois-moi, ce n’est pas de la tarte !  »

– » Jouer dans les intervalles ! ricana Georgette. Voilà un an à peine que de prétentieux tacticiens de mes deux ont inauguré cette expression dorénavant utilisée à tire-larigot : à croire qu’a été découvert un remède-miracle pour désormais marquer des buts autrement ! Mais c’est comme faire la bise à gogo, crétin chéri, ce n’est qu’un effet de mode ! Je vais te le conclure, moi, ton exposé : jouer dans les intervalles, c’est tout bêtement faire circuler le ballon, le demander là où il y a l’espace pour le recevoir et le rejouer,… c’est vieux comme le foot ou comme toi ! Je te répète : tu te la pètes, Marcel !  »

– » Se la péter est une expression qui n’avait pas cours voici quelques années, se fit un plaisir de remarquer Marcel. Toi aussi, mon ange, tu sacrifies aux modes, au jeunisme et aux formules toutes faites…  »

– » Question formules toutes faites, y’a pas plus abonnés que vous, tordus du ballon rond ! Même le Bon Dieu, vous osez le surexploiter ! « , cracha Georgette, bigote à ses heures.

– » Ah bon ? », interrogea Marcel ébahi.

– » Parfaitement, toi-même tu n’arrêtes pas : tu dis que la Main de Dieu n’est pas un geste très catholique… Jadis, même si tu n’étais pas un enfant de ch£ur, tu t’efforçais de remettre l’église au milieu du village… Et quand ton gardien est crucifié, tu dis que la messe est dite et tu bois le calice jusqu’à la lie !  » improvisa triomphalement Georgette.  » Sans compter tous ces arrêts de gardiens que tu prétends miraculeux, au mépris de ce que sont les vrais miracles à Lourdes, Beauraing ou Banneux ! « , ajouta-t-elle en se signant.

– » Pas Banneux ! « , interrompit calmement Marcel.

– » Ah bon ? », interrogea Georgette ébahie à son tour.

– » En P4 liégeoise série C, Banneux est dernier avec 31 défaites en autant de rencontres, et un average de 17-202. Et y’a pas de P5. N’essaie donc pas de me faire croire qu’existe dans ce bled une Vierge et des miracles « , précisa Marcel sans lever le nez de son syllabus…

Georgette leur resservit une prunelle. Ainsi s’écoulaient leurs soirées à deux.

bernard jeunejean

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