4 Hollandais et demi
Un quart des clubs de D1, et pas des moindres, sont entraînés par des coaches bataves. Le successeur de Marc Brys à Malines ne s’inclut pas dans le lot.
D’emblée, Harm van Veldhoven donne le ton : » Cette expérience de quatre années à l’étranger fut enrichissante « . A l’étranger ? Kerkrade n’est-il pas situé aux Pays-Bas, son pays natal ? » Si, mais je me sens plus Belge que Néerlandais, désormais. Déjà, au départ, j’étais un frontalier : lorsque j’ai joué à Lommel à 18 ans, je parcourais à vélo les huit kilomètres qui séparaient le stade de mon domicile. A l’époque, il y avait encore un douanier qui contrôlait si on n’importait pas du… beurre. J’ai pris la nationalité belge lors de la naissance de mon fils Alain en 1988. Mon épouse est Belge également. A Roda JC, j’étais considéré comme un entraîneur belge. «
Pourquoi avoir quitté la Eredivisie ?
Harm van Veldhoven : J’ai estimé avoir fait le tour de la question à Roda. J’ai vécu toute la période de l’assainissement budgétaire. Quand je suis arrivé, le budget était de 8,5 millions d’euros, dont 7,5 millions pour l’équipe Première. Il est passé à 5 millions et ne sera plus que de 4,5 millions cette saison. Malgré cela, je pense avoir réalisé du bon boulot. J’ai pris le train en route en cours de saison 2008-2009 et on n’a échappé à la relégation qu’aux tirs au but, lors du dernier match de play-offs. La saison suivante, on a dû vendre plusieurs joueurs importants et on n’a engagé que des footballeurs libres. Pourtant, on a participé aux play-offs pour l’attribution de la dernière place en Europa League (équipes classées de la 6e à la 9e place) : un exploit. Il y a deux ans, j’ai été nominé pour le trophée d’entraîneur de l’année, remporté par Michel Preud’homme. Mais budgétairement, on était de plus en plus serrés. Après un championnat 2011-2012 honnête (10e place), il ne m’a pas semblé possible d’aller plus haut. Malines s’est montré le plus concret.
» L’audace c’est bien, mais il faudra des résultats «
Avec John van den Brom, Ron Jans, Mario Been et Adrie Koster, on assiste à une invasion de coaches néerlandais. Est-ce une bonne chose pour le championnat de Belgique ?
Trop, c’est trop. C’est un blâme pour les entraîneurs belges. De la part du Standard, le choix de Jans est surprenant. Les Néerlandais eux-mêmes ont été surpris, surtout parce qu’il a signé dans un club francophone. Mais Jans est doué pour les langues. Il a rapidement appris l’allemand et il maîtrisera rapidement le français. Aux Pays-Bas, on a été tout aussi étonné de voir Van den Brom partir à Anderlecht, à un stade aussi précoce de sa carrière. Par rapport à ADO La Haye et à Vitesse, c’est un très grand pas. Mais il a les qualités pour réussir. Je crois que les infrastructures, tant de l’Académie Robert Louis-Dreyfus que de Neerpede, ont séduit ces deux coaches. C’est peut-être dans cette optique qu’il sera le plus intéressant pour les clubs belges de travailler avec des coaches néerlandais, car ils sont habitués à ces conditions de travail et savent comment s’en servir. Le choix de coaches néerlandais est aussi lié au fait que les clubs belges veulent travailler de façon plus structurée. Sur le plan de l’audace, on verra sûrement la différence : on ne doit pas s’attendre à une tactique attentiste de la part d’un coach néerlandais. Mais il faut aussi des résultats. Ariel Jacobs, parfois critiqué, a remporté des trophées. Et c’est ce qu’on attendra d’eux. On a vu ce que cela a donné avec Koster à Bruges. En fin de saison dernière, Been a commencé à imprimer sa griffe à Genk après avoir dû assumer la difficile succession de Vercauteren.
Sont-ils tous les quatre pareils ?
Bien sûr que non. Jans est du Nord. En Frise, on est élevé à la dure, on patine sur les canaux gelés en hiver, mais ce n’est pas pour autant qu’il prône un football engagé, au contraire : il veut un jeu construit. Comme Van den Brom. Jans est plus calme : il construit sur le long terme, est très structuré. Van den Brom est plus impulsif, plus direct. La différence d’âge peut expliquer ces comportements : Jans a déjà de l’expérience alors que Van den Brom monte. L’un comme l’autre sont joviaux, loyaux et collégiaux. J’ai toujours entretenu de très bons contacts avec eux durant mes quatre années aux Pays-Bas. Ils soignent leur communication : les journalistes ne vont pas s’ennuyer avec eux. Been s’exprime aussi dans un style direct, il n’hésite pas à bousculer ses joueurs et à leur dire leurs quatre vérités. Koster est plus ludique dans ses explications.
Dans les années 70, de grands joueurs néerlandais venaient enrichir le championnat de Belgique. Ces dernières, ce sont plutôt les joueurs belges qui – parfois très jeunes – émigraient vers le nord. La tendance va-t-elle de nouveau s’inverser ?
On pourrait effectivement voir débarquer de plus en plus de Néerlandais, ou de joueurs actifs aux Pays-Bas. La plupart des clubs néerlandais sont obligés d’élaguer leur noyau. C’est valable pour les entraîneurs également. Aux Pays-Bas comme ailleurs, ils ont une obligation de résultats mais ne reçoivent pas les moyens qu’ils réclament. Ils se disent alors : – Dans ce cas, allonsvoirailleurs !
» Les clubs néerlandais sont des petites entreprises «
Au vu de vos quatre années passées aux Pays-Bas, de quoi le championnat de Belgique pourrait-il s’inspirer ?
L’ Eredivisie est un championnat magnifique, disputé dans des stades magnifiques. Le stade de Roda JC lui-même est un petit bijou, et ce n’est pourtant pas le plus grand, loin de là. Même en D2, on trouve des stades magnifiques, comme celui du Fortuna Sittard. Et puis, il y a les complexes d’entraînement, formidables eux aussi. Les clubs sont organisés comme de véritables entreprises. Ils ont tous un directeur général, un directeur commercial et un directeur sportif. Ces gens doivent assumer des responsabilités. On ne trouve pas de » présidents supporters » qui décident de tout, comme dans certains clubs belges. La plupart des clubs néerlandais comptent entre 30 à 40 salariés, pas des bénévoles : s’ils ne donnent pas satisfaction, ils sont virés. Cela n’empêche pas certains clubs d’avoir des difficultés financières. En ce moment, à cause du fait que les droits TV ont été diminués de moitié, de nombreux clubs connaissent de gros problèmes. Et les critères pour l’obtention de la licence sont très sévères : il faut avoir assaini les finances endéans les trois ans, sous peine d’être privé de licence. Mais, lorsqu’il faut appliquer des restrictions budgétaires, on coupe dans le budget de l’équipe Première, pas dans celui de l’organisation ou du centre de formation ! Il y a beaucoup de jeunes talents aux Pays-Bas et on continue à investir dans la formation. Cette politique porte ses fruits : lorsqu’un club est obligé de vendre ses titulaires, les jeunes sont prêts à prendre le relais. On connaît la qualité des centres de formation néerlandais. Mais cette formation ne s’applique pas uniquement aux jeunes joueurs. Il y a aussi une formation très poussée des entraîneurs. Je compte d’ailleurs continuer à suivre les cours là-bas et c’est la raison pour laquelle je vais rester affilié au syndicat des coaches néerlandais. J’ai lu dans la revue du syndicat qu’il y a 564 techniciens bataves actifs à l’étranger. C’est un chiffre incroyable. Ils sont partout, et travaillent avec un bagage énorme, qu’ils ont développé depuis de longues années. Cette soif d’apprendre est déjà présente chez les jeunes : lorsqu’on donne un entraînement à des adolescents, ceux-ci posent énormément de questions : – Pourquoi dois-je faire ceci, pourquoi dois-je faire cela ? Cela développe le sens tactique. En Belgique, dans la grande majorité des cas, les joueurs appliquent les consignes sans poser de questions.
En Belgique, on aimerait bien avoir de beaux stades. Comment finance-t-on leur construction, aux Pays-Bas ?
Les villes et les communes apportent une part non négligeable. Et puis, ce sont des stades multifonctionnels. A Arnhem, un concert est organisé presque chaque semaine dans le stade de Vitesse. A Kerkrade, il y a des boutiques tout autour et même un hôtel intégré au stade. C’est rentable, même lorsqu’il n’y a pas de match.
Le championnat néerlandais est-il plus fort que le belge ou simplement différent ?
Qualitativement, le top 3 des deux pays se vaut. Mais le top 8 néerlandais est supérieur. Aux Pays-Bas, ces clubs-là travaillent tous avec un budget de 25 ou 30 millions. Cela offre des possibilités. Avec Roda, c’était une lutte formidable pour terminer devant Feyenoord ou Heerenveen. En Belgique, derrière les trois ou quatre grands, tout est possible : une année c’est Lokeren, l’autre année c’est Courtrai ou le Cercle Bruges. Il y a toujours cet invité surprise, qui tient rarement sur la durée.
On voit souvent des matches très plaisants en Eredivisie…
La manière dont on appréhende le football est totalement différente : une faute grave vaut automatiquement cinq ou six matches de suspension. Il y a une vraie protection des joueurs de classe. Et aussi un vrai dialogue avec les arbitres. Cela favorise le jeu ouvert. Et puis, les médias sont très critiques. La manière dont la plupart des clubs belges jouent lorsqu’ils se rendent à Anderlecht ne serait pas acceptée aux Pays-Bas.
Malines, l’invité-surprise ?
Comment expliquez-vous que des joueurs en difficulté en Belgique réussissent au-delà de toute espérance aux Pays-Bas ? Comme Dmitry Bulykin, Sanharib Malki-Sabah ou même Björn Vleminckx ?
Question de confiance. J’ai connu Malki au Beerschot, je savais comment le prendre. La saison dernière, il a commencé sur le banc à Roda. Il est devenu titulaire à partir de la 6e ou 7e journée, et a terminé avec 25 buts. Bulykin ? Il a surtout brillé à ADO La Haye, un peu moins à l’Ajax où il a été blessé et a perdu confiance. Il faut voir aussi comment les attaquants sont alimentés. Au NEC Nimègue, Vleminckx a reçu beaucoup de bons ballons. Sa première saison n’a pas été brillante, mais il a été meilleur buteur lors de la deuxième.
Roda, c’est un peu le club belge des Pays-Bas.
L’appareillage de scouting est très développé : les scouts de Roda JC assistent à six ou huit matches en Belgique chaque week-end. Mais comme le club n’a plus les moyens de payer une somme de transfert, cela limite le champ d’action.
On a très peu parlé de Malines…
Il faudra voir comment l’on parviendra à remplacer Julien Gorius. Et comme je l’ai dit : il y a chaque année un invité-surprise dans le championnat de Belgique, alors pourquoi pas le KaVé ?
PAR DANIEL DEVOS
» La formation des entraîneurs est très poussée aux Pays-Bas. 564 coaches bataves sont actifs à l’étranger. «
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