C’est le PLOMBIER

Quand il y a une fuite dans la tuyauterie, les Rouches appellent S.O.S. Dépannage.
Clef anglaise, pince universelle, tournevis, toile isolante, mèche ou vis à métaux : Gonzague Vandooren (25 ans) a toujours le nécessaire dans sa boîte à outils. Quand cela coule derrière ou si Dominique D’Onofrio constate un manque de pression à la finition, l’homme à tout faire de Sclessin est prêt à intervenir. Il ne se prend pas pour un ingénieur du football mais les hommes de métier gagnent bien leur vie aussi. Avez-vous fait appel à un plombier dernièrement ? Pas facile à trouver et les factures sont acquittées avec un porte-plume réservoir Pelikan plaqué or. Alors, sûr de lui et de sa force de travail, Vandooren se moque de l’avis de ceux qui ne retiennent que son manque d’élégance balle au pied.
» S’il n’y avait que des techniciens dans une équipe, cela laisserait à désirer… « , dit-il, non pas pour se défendre, mais pour souligner les mérites de ceux qui savent revêtir un bleu de travail. Puis, mine de rien, le bonhomme intéresse des clubs anglais et est présent en D1 depuis 1997, époque à laquelle il jouait à Mouscron, prochain adversaire du Standard.
Vous aimez la cuisine chinoise ? Oui, parfait, alors je vous propose des questions pimentées ou aigres-douces : qu’est-ce que vous préférez ?
Gonzague Vandooren : Je vous laisse le soin de composer la carte.
L’aigre-doux est plus raffiné : qu’est-ce que Valence a fait ce week-end ?
Je n’en sais rien. Pourquoi ?
Je connais un coach de D1 qui expédie ses joueurs dans le noyau B s’ils ne s’intéressent pas assez à la vie du football. N’a-t-il pas raison d’affirmer qu’un joueur professionnel doit connaître tout ce qui se passe partout dans son milieu ?
A chacun son trip. Cédric Roussel est une encyclopédie vivante, il est incollable, il sait tout. Moi, je ne discute pas de football du matin au soir. C’est mon métier, je le pratique à fond mais il ne faut pas se prendre la tête. Je peux m’intéresser autant que je veux à la Liga ou à la Ligue des Champions, c’est sur le terrain qu’un joueur fait ses preuves. Parler sans cesse de football, pour moi, cela ne sert à rien. Le staff technique est là pour analyser les matches, nous permettre de progresser. Il ne faut pas sans cesse se bourrer le crâne. C’est simple, le football. Si certains veulent se compliquer la vie, c’est leur problème.
Quel sera l’adversaire du Standard lors de la prochaine journée de championnat ?
Mouscron.
Bien : au temps de sa splendeur en tant que joueur, Georges Grün ignorait contre qui il jouerait trois jours plus tard…
Voilà, j’ai fait mieux que lui. Il ne connaissait pas le résultat de Valence tous les week-ends mais cela ne l’a pas empêché de réaliser une immense carrière.
Du temps d’Eric Gerets, Michel Preud’homme, Arie Haan, Simon Tahamata et consorts, le groupe ne parlait que de football, s’inspirait de ce qui se passait au top européen. Je ne dis pas que le Standard a été champion pour la dernière fois grâce à cette passion mais cela a aidé, me semble-t-il…
Je n’y crois pas, c’est du blabla. Or, il y a déjà assez de blabla dans le football. Je n’ai pas besoin d’amasser des tas de données, d’éléments. Dominique D’Onofrio et le staff nous renseignent bien. C’est à nous de bien capter les messages et de les appliquer. Cela demande de la disponibilité, du travail, ça n’a aucun rapport avec le dernier résultat de Valence.
Déjà 198 matches en D1
A votre avis, combien de matches avez-vous disputés en D1 avant le début de la saison 2004-2005 ?
J’ai dû prendre part à 170 matches avec, à la clef, entre 15 et 20 buts. Plus ? J’arrive à 183 matches de championnat, 78 à Mouscron, 17 au Lierse, 88 au Standard, soit une moyenne de 26 matches de championnat par saison, pour 23 buts en tout ? Mais ce n’est pas mal. Notez-le attentivement, écrivez-le en gras si vous en avez la possibilité.
Personne ne le sait : n’est-ce pas dommage ?
Non, pourquoi ?
On vous respecterait plus…
Je n’ai pas besoin de tout cela. Mais c’est vrai que si on savait que j’approche des 200 matches de D1, ce serait bien.
Vous en êtes à 198 matches, dont 15 cette saison avec 1.024 minutes sur le terrain, soit 49,47 % du temps de jeu. Encore deux matches…
Cela se fête ?
Tiens, on va vérifier les statistiques belges de votre concurrent direct au back gauche, Philippe Léonard, dans » 30 ans de football professionnel en Belgique « , le livre édité par Foot 100, l’ASBL des collectionneurs, archivistes et statisticiens du football belge : 124 matches de 1992 à 1996 et 3 buts. Impressionnant avec 31 matches par saison…
Je n’ai pas cédé ma place d’arrière gauche à n’importe qui. Il a été international, champion de France, a joué avec des vedettes à Monaco, a pris part à la Ligue des Champions. Quand on voit le palmarès de Philippe Léonard, ce n’est pas un parcours de tapette.
Je ne veux pas foutre le bordel mais dans un groupe, il y a des dominants et des…
Dominés ?
Non, des diplomates. A votre place, Drago s’exprime, éclaire ses ambitions, s’affirme sans hésitation.
J’ai cru que vous alliez dire que je suis un dominé. Là, ce n’est pas du tout le cas. Je suis un diplomate, ça… oui. A chacun son caractère, sa tasse de thé. Et c’est mieux ainsi : tout le monde ne doit pas se ressembler.
N’est-ce pas parce que vous raisonnez de la sorte que vous êtes devenu le plombier du Standard ? Ne méritez-vous pas plus d’estime ?
Mais l’estime de qui ? Je suis sûr que le staff technique apprécie ma facilité d’adaptation dans les trois lignes. Pour le staff, c’est génial car cela multiplie les possibilités. Il n’y a pas beaucoup de joueurs qui, en D1, peuvent rendre service un peu partout. Cela paraît marrant ou étonnant mais c’est aussi une force. De toute façon, c’est ma situation et je la gère calmement. C’est ma quatrième saison dans ce club du top belge. J’ai joué trois ans et demi à plein temps et cela m’a permis de vivre plein de trucs, d’avancer, de progresser, de m’affirmer. Qui est présent depuis quatre ans au Standard sans interruption ? Ivica Dragutinovic et moi. Personne d’autre. Cela prouve que je signifie quelque chose. Mais je n’ai pas envie de le crier sur tous les toits. Je garde plus cette satisfaction pour moi. Je ne suis pas du style à exiger, à revendiquer, à parler sans cesse de moi. Où sont ceux qui l’ont fait ? Est-ce que cela sert à quelque chose ? Non. Le caractère ? Mais c’est quoi le caractère ? Je joue où on me demande de le faire et, après quatre ans, ma polyvalence me permet d’être toujours là. Alors, qui a du caractère ? Dans ma tête, je ne suis plus un back gauche, un médian gauche ou un attaquant : je suis un joueur du Standard.
Intérêt anglais
Mais ces incessants changements de place ne vous lassent pas ?
Je n’aime pas la monotonie. C’est un plus et c’est un danger à la fois car je ne peux rien prévoir à long terme ou même avant un match. Même quand je suis sur le banc et qu’on me demande de m’échauffer, je n’ai pas tout de suite une idée de la mission qui sera la mienne. Je dois m’adapter au plus vite. Il s’agit d’être immédiatement utile. Je ne me pose pas de questions. Devant, on me demande d’apporter ma taille et du poids dans les duels. Je ne suis pas un renard des surfaces. Je dois être un point d’appui, créer des brèches, détourner des ballons, travailler pour les autres. Je ne joue pas pour moi. Je l’ai fait à Bochum et ailleurs, mais ne me demandez pas qui évoluait en pointe avec moi. Je n’ai pas ce genre de mémoire. Quand je suis arrivé à Sclessin, c’était pour occuper la place de médian gauche.
Les chiffres prouvent que j’ai beaucoup joué avant un creux alors… je ne dois pas me plaindre. Je m’étais installé accidentellement au back gauche après une blessure d’Ivica Dragutinovic. Avec lui devant moi, c’était superbe. Ce secteur a beaucoup changé. J’ai eu énormément de médians gauches différents devant moi. Ivica Dragutinovic aussi a occupé plusieurs places : back, médian, arrière central. Ogushi Onyewu peut se retrouver au c£ur de la défense, arrière droit ou attaquant de pointe. Pour le staff, c’est génial. Je suis content aussi de rendre service. Je suis incapable de désigner ma place préférée. Cela peut varier en fonction du contexte, des autres joueurs, etc. Je ne peux pas jouer de la même façon avec Milan Rapaic devant qu’avec Ivica Dragutinovic dans le temps. Même quand on joue à la même place, il convient de s’adapter aux réalités du match. C’est devenu ma spécialité.
Est-ce que vous serez un dépanneur tout au long de votre carrière ?
Non. Au Standard oui, ailleurs pas. Ici, le club brasse beaucoup de joueurs et je m’adapte. Mais le jour où je partirai, ce sera différent. Il me restera un an de contrat en fin de saison. Toutes les pistes sont ouvertes : prolonger, étudier les propositions de l’un ou de l’autre club. Je suis posté à des endroits différents et cela peut être un problème pour ceux qui tentent de cerner mes atouts. Encore que ce soit relatif. Il y a mes états de service. Les tribunes regorgent d’agents de joueurs et d’espions d’autres clubs. Ils me connaissent. Je n’ai pas l’intention de battre le record de Raymond Mommens avec ses 614 matches en D1. Je me suis affirmé à Mouscron avant de vivre autre chose durant une saison au Lierse, puis ce fut le Standard. Je ne resterai pas 22 ans en D1 comme Raymond Mommens. L’étranger sera un jour à mon programme.
L’Angleterre ?
Il y a des contacts dans cette direction-là entre autres. Vers l’Allemagne aussi. C’est mon style. Non, je n’ai pas d’agent. Ce n’est pas nécessaire si on joue. Quand le Standard s’est intéressé à moi en 2000, mon manager a minimisé l’importance de cet intérêt. Il préférait, je pense, m’aiguiller vers la Hollande car cela lui convenait mieux. Ce n’était pas mon avis et je ne me suis pas trompé. Je suis un joueur physique, je vais au charbon et cela convient au Standard… mais pas qu’au Standard.
Faudra-t-il un départ vers l’étranger pour que votre carrière décolle ?
Je joue depuis 1997 en D1 avec déjà quatre saisons à mon compteur au Standard. J’ai décollé depuis longtemps. Vous ne le savez pas ?
Oui, mais vous êtes le seul arrière du Standard à ne pas être international.
Mais qu’est-ce que je peux répondre ? Je suis là, j’existe, je suis fier de ce que je réalise au Standard.
Ne devriez-vous pas être plus exigeant afin de ne pas être la cinquième roue de la charrette ?
Quand je joue, je me donne à fond. Après, les choix ne sont pas de mon ressort. Je ne suis pas une grande gueule. Je suis bien comme cela. Je ne suis pas un hypocrite. Je suis droit dans mes pompes. Je ne vais pas commencer à l’ouvrir pour rien, à critiquer à tort et à travers dans le but de me protéger. Je suis sûr de moi, je me connais, je sais où je vais avec le travail. Et, dans la durée, c’est le travail qui paye. Près de 200 matches en D1 à mon âge, c’est significatif. Et il y en aura encore plus, beaucoup plus. Ici, ailleurs, à l’étranger, vous verrez. On fera les comptes à la fin. Je sais ce que je peux apporter.
Un sale…
Ce que vous pouvez apporter aux stars, aux techniciens du Standard ?
Ce que je suis capable d’offrir à l’équipe…
Ramasser les ballons…
Ramasser les ballons, ramasser les ballons…
Qu’est-ce que vous savez faire d’autre ?
Vous êtes vraiment un…
Un sale con ? Le but était de vous énerver, de prouver que ce que vous vivez ne vous laisse pas indifférent. C’est réussi. Chaque équipe a besoin de plombiers, de machines à laver afin de tendre de bons ballons bien propres vers les éléments offensifs. Même s’il y a du déchet dans votre jeu, c’est souvent vital.
J’ai loupé deux matches lors de mes débuts au Standard. Là, j’ai été sifflé mais plus depuis lors. Qu’on me dise où j’ai mal travaillé ? Où suis-je passé à travers ? Milan Rapaic a été plus critiqué que moi.
C’est Dieu qui débarquait à Sclessin, vous n’êtes qu’un plombier… Aïe, aïe, je vais encore être traité, amicalement, de sale…
Non, non… je n’ai rien dit, c’était pour rire. Milan Rapaic a été étonné par la critique et il a répondu par un but de classe contre Genk. Mais il a dû s’adapter, galoper comme il ne l’avait jamais fait. Quand je suis arrivé, il y avait de la pression sur moi aussi. Le Standard avait versé 1.250.000 euros au Lierse, je crois. C’était beaucoup d’argent.
Est-ce que le match contre Bilbao a lesté votre moral comme Eric Deflandre l’a déclaré la semaine passée ?
Je ne sais pas, je n’ai pas joué cette rencontre.
Votre explication ne me suffit pas…
C’est la seule que j’ai. Non, je ne rigole pas. Je retiens uniquement le fait que le Standard aurait pu se qualifier pour la suite des événements en Coupe de l’UEFA. Je suis persuadé qu’on y a parcouru du chemin. Mais à quoi ça sert de revenir là-dessus ? Maintenant, il faut batailler avec Anderlecht, Genk, Gand, Charleroi, etc. Et contre Genk, qui n’a pas eu une occasion, nous avons bien dominé notre sujet. Il faut continuer ainsi…
Paroles de plombier, ah ah ah…
Pierre Bilic
» Quand on voit LE PALMARÈS DE PHILIPPE LÉONARD, ce n’est pas un parcours de tapette «
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