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Dans la tête de Nina Derwael

S’entraîner une année entière pour réaliser un sans-faute lors d’un exercice de moins d’une minute durant une compétition officielle: telle est la vie de Nina Derwael (21 ans), qui veut réaliser la prestation de sa vie à Tokyo. Que peut-il bien se passer dans la tête de la double championne du monde? Portrait, basé sur quatre traits de caractère.

1 Cheffe de file

Tant au niveau du comportement, par ses mots et ses gestes, qu’au niveau de l’aura, Nina Derwael est une leadeuse née. Enfant unique, la petite Nina apprend rapidement à se débrouiller seule, à savoir ce qu’elle veut et à résoudre les problèmes de façon rationnelle. Car ses parents sont souvent absorbés par leur travail. Elle part en stage pendant une semaine sans verser la moindre larme, et recherche elle-même le Kids’ Club lorsqu’elle part en vacances avec ses parents, afin qu’ils ne doivent pas s’occuper d’elle.

En juin dernier, Nina Derwael avait encore de l'or autour du cou à l'occasion de la FIG World Challenge Cup en Croatie
En juin dernier, Nina Derwael avait encore de l’or autour du cou à l’occasion de la FIG World Challenge Cup en Croatie© iStock

Lorsqu’on se retrouve sur le podium et qu’on entend l’hymne national, on oublie tous les mauvais moments que l’on a passés. » Nina Derwael

À l’internat des gymnastes de Gand, la jeune Limbourgeoise n’éprouve aucune difficulté à s’adapter, et apparaît plus mature que les autres adolescentes de son âge. Derwael devient rapidement la « grande soeur » ou la « maman » qui conseille et encourage ses condisciples. À la longue, elle connaît les autres gymnastes sur le bout des doigts et sait parfaitement comment se comporter avec chacune d’elles, à l’image d’une vraie psychologue.

Un rôle qu’elle endosse dès la maternelle. À cette époque, les instituteurs appellent Nina la « cheffe de classe ». Elle veut toujours savoir ce qui se trame dans le groupe et s’interpose lors des disputes. Déjà, elle affiche un caractère très sociable et un sens aigu des responsabilités.

Ce caractère s’efface cependant lors la première grande compétition à laquelle elle participe. Derwael se retrouve à l’échauffement aux côtés de gymnastes qu’elle admire depuis petite et est impressionnée. Elle cède ainsi trop facilement sa place, sans rien oser dire. Mais elle prend sur elle. Puis, elle s’affirme progressivement. « Maintenant c’est mon tour! » Au besoin, elle peut carrément devenir désagréable. « Toutes les championnes le sont dans ces moments-là. » Aujourd’hui, seule l’Américaine Simone Biles, la meilleure gymnaste de tous les temps, impressionne encore Derwael. Mais la Belge est aussi très fière lorsque celle-ci lui fait des compliments. Toutes deux dégagent une formidable aura.

2 De l’ambition à revendre

Dès la première rencontre avec sa coach française Marjorie Heuls, celle-ci découvre l’ambition qui anime Derwael. Elle évoque ouvertement ses objectifs sans aucune hésitation lors d’interviews accordées avant des épreuves prestigieuses: « Je veux une médaille, de préférence l’or. » Ce sera chose faite, d’abord au championnat d’Europe, puis un titre mondial, avec maintenant en ligne de mire la seule breloque qui manque encore à son palmarès: une médaille d’or olympique.

Rares sont les Belges qui osent ainsi s’affirmer. Ses coaches Marjorie Heuls et Yves Kieffer insistent sur ce point dès le début: « Ce n’est pas parce que la Belgique est un petit pays que nous ne pouvons pas faire preuve d’ambition. » Parfois, le duo franchit les limites, comme l’apprend une enquête sur leurs méthodes de coaching. Certaines gymnastes estiment que ce style est beaucoup trop agressif, mais dans le cas de Derwael, il porte ses fruits.

La Trudonnaire a la victoire dans le sang. Les compétitions sont sa raison de vivre. Le déclic se produit après les Jeux de Rio, en 2016, quand Derwael échoue aux portes de la finale aux barres asymétriques, alors qu’elle possède intrinsèquement les capacités pour s’inviter au grand bal. Elle le démontre d’ailleurs lors de la finale du concours général, en réalisant le deuxième meilleur score à cet agrès. La Limbourgeoise ne comprendra que plus tard qu’elle avait sa place parmi les meilleures. Tout ça la pousse à être encore plus concentrée à l’entraînement.

Lorsque sa motivation s’amenuise, Derwael se rappelle la raison de ses heures passées en salle: l’or olympique. Celui-ci reste toujours dans un coin de sa tête. Lorsque, le soir, sur les rotules, elle se glisse sous la couette, elle affirme qu’elle se sent bien et qu’elle apprécie ce moment. Encore plus lorsqu’elle atteint son objectif, comme après son premier titre mondial acquis en 2018.

Nina Derwael, championne du monde en 2019 à Stuttgart
Nina Derwael, championne du monde en 2019 à Stuttgart© iStock

Le manque d’objectifs et les ambitions inassouvies ont d’ailleurs constitué un problème l’an passé, au moment du report des Jeux Olympiques. Pendant cet interminable confinement, Derwael se demande pourquoi elle s’entraîne. La conséquence d’un petit creux mental déjà connu avant le report de Tokyo 2020. À l’époque, elle souffre du stress. Dans sa tête, elle voit trop grand pour son ultime objectif olympique. D’autant qu’en raison de bobos à l’épaule, elle ne peut s’entraîner à fond. Elle se met à cogiter: « La concurrence s’en donne actuellement à coeur joie, alors que moi, je dois me ménager », se dit-elle.

D’une certaine manière, la pandémie tombe à point nommé: elle permet à Derwael de souffler mentalement pendant quelques mois. Aujourd’hui, elle vit davantage au jour le jour, se sent plus libre dans sa tête.

D’autant plus qu’elle a trouvé l’équilibre dans sa vie privée, grâce à sa relation avec le footballeur Siemen Voet (PEC Zwolle). Jusqu’à son titre mondial en 2018, Derwael déclarait ne pas avoir le temps pour ça, mais l’amour lui est finalement tombé dessus et elle vit aujourd’hui le bonheur absolu. Avec des conséquences positives pour sa carrière. Étant lui-même sportif de haut niveau, Voet comprend très bien ce qui motive sa petite amie. Il se montre d’un grand soutien pendant le confinement. Ce n’est pas pour rien que Derwael a récemment déclaré: « J’ai encore tellement d’objectifs que je veux atteindre.«  À commencer par Tokyo, avant de poursuivre avec le championnat du monde « à domicile », à Anvers en 2023, et de conclure par les Jeux de Paris un an plus tard. Après Tokyo, elle s’accordera cependant un long break et fera l’impasse sur les Mondiaux de fin d’année. Plus que jamais, Derwael a découvert la vie en dehors des salles de gym. Et a revu ses priorités. En reprenant sa concentration et en déployant ses efforts au moment opportun.

3 (Trop) perfectionniste

Jeux Européens 2019, à Minsk. Derwael fait une chute aux barres asymétriques, son terrain de jeu préféré. Ce qui lui arrive très rarement. Adieu, la médaille d’or. Au lieu de se lamenter, la Limbourgeoise s’invective elle-même avant son exercice à la poutre. « Je me suis dit: Nina, maintenant tu vas t’éclater sur cette poutre! » Elle dit avoir besoin de ressentir cette colère pour devenir plus agressive lorsqu’elle se plante sur un exercice, histoire de tourner le bouton, sans même s’en rendre compte. Ça fonctionne à Minsk, où Derwael finit par remporter la médaille d’or à la poutre.

Autrefois, la Trudonnaire ressentait également cette fureur à l’entraînement, lorsqu’elle loupait un exercice. Et encore plus lorsque, la veille, elle avait réalisé ce même exercice à la perfection. Ses collègues-gymnastes savaient que, dans ces cas-là, il valait mieux la laisser tranquille.

Souvent, après un mauvais entraînement, elle finit au bord des larmes et retourne à l’internat avec la mine des mauvais jours. Les camarades de classe de Derwael savent alors que l’entraînement du matin s’est mal passé. Et devinent qu’elles ne doivent pas lui poser trop de questions. Elle ne se calme qu’au bout d’une heure et retrouve alors le sourire.

La Trudonnaire affichait déjà le même caractère lorsqu’elle était enfant, et qu’elle jetait les jeux de société par terre lorsqu’elle perdait. Un jour, Derwael, très en colère, est même allée s’asseoir au milieu de la rue en se tirant les cheveux. Sans que ce coup de sang ne produise beaucoup d’effet, vu que ses parents ont fait comme si de rien n’était et ont attendu qu’elle se calme.

Ce caractère sanguin et cet entêtement mènent à quelques prises de bec entre Derwael son entraîneuse, Marjorie Heuls. Elle n’hésite pas à répliquer lorsque cette dernière lui reproche d’avoir les jambes trop courbées lors d’un exercice. Elle a souvent besoin que sa coach lui prouve à base d’images le bien-fondé de ses remarques. Ce n’est qu’alors que Derwael consent à admettre qu’elle a tort. Surtout parce que, malgré ces discussions à chaud, jamais elle ne perd son principal objectif de vue. Nina restera cependant toujours une vraie tête de mule. Pas forcément un défaut, pour une gymnaste qui a un jour déclaré dans Sport/Foot Magazine : « Ce sont les gens les plus têtus qui arrivent le plus loin. »

Cette obstination va de pair avec sa principale qualité: un perfectionnisme exacerbé. Compter combien de points elle peut atteindre en fonction du degré de difficulté d’un exercice lui procure même un sentiment de jouissance. Ce perfectionnisme l’incite aussi à mordre sur sa chique dans les moments difficiles. Ou à se remettre directement droite après une chute, comme à Minsk.

Pourtant, au fil des ans, Derwael a dû trouver un meilleur équilibre entre un perfectionnisme nécessaire à la réalisation de perfs de haut vol et les frustrations qui la gagnent lorsque tout ne tourne pas comme elle le souhaite. Elle a réussi à dompter ce tempérament de feu en s’exerçant aux techniques de respiration, sur les conseils de la psychologue Eva Maenhoudt.

Le plus étrange, c’est que dans la vie de tous les jours, Derwael est beaucoup plus nonchalante qu’une fois la tenue d’athlète enfilée. Elle est même plutôt du genre à procrastiner: que ce soit le nettoyage de sa chambre ou la prise d’un rendez-vous au garage ou avec un journaliste. Souvent, « plus tard » devient « jamais ». C’était déjà le cas lorsqu’elle était adolescente, ce qui avait le don d’irriter sa mère, qui avait appris à sa fille à mieux planifier son emploi du temps. Encore une domaine où Nina a cependant progressé…

Nina Derwael à la poutre lors des JO de Tokyo
Nina Derwael à la poutre lors des JO de Tokyo© iStock

4 Combattre le stress

Derwael est souvent citée pour le sang-froid qu’elle dégage lors d’un grand tournoi. Lorsque la double championne du monde doit attendre que ses concurrentes aient terminé leur exercice avant de pouvoir elle-même entrer en piste, à aucun moment elle ne se laisse déstabiliser. Elle ne s’intéresse même pas à leur score. Au championnat du monde 2019, après la présentation des finalistes, Derwael est même retournée à la salle d’échauffement, pour continuer à s’exercer. La Belge était en effet la dernière à entrer en piste. Elle n’est réapparue dans le hall de compétition qu’au dernier moment. Pour ensuite remporter la médaille d’or.

Elle est constamment centrée sur elle-même, sur son exercice et sur le total de points qu’elle pense pouvoir atteindre. Par sur le score qui devrait lui permettre de gagner, en fonction des résultats de ses adversaires. Pour se concentrer, elle se parle beaucoup à elle-même et elle visualise l’exercice qu’elle s’apprête à réaliser, du début à la fin, comme elle l’avait déjà fait la veille. Elle peut alors enclencher le pilote automatique.

Un exemple des nerfs d’acier de la Belge? Au championnat du monde 2019, Derwael chute violemment au sol, sur le ventre, lors du premier échauffement aux barres asymétriques. Sans broncher, la Trudonnaire nettoie la craie sur son maillot et regarde son entraîneur. Elle sait quelle faute elle vient de commettre et lui assure qu’elle n’a aucun souci à se faire. Après coup, elle déclare même que cette chute lui a fait du bien: « Ça m’a réveillée avant mon exercice. » Derwael doit en effet faire attention à ne pas trop prendre la confiance.

Pourtant, dans les heures qui précèdent le début des épreuves, elle est bel et bien nerveuse. Mais elle essaie alors de se changer les idées, en prenant son temps pour le petit déjeuner, en bavardant avec ses équipières, en faisant un peu de vélo dans la salle ou en regardant des vidéos sur YouTube ou Instagram. Lorsqu’elle découvre des messages d’encouragement, elle ressent alors la pression extérieure, mais elle ne bronche pas: « Aucune pression n’est aussi forte que celle que je m’impose moi-même. »

Afin de l’évacuer, Derwael tente de se persuader qu’elle est prête, qu’elle a fait tout ce qui était en son pouvoir pour briller. Elle se rappelle également qu’elle a déjà fait ses preuves et que personne ne peut lui reprendre ce qu’elle a gagné. Tout ce qui arrive en plus n’est que du bonus. Ça l’aide à relativiser le stress inhérent à un championnat du monde ou à une compétition olympique comme celle de Tokyo, où elle devra réaliser la performance parfaite pendant cette courte minute qui lui sera accordée pour atteindre l’Olympe. Autant de choses qui permettent à la Limbourgeoise de garder un équilibre émotionnel, comme lors des derniers Mondiaux, où elle s’est parée d’or. Pourtant, jamais elle n’a laissé éclater sa joie. Ou alors, intérieurement. En tout cas, elle ne s’est pas laissé déborder par ses émotions. Et le dimanche 1er août 2021 à Tokyo?

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