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Un an après avoir disputé les Jeux olympiques à Paris, le vététiste Pierre de Froidmont a perdu son contrat de sportif de haut niveau avec l’Adeps. © GETTY

«1.000 euros perdus par mois», «trouver un travail sur mes jours de repos»: ces sportifs ont perdu leur contrat Adeps, leur vie va changer

Guillaume Gautier
Guillaume Gautier Journaliste

L’Adeps a offert des contrats à quinze nouveaux sportifs pour l’année 2026. Puisque l’enveloppe n’a pas bougé, il a fallu en sacrifier. Des choix qui bouleversent parfois des carrières.

Les temps ne sont plus aux envois recommandés. A une époque pas si lointaine, cet e-mail aurait certainement été mis entre les mains d’un facteur qui frappe à la porte, parfois le sourire aux lèvres mais rarement avec de bonnes nouvelles entre les mains. Quelques semaines après leur entretien annuel, fixé dans les locaux bruxellois de l’Adeps au cours du dernier mois d’octobre, les sportifs de haut niveau subsidiés par l’organe sportif du gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles reçoivent le verdict. Une formalité pour l’athlète Nafissatou Thiam ou le cavalier Justin Verboomen, têtes d’affiche du sport wallon. Une mauvaise nouvelle pour d’autres, tant les coupes ont été nombreuses pour permettre à quinze nouvelles têtes de gonfler les rangs de ces 80 sportifs subsidiés. Le tout avec un budget inchangé, le sport ayant été préservé de la vague d’économies régionales et communautaires, et des nouveaux venus qui reçoivent tous un contrat à mi-temps, à l’initiative de Jacqueline Galant. Son porte-parole explique que la ministre a souhaité que les «nouveaux contrats puissent être, dans un premier temps, des contrats mi-temps, principalement pour que chacun puisse faire ses preuves avant de potentiellement passer en temps plein, mais aussi parce que le nombre de demandes va crescendo malgré les contraintes budgétaires.»

Il fallait donc bien faire de la place, et les retraites du tennisman en fauteuil Joachim Gérard, des rugbywoman Margaux Lalli et Hanne Swiers ou du judoka Sami Chouchi n’ont pas suffi à libérer les fonds suffisants pour soutenir une nouvelle vague que la FWB souhaite préparer en vue des prochaines échéances olympiques. Là où l’équilibre préalable était souvent un 50-50, ce sont désormais près des trois quarts des sportives et sportifs subsidiés qui ne le sont qu’avec un contrat à temps partiel, allant du mi-temps au quart-temps. De quoi bouleverser bien des équilibres sportifs et humains.

«Profondément surpris et déçu», Arnaud Dely libère la plume sur ses réseaux sociaux. Le presque homonyme du cycliste phare de l’équipe Lotto est surtout médaillé à 19 reprises sur le duathlon, discipline qui mêle le vélo et la course à pied et n’a pas la chance d’apparaître au programme olympique. Son contrat Adeps à temps plein est devenu un mi-temps au bout d’un e-mail froid et devancé par la sortie de la nouvelle liste dans la presse. «Comment continuer à inspirer les jeunes si les conditions offertes aux sportifs ne sont pas à la hauteur des exigences qui leur sont imposées», interroge Arnaud Dely, qui se veut le porte-parole des «difficultés croissantes rencontrées par les athlètes belges, en particulier dans des disciplines non olympiques», et tourne en dérision ce nouveau statut de «demi-sportif»: «Il est illusoire de penser qu’un engagement réduit puisse suffire à atteindre ou à maintenir un niveau mondial.»

Critères stricts et bouleversements financiers

Ce fameux critère olympique a sans doute coûté cher à Nicolas Collin, médaillé d’argent aux championnats d’Europe d’escalade en 2020. Spécialiste du combiné, qui mêle les épreuves de bloc et de difficulté sur les murs d’escalade, le grimpeur a vu sa discipline de prédilection disparaître des programmes olympiques et mondiaux au cours de l’année 2025. Pour lui, il était donc devenu impossible de valider l’un des deux critères sportifs imposés par l’Adeps, à savoir un Top 10 aux championnats du monde d’une spécialité qui n’a jamais eu lieu. «L’autre critère, c’était de faire un Top 8 en Coupe du monde dans l’une des disciplines individuelles», explique l’intéressé. Une tâche déjà rendue ardue par une saison pourrie par un Covid récalcitrant, et encore compliquée par la spécialisation extrême de ses concurrents, forcément mieux préparés que lui dans leur unique discipline alors qu’il s’était concentré sur la meilleure manière de les combiner.

Nicolas Collin en action sur un mur d’escalade. © Getty Images

«L’explication tenait en une phrase: les résultats ne sont pas à la hauteur des objectifs fixés», détaille Nicolas Collin, qui perd par la même occasion sa «principale source de revenus» dans un sport où l’équilibre financier est précaire. «Lors de l’entretien au siège de l’Adeps, j’avais surtout ressenti une volonté de me soutenir, compte tenu des circonstances particulières de la saison», ajoute celui qui se dirige désormais vers l’Espagne pour y trouver de meilleures conditions d’entraînement dans le sillage d’un ancien champion olympique. Là, pour subvenir à ses besoins, le grimpeur devra probablement mettre à profit les deux jours libres de sa semaine (les séances s’étalent sur trois à six heures par jour, cinq fois par semaine) pour travailler, idéalement dans le secteur des soins infirmiers. «Grâce à mon contrat avec l’Adeps, j’ai pu poursuivre mes études d’infirmier spécialisé dans les soins intensifs et les urgences», boucle un Nicolas Collin bien déterminé à revenir au sommet, même sans son baudrier financier.

«Pour moi, ça représente une perte d’un peu plus de 1.000 euros par mois», enchaîne Jonas Gerckens, amputé de son contrat à mi-temps. En pleine mer, alors qu’il fend les flots à l’occasion de la troisième étape du tour du monde en Globe40 en compagnie de Benoit Hantzperg qui doit lui permettre de rallier Sydney depuis la Réunion, le navigateur prend la nouvelle avec philosophie: «J’avais déjà eu un carton jaune la saison précédente, et je sors de deux saisons consécutives avec des résultats qui n’étaient pas à la hauteur des critères de l’Adeps pour ma discipline, donc j’accepte tout à fait cette décision, même si ma saison actuelle est toujours en cours avec des résultats de nouveau nettement à la hausse.» A l’image d’un Koen Naert, devenu champion d’Europe du marathon quelques temps après avoir perdu les subsides de son contrat avec Sport Vlaanderen, Gerckens pourrait répondre de la meilleure des manières en bouclant son actuel tour du monde avec panache. «Cette décision me motive surtout à revenir au premier plan», confirme l’intéressé, à qui le soutien de l’Adeps lors des années précédentes a permis de professionnaliser son approche et son encadrement, ainsi que de convaincre des partenaires privés de l’accompagner dans son aventure sportive.

Jonas Gerckens (ici en 2019) hissait depuis plusieurs années le logo de l’Adeps sur sa voile. © Getty Images

L’Adeps chasse-t-elle les médailles olympiques?

«Moi aussi, je m’y attendais un peu», confesse Pierre de Froidmont, déjà préparé au couperet par l’entretien «très humain» vécu au siège de l’Adeps avant de recevoir la confirmation deux semaines plus tard de la perte de son contrat, annoncée de concert par e-mail et par WhatsApp. «Les critères sportifs étaient très hauts, voire inatteignables, car basés sur mon année 2022 qui avait été exceptionnelle», explique le vététiste, qui admet avoir cherché le sommeil pendant une ou deux nuits après l’annonce du verdict, mais semble déjà avoir digéré la perte de statut.

Au sortir d’un entraînement dans les bois, à l’abri du vent piquant qui pousse les cyclistes sur route vers le sud de l’Europe pour éviter ce froid qui brûle les joues, le Liégeois détaille les conséquences sur sa vie de la fin d’une belle histoire de sept ans: «Pour moi, ce sera juste un manque à gagner, mais il n’y aura pas de changement dans mon entourage sportif ou dans mon approche de la discipline.» Indépendant complémentaire, vivant grâce au revenu de l’Adeps et consacrant l’intégralité du budget facturé par sa société à son équipementier Orbea à sa pratique sportive, il devra désormais devenir indépendant à titre principal, et se payer un salaire. «Avec moi, l’Adeps a réussi sa mission, admet Pierre de Froidmont. Au début, j’ai pu vivre grâce à leur contrat, et c’est aussi lui qui m’a aidé à percer puis à disputer les Jeux olympiques. Désormais, c’est très bien que ce contrat permette à d’autres jeunes sportifs de réussir dans leur discipline.»

Sur les parcours de VTT, ses adversaires internationaux étaient d’ailleurs surpris quand il leur expliquait ce statut si particulier: «Les Danois ou les Français, ils trouvaient ça merveilleux. Chez eux, l’Etat ne leur a jamais donné un euro pour leur permettre de percer.» Désormais, ces euros-là profiteront certainement à des sportives et sportifs que la Belgique imagine bien briller de l’autre côté de l’Atlantique d’ici trois étés, quand Los Angeles accueillera les Jeux olympiques d’été. Ce sera peut-être sur les pistes d’athlétisme, là où sont concentrés dix des 23 contrats à temps plein offerts par l’Adeps. Parce que le critère d’appartenance au Top 8 mondial, généralement retenu pour pouvoir prétendre à l’un de ces précieux contrats, n’est pas choisi innocemment: il correspond à la limite au-delà de laquelle les concurrents reçoivent un diplôme olympique récompensant leur performance, et donc un étalon qui permet de se mesurer aux autres nations.

«Le caractère non olympique de ma discipline semble régulièrement mis en avant», pointe ainsi Arnaud Dely dans sa lettre à Jacqueline Galant. Une spécificité que la ministre conteste, précisant par l’intermédiaire de son porte-parole que «la politique historiquement appliquée en Fédération Wallonie-Bruxelles est de tenter de soutenir le plus grand nombre et le plus de disciplines sportives. En Flandre, la politique est plus élitiste et assumée: ne sont soutenus que les athlètes issus de disciplines olympiques. Notre volonté actuelle n’est pas forcément d’aller vers le modèle flamand: elle est plutôt de continuer à développer le sport wallon dans son ensemble, et cela ne se limite pas forcément aux disciplines olympiques.»

Il est certain que le motard Barry Baltus, nouveau venu dans la liste des sportifs sous contrat, ne gagnera pas de médaille à Los Angeles. Il semble tout aussi improbable que Raphaël Collignon atteigne le podium dans un tournoi olympique de tennis toujours très relevé. L’Adeps a pourtant choisi de miser sur eux, parfois au détriment de certains sports plus confidentiels et donc moins sponsorisés et rémunérés. Et choisir, c’est renoncer. Surtout quand l’enveloppe est fermée.

Les sportifs sous contrat avec l’Adeps en 2026

La Fédération Wallonie-Bruxelles distingue trois types de contrats pour les sportifs: les contrats sportifs de haut niveau (SHN), les contrats APE destinés aux sportifs de plus de 26 ans, et les contrats ACS (en région bruxelloise).

Ces contrats sont valables pour l’année 2026, et seront examinés en octobre pour savoir s’ils seront renouvelés l’année suivante.

Contrats SHN

Athlétisme: Chloé Herbiet, Marine Jehaes, Delphine Nkansa, Jordan Paquot, Liefde Schoemaker, Antoine Snyders, Jana Van Lent

Basket: Wivine Defosset, Sarah Dossou, Maxuella Lisowa, Bethy Mununga

Biathlon: Maya Cloetens

Canoë-kayak: Léo Montulet

Cyclisme: Thibault Bernard

Escrime: Oscar Geudvert, Mathieu Nijs

Equitation: Charlotte Defalque, Cyril Gavrilovic, Larissa Pauluis, Justin Verboomen

Handisport: Maxime Carabin (para-athlétisme)

Hockey: Vanessa Blockmans, Lucie Breyne, Vincent Vanasch, Maxime Van Oost, Tommy Willems

Karaté: Quentin Mahauden

Lutte: Ayub Musaev, Ibrahim Tabaev

Natation: Sarah Dumont, Florine Gaspard, Grace Palmer, Alisée Pisane

Rugby à VII: Pauline Gernaey, Noémie Van de Poele

Ski alpin: Armand Marchant

Taekwondo: Sarah Chaâri

Tennis: Raphaël Collignon

Tennis de table: Adrien Rassenfosse

Triathlon et duathlon: Arnaud Dely, Jeanne Dupont

Volley: Pauline Martin, Téa Radovic, Lien Van Geetruyden

Contrat APE

Athlétisme: Eliott Crestan, John Heymans, Florent Mabille, Koen Naert, Daniel Segers, Nafissatou Thiam, Robin Vanderbemden, Elise Vanderelst, Naomi Van den Broeck, Julien Watrin, 

Biathlon: Florent Claude, Lotte Lie

Equitation: Lara de Liedekerke

Handisport: Wim De Paepe (para-triathlon), Michèle George (équitation handisport)

Judo: Jorre Verstraeten, Gabriella Willems

Motocyclisme: Barry Baltus, Antoine Magain

Motocross: Amandine Verstappen

Natation: Lucas Henveaux

Ski alpinisme: Maximilien Drion

Triathlon: Arnaud Mengal

Contrat ACS

Athlétisme: Cynthia Bolingo

Escrime: Stef Degreef, Stef Vancampenhout

Gymnastique: Takumi Onoshima

Hockey: Lucas Balthazar, Tom Boon, Justine Rasir, Nelson Onana, Victor Wegnez

Jujitsu: Florian Bayili

Rugby: Loeka Blommaert, Margaux Stevins

Yachting: Yannick Lefebvre

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