AU COEUR DU CHAUDRON CAROLO

A l’occasion de l’entrée en matière des Zèbres en PO1, face à Gand, Sport/Foot Magazine s’est glissé parmi les fans. Ambiance.

Charleroi – La Gantoise : C’est la grande première du Sporting en play-offs1. On me promet une ambiance digne de feu le Mambourg, dont les histoires racontées avec nostalgie frôlent parfois la légende. Moi, je fais partie de cette génération qui a plus souvent connu les Zèbres galérer que l’inverse… Alors je demande à voir.

Je n’ai d’ailleurs pas connu cette petite enceinte survoltée. A l’époque de mes premières expériences footballistiques, c’est déjà au Stade du Pays de Charleroi que je me confronte : un véritable colosse aux pieds d’argile monté en toute hâte pour accueillir l’Euro 2000. Je me souviens y avoir porté le drapeau de la Yougoslavie une douce soirée de juin.

C’était lors d’une confrontation face à la Slovénie qui restera dans les annales. Menée 0-3, la Yougoslavie s’en remet ce jour-là à SavoMilosevic qui entre en jeu et permet à son équipe, alors en infériorité numérique, de revenir à 3-3. L’ambiance était déjà chaude, très chaude. Je n’avais pourtant que neuf ans.

Et même si ce mastodonte est moins mythique que son prédécesseur, les supporters carolos sont déjà passés par toutes les émotions dans ce stade. De l’auto-goal gag de BadouKéré en février 2000 face à Geel, au superbe de match de Rojas contre le GBA quelques semaines plus tard qui assurera quasiment le maintien.

De la dernière rose de l’inusable DanteBrogno à la première du regretté FrançoisSterchele ; des ambitions du tonton à la bascule en D2 ; du morne TommyCraig au flamboyant FeliceMazzu ;… ne manque qu’un (vrai) titre.

Ce samedi-là, comme une bonne centaine de supporters, je fais le pied de grue devant l’entrée de la T4 une bonne heure avant le coup d’envoi. Faut dire que pour cette première en play-offs 1, et grâce à l’implication des supporters qui ont répondu à son défi, MehdiBayat paye son verre en tribune.

Lui qui, pendant de longues années, a dû subir les chants et sifflets des supporters suite à la gestion de son oncle, se retrouve aujourd’hui derrière la pompe à servir des chopes (bien mousseuses) à ses nouveaux amis. Sa force à Mehdi, c’est d’avoir très vite compris à qui il avait à faire, et d’avoir redonné, avec Carolos are back, une place centrale à ses supporters.

Bien plus qu’un slogan.

 » Dans notre ville, y a du coeur  »

Le public de Charleroi, c’est un peu comme un Slam de Mochélan :  » On est une ville d’ouvriers, une ville de travailleurs. Une ville dépouillée mais pas une ville de pleurnicheurs. Une ville désertée, une ville qui perd d’l’ampleur. Une ville qu’ils ont usée, dépecée de sa valeur. Mais dans notre ville y’a d’la gaité, dans notre ville y’a du coeur. Avec parfois pt’être un peu trop de dureté dans la rancoeur.  »

Plein de clichés, desquels on use et abuse, pourtant emplis d’une tendre réalité. Souvent taclés, jamais mis à terre, les supporters des Zèbres enchaînent les moments clairs et sombres de leur existence comme les rayures de leur maillot.

Dès l’échauffement des joueurs, le speaker du Sporting enfonce le clou. Ses premières paroles de la soirée seront :  » Le Stade du Pays de Charleroi appartient à ses supporters !  » Ce sera le leitmotiv de mon expérience. Et s’il en fallait encore un exemple, les événements de ce samedi l’ont parfaitement illustré.

La veille du match, la gazette locale dévoile que DJ Joss viendra défendre en tribune le nouvel hymne aux play-offs dont il s’est rendu coupable. Une véritable catastrophe. De quoi rendre les plus jeunes d’entre nous nostalgiques des chansons populaires d’un BobDechamps qu’on a à peine connu. Soulèvement au sein de l’Amicale des supporters qui dénonce le soir même une manoeuvre commerciale et invite gentiment ledit DJ à rester a s’barak.

Finalement, c’est donc bien le culte Pays de Charleroi qui ponctue la mise en jambe des Zèbres, et les motive, si besoin en était encore, avant une entrée au vestiaire sous les acclamations d’un public déjà bien lancé. Les écharpes sont tendues, les gorges déployées, et à tout âge, et dans toutes les tribunes, on chante encore fièrement :

 » Pays de Charleroi, c’est toi que je préfère. Le plus beau coin de terre à mes yeux oui c’est toi ! A mes yeux, oui c’est toi !  » La soirée des supporters est lancée, le récital durera pendant 90 minutes, ne laissant jamais la priorité à leurs homologues gantois pourtant venus en nombre.

 » La T3 avec nous, la T3 avec nous  »

Au moment du coup d’envoi, je suis un peu à l’écart d’une foule bien compacte. Il faut dire que le public carolo a cette fâcheuse tendance à ne pas s’asseoir à sa place en T4, et à se mettre coûte que coûte au centre de la tribune. Résultat ? C’est un peu comme si Dewaest tentait d’entrer son pied dans les talons aiguilles de sa femme.

Les phalanges du club sont entassées tant bien que mal au centre du terrain tandis que sur les côtés, ça caille. Avec ses coins ouverts, le Stade du Pays de Charleroi est en proie à des courants d’air qui ont glacé les pieds et les gorges de nombreux de ses visiteurs. Heureusement, ce mois d’avril est plutôt doux.

Au coeur du kop, la température monte d’un cran. On joue depuis une dizaine de minutes quand les kapos décident de faire appel à toutes les forces vives du stade pour sonner la charge contre les Buffalos.  » La T3 avec nous, La T3 avec nous… «  Chose faite, on se tourne alors vers la tribune présidentielle. Pas le temps d’entamer le chant.

Dans la cohue générale, NeeskensKebano s’élève et décroise parfaitement sa tête pour permettre au Sporting de prendre les devants. Le stade s’enflamme. C’est convaincues que les trois tribunes reprennent en canon le célèbre : Aux armes. Nous sommes les Carolos. Et nous allons gagner. Allez les zèbres.

De loin, je regrette un peu de ne pas vivre ce moment au plus près de ces acharnés qui bercent le stade de leurs chants sans discontinuer jusqu’à la mi-temps. La foule remonte alors la trentaine de rangées que comporte la T4 pour aller rafraîchir des gosiers qui frôlent déjà la rupture. Les sièges qui garnissent la tribune retrouvent enfin une utilité, le temps de laisser 15 minutes de répit aux plus âgés.

C’est décidé. Je profite de ce temps mort pour me faufiler quelques rangs plus bas. Cela fait 45 minutes que je bouillonne. Je veux me retrouver en plein coeur du chaudron. Après tout, même FabienDebecq, le président, a quitté sa tour d’argent pour venir taper sur la grosse caisse en première mi-temps. Lui qui est d’habitude si effacé et réservé.

 » Ne jamais rien lâcher, c’est notre mentalité  »

Me voilà donc au cinquième rang, presque accoudé à la pilasse qui supporte la toiture qui s’est tant fait attendre la saison passée. Le match reprend, et les Zèbres reculent sous la pression gantoise. Heureusement, en tribunes, les chants ne faiblissent pas. A peine installé (ou plutôt entassé), je me retrouve bras dessus-dessous avec un parfait inconnu.

Les rangs s’animent et mes pieds se soulèvent sans que j’aie esquissé le moindre geste : Et Charleroi, lalalalalala… Et Charleroi, lalalalalala… Quand mon regard se porte vers mon voisin, il y a comme un air de déjà-vu. Le parfait sosie de DamienMarcq ! Le style du français a visiblement déjà fait des émules…

Au fur et à mesure de la rencontre, les minutes commencent à devenir de plus en plus longues. Les chants sont toujours aussi présents, mais l’atmosphère est tendue. Les occasions se multiplient pour les adversaires et se font de plus en plus précises. Mon voisin enchaîne clope sur clope, et son paquet doit bientôt être vide. Inexorablement, et même si dans les travées, on ne fait que le chuchoter, cette égalisation de La Gantoise est attendue… et elle arrive à dix minutes du terme.

L’espace d’un instant, le temps s’arrête pour les supporters carolos. On entend enfin les supporters gantois quelques instants. Dès la remise en jeu, les chants reprennent, menés par les ultras qui sont bien décidés à transmettre leur état d’esprit aux joueurs : Ne jamais rien lâcher, c’est notre mentalité… Mouiller le maillot. Qu’importe le résultat, c’est la seule chose que ce public ne cesse d’exiger.

Mais c’est quelques minutes plus tard, que j’ai vraiment pu mesurer l’ampleur de la passion des supporters pour ce club. Quand ce diable de Neeskens Kebano emmène ce ballon au centre du terrain. Qu’il laisse sur place ses opposants directs et croise cette frappe dont on se souviendra longtemps à Charleroi. Un éclair de génie dans le Pays Noir.

Instantanément, les dernières bières non consommées se sont élevées dans le ciel carolo. Mon corps ne m’appartenait plus et le siège sur lequel moi et mes voisins avons terminé notre course a fini par rompre sous le poids de cette foule, s’écroulant comme un château de cartes dans une douce folie. Le Sporting a remporté son premier match en play-offs1 et la fête battra son plein jusque tard dans la nuit.

En sortant du stade, les supporters ne peuvent s’empêcher de penser à la prochaine joute à domicile : un certain match contre le Standard, le meilleur ennemi. Les chants fleurissent, et préfacent déjà un duel qui s’annonce costaud. Nul doute que le chaudron carolo sera cette fois sold-out. Et on peut compter sur les deux camps pour faire vivre une ambiance digne des hauts fourneaux qui caractérisent si bien leur région.

PAR JULIEN BROGNIET – PHOTOS : BELGAIMAGE/ DIEFFEMBACQ

Infiltrer le coeur de la T4, c’est comme si Dewaest tentait d’entrer son pied dans les talons aiguilles de sa femme.

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