Famille ROYALE

On a rejoué le clasico… Michy vs Aaron, grand frère rouche vs petit frangin mauve. Et des parents à l’histoire un peu folle dans le jeu de quilles.

Batshuayi – Leya : l’intitulé sur la sonnette d’un appartement lumineux à deux pas du stade du RWDM confirme qu’on est à la bonne adresse. Premier étage, porte ouverte, poussée de décibels sur des rythmes africains. On est directement frappé par un soulier doré exposé près du sapin : une récompense pour le meilleur buteur du prestigieux tournoi d’Amsterdam (AEGON Future Cup, pour les U17). Il y a aussi ces deux trophées VOO de joueur du mois. Un maillot du Standard encadré. Et, sur la table du salon, la dernière édition de StandardMagazine.

Bienvenue chez les pépites. Chez les parents de Michy Batshuayi. Et de son frère, AaronLeya Iseka. Mêmes origines, même père, même mère, noms de famille différents : papa Pino et maman Viviane vont tout nous expliquer. Les récompenses de VOO sont à Michy (20 ans), la godasse dorée à son frangin (16 balais et déjà sous contrat pro à Anderlecht). Viviane en quelques mots ? La joie de vivre, une vie de coiffeuse qu’elle a dû stopper parce qu’elle n’en sortait plus entre tous les trajets pour conduire ses fils au foot ( » Je devais parfois faire attendre mes clients sur le trottoir, ce n’était plus tenable « ), aujourd’hui une reconversion dans la mode, dans une boutique de grandes marques dégriffées qu’elle tient avec sa fille aînée près de l’avenue Louise.

On feuillette le magazine du Standard. Michy est en cover. Titre : Un phénomène. A l’intérieur, quelques déclarations fortes qui résument sa vie, son éclosion, ses ambitions.  » Marquer, c’est ma drogue. On ne sait pas expliquer clairement ce qui se passe dans le corps quand on marque un but. On se sent voler.  »  » Je serais un gros menteur si je disais que je ne rêve pas du Brésil.  »  » Moi, le Mario Balotelli belge ? Pourquoi pas ? Je l’apprécie parce qu’il constitue à lui seul un spectacle vivant. Vu son histoire, je suis certain qu’il n’existe pas un homme avec plus de pression que lui.  »  » J’ai envie de terminer premier avec le Standard tout en finissant en tête du classement des buteurs.  »  » Je fais toujours un crochet par chez mes parents, le cocon familial, celui qui m’a vu pleurer, rire et devenir l’homme que je suis aujourd’hui.  »  » Un de mes anciens entraîneurs disait toujours qu’il fallait transpirer jusqu’à en saigner.  »

Jamais à Matonge, jugé trop dangereux

Jamais, les frères et les parents ne s’étaient exprimés ensemble. Ils nous aident à mieux comprendre une histoire façon conte de Noël ! Premier tournant dans la vie de Pino et Viviane : leur décision de quitter Kinshasa et leurs racines, il y a près de 25 ans.  » Je n’avais qu’une idée en tête « , dit le père.  » Je voulais jouer au foot. Devenir professionnel en Europe. J’étais à deux doigts d’y arriver au Congo mais je visais plus haut. Nous avons rassemblé nos affaires et pris l’avion. « . Ça ne se passe pas bien : Pino doit être opéré du genou dès son arrivée en Belgique. Pour lui, le foot, c’est définitivement terminé.  » Une énorme déception « , lâche Viviane.  » Et ce n’était pas le seul souci pour nous ! Venir ici avec un visa n’était pas trop compliqué. Mais obtenir des papiers pour rester définitivement, c’était autre chose. Les formalités ont duré six ou sept ans, on nous a baladés d’un avocat à l’autre et ça nous a coûté beaucoup d’argent.  »

A défaut de foot, Pino se lance dans l’import – export de voitures d’occasion, souvent achetées ici et expédiées au Congo. Le ballon, il y pense encore beaucoup mais il faudra que son rêve passe par ses gamins. Donc, Michy Batshuayi et Aaron Leya Iseka…  » Deux vrais frères qui ne portent pas le même nom de famille, ça a toujours étonné les gens ici « , explique Viviane.  » Au Congo, c’était très courant à l’époque. Il était possible d’avoir cinq frères et soeurs avec cinq noms différents. Cela se fait encore aujourd’hui mais c’est quand même moins fréquent. A la naissance d’un enfant, on peut lui donner le nom de son père, de sa mère, de son grand-père, de sa grand-mère,… en fait de qui on veut. Quand notre fille aînée est arrivée, elle a pris mon nom. Après, j’ai eu des jumeaux, un garçon et une fille. Il aurait été logique de partager mais mon mari a souhaité qu’ils s’appellent tous les deux Batshuayi. Il m’a promis que s’il y avait un quatrième, ce serait à nouveau pour moi. Et donc, Aaron, il est à moi…  » Pino intervient :  » Ça fait 2-2.  »

L’histoire fait penser à celle des frères Emile et MboMpenza, dont les parents avaient aussi quitté le Congo avant de voir leurs gamins tout déchirer chez nous. Les Batshuayi ne les connaissent que de réputation. A Bruxelles, ils ont leurs amis congolais de longue date. Mais le ghetto, le manque d’ouverture, très peu pour eux.  » Nos enfants sont belges à 100 % « , dit la maman.  » Ils n’ont pas spécialement des copains africains.  » Elle reconnaît qu’elle y est pour quelque chose !  » Nous avons toujours tout fait pour les tenir à l’écart du quartier de Matonge. Nous trouvons qu’il y fait trop dangereux.  » La Fédération de foot congolaise a autrefois fait une timide approche vers les frères.  » J’ai directement refusé « , lance Pino. D’ailleurs, Michy et Aaron n’ont jamais mis le pied sur le sol où leurs parents ont grandi.

Pour Michy, redevenir Mauve n’est pas une option

Point commun entre les deux sur le plan du foot, à côté de leur statut d’attaquants explosifs à mort, il y a cette trajectoire similaire. Jusqu’à un certain point en tout cas… Ils ont débuté à Evere, sont passés par le FC Brussels et ensuite par Anderlecht. C’était foot, foot, foot.  » Des posters de Zinédine Zidane, de Karim Benzema… et Thierry Henry qui nous fixait dès qu’on entrait au WC « , rigole le papa. Aujourd’hui, Aaron est l’un des plus beaux espoirs d’Anderlecht. Qui ne garde pas un grand souvenir de Michy. Et c’est réciproque !  » Je ne vais pas tourner autour du pot « , lâche la flèche rouche.  » Je me suis fait virer, tout simplement.  » Sa mère le coupe pour le défendre :  » Mais cette année-là, ils ont chassé plein de joueurs. Une petite dizaine, je pense. Personne ne leur convenait.  »

On fait remarquer que les Mauves s’en sont mordu les ongles et les doigts entiers entre-temps. Michy et Viviane rigolent. Elle ajoute :  » Je n’ai jamais été convoquée par le club, qu’on ne vienne donc pas dire qu’il a fait des choses graves là-bas. Quand on dit que mon Michy a été méchant, ça m’énerve ! Mais ça m’énerve ! C’est le plus gentil de tous mes enfants ! Je me souviens que ça a été un drame quand on lui a annoncé qu’il devait partir. Pendant deux jours, il est resté en pleurs dans le canapé. Il ne voulait même plus aller dormir dans sa chambre.  » Michy :  » Tout ça pour des conneries sans importance, comme des petits retards à l’entraînement. Ils m’ont bien dit que la raison de mon renvoi n’était pas liée à mon niveau de jeu, seulement à mon comportement. Le problème, c’est qu’il y avait une très grosse pression cette année-là parce que nos résultats n’avaient pas été très bons. On m’a fait une réputation à ce moment-là, elle m’a poursuivi. Ça m’est égal, je ne calcule pas trop.  »

Il refait un crochet par le FC Brussels, puis sa grande aventure liégeoise commence.  » Un autre monde, à plusieurs points de vue. Au niveau de la discipline, ça n’avait rien à voir. Quand tu es à Anderlecht, tu dois t’adapter au style de jeu de la maison et obéir à la lettre aux consignes. Il m’est arrivé de faire des matches sur le flanc, il était hors de question que je m’écarte de la ligne, on me rappelait sans arrêt à l’ordre. Au Standard, on laissait les personnalités s’exprimer. Tu faisais ce que tu voulais, à condition d’être efficace.  » Michy noie un peu le poisson quand on l’interroge sur la tentative faite par Anderlecht pour le récupérer l’été dernier. John van den Brom en avait fait une priorité.  » Oui, je sais.  » Mais encore…  » J’ai écouté tout ce qu’on me disait sur l’intérêt du Sporting mais ce n’était pas une option pour moi. Je veux terminer ce que j’ai commencé au Standard. J’ai envie de gagner quelque chose là-bas avant de changer d’air.  » Pour lui, le Standard a clairement l’avantage sur un point : le public.  » A Anderlecht, on n’entend pas les supporters. A Liège, au moins, ils vivent pour leur club.  » Son père va plus loin.  » Au Parc Astrid, ce ne sont pas des supporters, c’est clair. Au Standard, ils sont là. Ce sont les meilleurs. Mais parfois, ils sont un peu casse-couilles !  »  » Ils oublient parfois leur rôle de supporters quand ça va moins bien « , confirme Michy.  » Moi, je ne vais plus voir les matches en déplacement à cause de ça « , poursuit Viviane.

Pourquoi Michy tire la langue

Pour Aaron, la question d’un passage chez l’ennemi ne se pose pas. Jouer en Rouche ? Jamais ! Il y a quelques mois, à 16 ans à peine, il a été appelé pour quelques entraînements avec le noyau pro anderlechtois. Et son quotidien, c’est le groupe des Espoirs. Déjà… Comment il a vécu ces quelques séances avec les stars mauves ?  » Rien d’impressionnant…  » Ses objectifs à court terme ?  » Ce serait bien si je pouvais recevoir une chance en équipe Première avant la fin de la saison. Mais bon, rien ne presse.  » Et le Standard, alors ?  » Je ne dis pas que c’est un club que je n’aime pas mais je n’ai pas envie d’y aller, c’est tout.  » Si Anderlecht a essayé de rapatrier Michy, le Standard a aussi entrepris des démarches pour convaincre son frère.  » Je ne suis pas au courant « , lance Aaron, un peu énigmatique. Sa mère :  » Mais tu l’as entendu, quand même !  » Michy :  » On ne lit pas les journaux, c’est vous qui passez votre temps à ça. Moi, je ne pense pas qu’un joueur d’Anderlecht puisse partir spontanément vers le Standard. Ce n’est pas naturel. Par contre, dans l’autre sens, je le conçois tout à fait. Parce que pour un jeune, Anderlecht a quand même la réputation d’être le meilleur club de Belgique. Le plus prestigieux. Le Standard est un peu à l’écart. On le connaît aussi comme un club où il faut s’arracher. Et il n’y a pas beaucoup de gens qui nous aiment. Je le sens très bien quand je sors. Les gens préfèrent que le titre aille à Anderlecht, ou même à Bruges ou à Genk.  » Il faut peut-être voir dans cette analyse une mimique qu’il fait parfois après avoir marqué un but. Il tire la langue. Pourquoi ?  » Ce n’est pas réfléchi, ça vient comme ça. Je pense que dans ces moments-là, inconsciemment, je veux dire aux gens : -Taisez-vous. Il y a des joueurs critiqués qui mettent les mains derrière les oreilles après avoir marqué un but. Chez moi, c’est la langue qui fait le boulot…  »

PAR PIERRE DANVOYE – PHOTOS : IMAGEGLOBE / KETELS

 » Le Standard a les meilleurs supporters. Mais ils peuvent être casse-couilles.  » Pino

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire