Après 14 matches en Belgique et sur la scène européenne, on ne sait toujours pas exactement qui est René Weiler. Quel football défend-il ? L’approche qui était la sienne à Aarau et à Nuremberg peut-elle fonctionner à Anderlecht ?
Flash back : nous sommes le 16 février 2016. Le FC Nuremberg vient de battre Greuther Fürth dans le derby de la Franconie et l’imposante Nordkurve du FC Nuremberg est virtuellement en feu. En huit ans, c’est la première fois seulement que le FCN prend le dessus sur son voisin. La rivalité entre les deux clubs remonte aux années 20 du siècle dernier, lorsqu’ils dominaient le football allemand. Depuis, ils se sont affrontés à 261 reprises mais ils se haïssent et se jalousent toujours autant. Une anecdote le prouve : en 1921, l’équipe nationale allemande s’était rendue à Amsterdam pour un match face aux Pays-Bas. Elle n’était composée que de joueurs de Nuremberg et de Greuther Fürth. Ceux de Nuremberg étaient assis à l’avant du train, ceux de Greuther Fürth tout à l’arrière et le sélectionneur, au milieu du convoi.
Avant René Weiler, une demi-douzaine d’entraîneurs se sont cassé les dents sur Greuther Fürth. Deux mois et demi après son exploit, le coach parvient à hisser Nuremberg à la troisième place du championnat. C’est inespéré car l’équipe est de qualité très moyenne et, selon les prévisions, pouvait tout au plus viser la dixième place. Nuremberg et Weiler n’échoueront finalement que dans le double match de barrage pour la montée contre l’Eintracht Francfort mais personne ne leur en voudra.
Aujourd’hui, le grand club bavarois se traîne dans le fond du tableau de la D2 allemande, derrière des clubs peu connus comme les Würzburger Kickers, Erzgebirge Aue ou le SV Sandhausen. Un véritable affront et la preuve que Weiler y avait réalisé un petit miracle. Mais après un an et demi, Nuremberg, neuf fois champion d’Allemagne et quatorzième ville d’Allemagne en nombre d’habitants (500.000) était devenu trop petit pour Weiler, qui y a toutefois laissé son empreinte, comme il l’avait déjà fait à Schaffhausen et à Aarau.
DÉRAPAGE
Pour Weiler, sky is the limit. Lorsque ses ambitions ne cadrent plus avec celles du club, il s’en va. Comme au printemps 2014, lorsqu’il en eut assez d’Aarau. En trois ans, il avait sorti le club du canton d’Aargau du fin fond de la D2 pour l’amener en D1. Mais la direction, conservatrice, l’empêchait d’aller plus loin. Après trois ans et demi, et bien qu’il soit encore sous contrat, Weiler avait donc décidé de s’en aller. Secrètement, il espérait que Bâle vienne le chercher mais il s’avérait que ce n’étaient que des bruits de couloir. Et ce n’est qu’en novembre qu’il avait retrouvé du boulot à Nuremberg.
Après un an et demi en Bavière, le même scénario qu’à Aarau s’est produit : il avait le sentiment que Nuremberg était confronté à ses limites et il cherchait à s’en aller là où il pourrait atteindre ce à quoi il aspirait. Il a discuté avec Augsburg et Ingolstadt mais son franc-parler dans l’affaire Marco Russ faisait pencher la balance en faveur d’autres candidats. Que s’était-il passé exactement ? Le jour du match aller du barrage face à Nuremberg, l’Eintracht Francfort avait annoncé que son capitaine, Marco Russ, souffrait d’une tumeur maligne. Au cours d’une conférence de presse, Weiler avait estimé que ce n’était pas le moment d’annoncer cela parce que, selon lui, cela n’avait rien à voir avec le football. Toute l’Allemagne s’était alors retournée contre lui, les médias écrivant même que Weiler avait perdu le contrôle.
Hans Böller, du Nürnberger Nachrichten, pense que, ce jour-là, quelque chose s’est cassé entre Weiler et les médias. « Sur ce coup-là, Weiler n’a pas été très malin. Il a laissé libre cours à ses émotions et il l’a regretté. Il n’avait rien contre Marco Russ et n’a pas voulu lui faire mal. Les deux hommes se sont d’ailleurs appelés à quelques reprises par la suite. Tout cela n’était pas très habituel dans le chef de Weiler. »
Depuis cet incident, Weiler entretient une relation d’amour/haine avec la presse. Il ne supporte pas le mimétisme dont font preuve les journalistes. Si un journal écrit qu’il a aligné sept médians, un autre écrira la même chose le lendemain sans prendre la peine de vérifier. C’est l’image qu’il a du journaliste moyen. Mais Böller a aussi constaté que Weiler pouvait se montrer très affable. « Ses conférences de presse étaient monotones, on pouvait prédire tout ce qu’il allait raconter mais en dehors du football, c’était quelqu’un de très agréable. Après son dérapage avec Marco Russ, il m’a téléphoné pour voir si je voulais aller prendre une bière avec lui. Finalement, nous en avons bu deux (il rit). Nous avons alors discuté à coeur ouvert de sa vie et de ce qui comptait vraiment pour lui. Et vous savez quoi ? Ce n’est pas le football. Ce n’est pas un fanatique. Il a à peine franchi le cap de la quarantaine mais il pourrait très bien vivre sans football. Il me l’a dit littéralement : je pourrais faire autre chose. Pour lui, le monde du football est trop agité, trop fou. »
FOOTBALL DE TRANSITION
On dit de Weiler qu’il laisse parler son instinct et coache à l’adrénaline. Il est décrit comme un entraîneur émotif qui, le long de la ligne, exagère parfois. Un clone de Jürgen Klopp. Un journaliste suisse, qui préfère rester anonyme, estime qu’il peut faire basculer un match. « Son coaching est excellent. A Aarau, il lui est arrivé plusieurs fois de changer le cours d’une rencontre par un changement intelligent. C’est vrai que, dans sa surface de coaching, il se comporte parfois comme un gamin de rue. Disons qu’il ne se laisse pas impressionner par ses collègues et qu’il essaye de mettre le quatrième arbitre dans sa poche en lui parlant beaucoup. »
Le football offensif est le cheval de bataille de Weiler. La manière compte moins. A Aarau et Nuremberg, ses deux derniers clubs, le football qu’il a développé est à des années-lumière du jeu qu’Anderlecht veut retrouver. Pour faire simple : Weiler prône la verticalité, les courses et un pressing haut. Des types comme Chipciu et Teodorczyk conviennent parfaitement à son système. « Weiler veut avant tout des joueurs disciplinés qui savent retrousser leurs manches », dit Böller. « Autre caractéristique : il veut une défense intransigeante. Il demande à ses joueurs de ne pas systématiquement relancer au sol. A Nuremberg, les défenseurs balançaient de longs ballons vers l’attaquant de pointe qui prolongeait de la tête. »
Weiler n’est pas du genre à suivre la mode. Ce n’est pas non plus un partisan du football de Guardiola. Ses équipes ont rarement le ballon. « Cela ne l’intéresse pas », dit Alex Teklak. « Il développe un football opportuniste, un jeu de transition. Prenez le 4-4-2 qu’il a aligné en deuxième mi-temps à Genk, avec Harbaoui et Teodorczyk, deux joueurs du même profil. En procédant de la sorte, il incitait ses défenseurs à balancer des ballons vers les deux tours, ce qui multipliait les duels. Du coup, Stanciu devait aller rechercher des ballons très bas, on lui demandait de donner l’impulsion de son propre camp et d’être décisif aux abords du rectangle. Même pour Stanciu, c’est impossible. »
Au sujet de l’intelligence tactique de Weiler, les avis sont partagés. Un joueur de Nuremberg, qui a travaillé avec lui la saison dernière, n’en pense pas beaucoup de bien. « Tout ce qu’il nous demandait, c’était de jouer en profondeur et de sprinter vers le joueur en possession du ballon pour mettre la pression », dit-il.
Pour le moment, on n’a pas l’impression qu’Anderlecht ait un véritable plan de bataille. Parfois, c’est très confus. Face à des équipes du calibre de Charleroi, Qabala ou le Slavia Prague, le talent offensif peut compenser cela. On leur donne le ballon et qu’ils se débrouillent ! Mais ce n’est pas un hasard si, pendant une heure, Anderlecht a été bousculé par La Gantoise et par Genk, deux équipes bien organisées qui appliquent des systèmes de jeu ingénieux. Au repos de ces matches, il a chaque fois fallu que Weiler intervienne pour boucher les trous. Sur le plan du jeu, cela fait des années qu’Anderlecht cherche l’équilibre. « Depuis le début de saison, on a montré la défense du doigt, à juste titre », dit Teklak. « Ces joueurs-là n’ont pas suffisamment de qualité pour supporter le poids d’un match. Mais il faut dire qu’ils sont souvent exposés aux attaques de l’adversaire. »
Weiler sait-il que son meilleur défenseur évolue dans l’entrejeu ?
Dendoncker présente en effet tous les aspects du défenseur moderne : il peut s’infiltrer, délivrer une passe à 40 mètres, ne pas se laisser surprendre dans le dos. Pour le moment, Teklak accorde à Weiler le bénéfice du doute. « Il a des circonstances atténuantes. Lorsqu’il est arrivé, Anderlecht était le plus grand chantier de Belgique. Il est encore trop tôt pour dire que son football est négatif. On pourra tirer des conclusions dans un mois. »
MISSION IMPOSSIBLE
Pour ceux qui en douteraient encore, Weiler a ses principes et il n’en déroge pas. Sous John van den Brom et Besnik Hasi, certains marchandaient encore en matière de règlement mais ce n’est plus le cas. Des comportements à la Okaka ou à la De Maio l’énervent. Il n’hésite pas à retirer un joueur, quel que soit son nom. Et cela ne surprend pas Igor Nganga (29 ans), qui l’a fréquenté pendant cinq ans à Schaffhausen et à Aarau. L’actuel défenseur du FC Wil (D2 suisse) fut même son capitaine pendant deux ans. « Avec lui, il n’y a pas de nom ni de statut. J’ai pu m’en apercevoir à mes dépens à Aarau. Un jour, je suis rentré trop tard de vacances et j’ai été sévèrement puni. J’étais capitaine de l’équipe mais même les joueurs les plus importants ne pouvaient pas se permettre le moindre écart. Attention : il ne voulait pas faire de nous des robots, nous avions droit à l’erreur. Le plus important, c’était notre réaction. Mais dans l’absolu, c’est vrai, Weiler est très entêté. Lorsqu’il a une idée en tête, le faire changer d’avis, c’est mission impossible. »
En Suisse et en Allemagne, tout le monde n’apprécie pas ses méthodes ni son manque de tact. « Dans un groupe de vingt joueurs, il y en avait cinq qui trouvaient que son approche était discutable », dit Nganga. « Mais il le savait. Au cours de la théorie, il montrait un joueur du doigt et disait : Je sais que tu n’es pas d’accord avec moi mais je m’en fous, on jouera comme je l’entends. »
Tout le monde craignait les analyses vidéo des lendemains de matches. « Nous entrions dans le local en tremblant », se souvient Nganga. « Celui qui avait couru suffisamment pendant le match n’avait pas de souci à se faire mais dans le cas contraire, on avait un problème avec Weiler. On ne peut rien contre les caméras et les GPS. »
Ses techniques de motivation inspiraient les joueurs. Weiler savait comment les motiver. Son discours changeait avant chaque match, en fonction de l’adversaire. Contre les grandes équipes, il sortait toujours un lapin de son chapeau. « Je me souviens d’un déplacement au Grasshopper Zurich. L’échauffement à peine terminé, il nous a fait signe de rentrer au vestiaire. Il avait entendu dire que les joueurs du Grasshopper auraient droit à une double prime s’ils nous battaient. Il n’a pas tourné autour du pot : Faites votre boulot sur le terrain et je ferai en sorte qu’une double prime vous soit versée aussi. »
PAR ALAIN ELIASY PHOTOS BELGAIMAGE
» Ce n’est pas un fanatique. Il a à peine franchi le cap de la quarantaine mais il pourrait très bien vivre sans football. » HANS BÖLLER, JOURNALISTE
» Weiler est très entêté. Lorsqu’il a une idée en tête, le faire changer d’avis, c’est mission impossible. » IGOR NGANGA, UN DE SES ANCIENS JOUEURS