Après deux années sur les parquets américains, Toumani Camara a déjà été élu parmi les dix meilleurs défenseurs de la NBA. © GETTY

Toumani Camara (NBA): «En Belgique, je jouais peu et je n’aimais pas défendre»

Fils d’une mère célibataire de Watermael-Boitsfort, le rêve de Toumani Camara semblait inaccessible. Pourtant, il a réussi: en deux saisons, il s’est déjà fait un nom en NBA.

En NBA, on l’appelle le «Tax Man», car de nombreux joueurs perdent jusqu’à 35% de chances de réussite face au panier lorsqu’ils sont défendus par Toumani Camara. Pas de quoi lui tailler un avenir dans la fiscalité, mais un bon argument pour en faire l’invité d’honneur de la Summer University du magazine Trends à Knokke. C’est là que Toumani Camara raconte son rêve américain, son départ de la capitale belge pour la Floride à 16 ans, et sa percée jusqu’en NBA.

Vous êtes le fils d’une mère célibataire. Quelles sont les valeurs qu’elle vous a transmises et qui vous ont aidé dans votre parcours vers la NBA?

Elle ne m’a jamais imposé quoi que ce soit. Elle m’a simplement montré l’exemple, en étant la personne la plus positive que j’aie connue, toujours reconnaissante et très humble. Elle était institutrice maternelle et est maintenant à la retraite. Ce n’est pas un travail facile, mais elle aimait transmettre aux enfants et y prenait du plaisir. Cette mentalité m’a aidé et je veux la perpétuer. Grâce à ma position de joueur de la NBA, je peux porter ces valeurs encore plus fort et inspirer les autres, comme elle l’a fait.

Sans la présence d’un père, quelle a été l’importance de votre grand frère?

Sans lui, je ne serais pas la personne ou le joueur que je suis aujourd’hui. C’est grâce à Tidiane que j’ai commencé à jouer au basket. Enfant, je l’admirais et je voulais être meilleur que lui. Cela a façonné mon esprit de compétition. J’ai grandi sans père, mon frère a donc assumé ce rôle à sa manière. Il a été un pilier dans ma vie, même si je ne m’en suis pas rendu compte à l’époque. Nous nous disputions souvent, mais lorsque je suis parti aux Etats-Unis à l’âge de 16 ans, notre lien s’est considérablement renforcé. Il est aujourd’hui mon meilleur ami.

Traverser l’Atlantique à 16 ans, c’est un choix rare. Qu’est-ce qui vous a décidé?

A l’école, j’avais du mal, et je ne voyais pas non plus d’avenir dans le basket-ball. Dans l’équipe nationale des moins de 16 ans, je jouais à peine, souvent dix minutes par match. Je ne voyais pas de perspectives professionnelles en Belgique. Puis j’ai entendu parler de Manu Lecomte, un joueur bruxellois qui était allé à l’université de Miami. Cela m’a ouvert les yeux. Grâce à mon entraîneur, j’ai eu l’occcasion d’aller dans un lycée du sud de la Floride. C’était alléchant: le soleil, les palmiers et un nouvel environnement.

Cela fut difficile de laisser sa famille derrière soi?

Ce n’était pas si difficile, surtout parce que ma mère m’a complètement soutenu. Elle m’a simplement demandé si cela me rendait heureux. Quand j’ai répondu par l’affirmative, elle m’a donné sa bénédiction sans hésitation. Je lui suis très reconnaissant de m’avoir donné cette chance, car beaucoup de parents ne laisseraient pas partir leur enfant à cet âge. Bien sûr, il y a eu des moments de solitude. J’ai parfois pleuré au cours des premiers mois, parce que je ne parlais pas anglais et que j’avais le mal du pays. Mais je ne voulais pas inquiéter ma mère. Je suis donc resté fort au téléphone, pour toujours rester positif, comme elle. Avec le recul, je suis très heureux d’avoir franchi ce pas. Ces trois années de lycée ont été cruciales: j’ai appris l’anglais, j’ai pris confiance en moi et je suis devenu plus fort en tant que joueur. Le basket-ball était beaucoup plus intense. J’étais déjà prêt lorsque je suis entré à l’université de Géorgie et j’ai tout de suite pu me faire remarquer par les recruteurs de la NBA.

Sept points marqués lors de son premier match. «Pas mal pour des débuts en NBA…» © GETTY

Quand avez-vous commencé à croire que le jeune Toumani Camara pouvait atteindre la NBA?

Peut-être seulement un an avant d’y entrer. J’ai toujours rêvé de devenir un joueur de la NBA. Adolescent, j’avais des posters de stars de la NBA dans ma chambre et je rêvais de jouer à Miami ou à Los Angeles. Mais je n’ai jamais osé le verbaliser. Venant de Belgique, ce rêve semblait presque inaccessible. Ce n’est qu’à l’université que j’ai compris que si je continuais à me remettre en question pour devenir le meilleur joueur possible, j’avais une chance. Et ça a marché.

Pouvez-vous décrire les émotions ressenties lors de votre premier match en NBA, lorsque votre rêve est devenu réalité?

Ce qui est étrange, c’est que je n’étais pas ému. J’étais surtout concentré. Ma famille et mes amis étaient dans les tribunes, alors je voulais faire mes preuves. C’était magique de les voir là alors que j’étais sur un terrain de la NBA. Je n’oublierai jamais les yeux de ma mère. Ils étaient rayonnants de fierté. Elle et ma famille étaient plus émus que moi-même. Ils ont vu les choses de l’extérieur et ont mesuré à quel point c’était important. J’étais encore trop dans le feu de l’action pour m’en rendre compte, mais c’est grâce aux sept points que j’ai marqués, ce qui n’est pas mal pour des débuts en NBA. Malheureusement, je n’ai pas pu garder mon premier maillot (NDLR: la NBA le conserve). Lorsque j’ai réalisé mon premier double-double –plus de dix points et dix rebonds ou passes décisives– j’ai pu donner un maillot à mon frère. C’était un autre grand moment.

«J’ai entendu parler de Manu Lecomte, un joueur bruxellois qui était allé à l’université de Miami. Cela m’a ouvert les yeux.»

Qu’est-ce qui vous a le plus surpris lors de votre première saison?

L’intensité du calendrier des 82 matches. Je savais que c’était beaucoup, mais pas à quel point c’est intense et difficile de jouer autant de matches en si peu de temps. Au cours d’un long voyage, on joue parfois cinq matches par semaine, avec beaucoup de déplacements et peu de repos. C’est un fameux changement par rapport à l’époque où je jouais un ou deux matches par semaine lorsque j’étais étudiant.

Comment restez-vous motivé pendant une saison aussi longue et ardue?

C’est un défi, surtout parce que le basket est désormais mon travail et non plus un simple passe-temps. Même si on aime le basket, on se sent parfois épuisé mentalement et physiquement. C’est pourquoi je soigne mon hygiène de vie: une alimentation saine, suffisamment de sommeil, une bonne récupération. Je cherche aussi à me distraire en écoutant de la musique, en dessinant ou en me promenant avec ma copine et mon chien. Cela me permet de garder un équilibre mental. Et lorsque je suis vraiment en difficulté, je me rappelle à quel point je peux être reconnaissant: je vis mon rêve et je suis payé pour cela. C’est ma mère qui m’a appris cela. Elle avait des journées difficiles en tant qu’institutrice de maternelle, mais elle se rendait toujours en classe avec le sourire.

Dès votre deuxième saison, vous avez été élu parmi les dix meilleurs défenseurs de la NBA. Pourquoi aimez-vous défendre ?

Ce qui est étrange, c’est qu’en Belgique, j’étais mauvais en défense. Je me souviens d’une séance d’entraînement où nous faisions un exercice et je n’arrivais pas à le maîtriser. Un jour, mon entraîneur m’a dit que je ne serais jamais bon en défense si je n’aimais pas ça. Ce moment a été un tournant. Cette phrase est restée dans ma tête. Il fallait que je trouve le moyen d’aimer ça. J’ai donc travaillé mon jeu de jambes, la force du haut de mes jambes, et j’ai commencé à apprécier. Aujourd’hui, je me donne toujours à 100% et je fais tout pour devenir un meilleur défenseur: entraînement physique dans le sable pour renforcer mes jambes, étude des adversaires en vidéo, etc.

Quel est le meilleur compliment que vous ayez reçu au sujet de votre qualité défensive?

Le premier, c’est quand j’ai été échangé de Phoenix à Portland après la draft NBA. J’ai vu la déception sur les visages de Kevin Durant, Devin Booker et Bradley Beal, les stars de l’équipe. Pourtant, je n’avais pas encore joué un seul match. Le deuxième compliment m’est venu alors que je me dirigeais vers le bus après un match. Je suis tombé sur Isaiah Thomas, la légende des Pistons de Detroit et l’un des meilleurs défenseurs de tous les temps. Il m’a dit: «J’aime beaucoup ton jeu, tu as un grand avenir». Un tel compliment de la part d’une icône m’a énormément motivé. C’est aussi agréable quand je remarque que les adversaires passent le ballon plus vite parce qu’ils ne veulent pas dribbler contre moi. Ils connaissent la pression que j’exerce et ne veulent pas prendre de risque. De cette manière, ils me montrent inconsciemment qu’ils apprécient mes efforts.

Dans le futur, préféreriez-vous être la star d’une équipe plus petite, avec quelques millions de plus au contrat mais moins de victoires, ou être cantonné au rôle de pilier défensif mais dans une équipe de haut niveau qui lutte pour le titre?

Le championnat, sans aucun doute. Ce n’est que ma deuxième année en NBA et je suis déjà fatigué de toutes ces défaites. Je n’en dors pas. Si je marquais 25 points par match et que nous perdions souvent, je serais le seul à être heureux et je ne me sentirais pas bien.

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