L’herbe est-elle toujours plus verte ailleurs? Les Belges qui s’expatrient à l’étranger font parfois face à de nombreux écueils. © Getty Images

«Vivre à l’étranger, ce n’est pas un paradis pour tout le monde»: quand l’expatriation vire à la désillusion

Elise Legrand
Elise Legrand Journaliste

Le nombre de Belges résidant à l’étranger est en progression constante. Idéalisée sur les réseaux sociaux, l’expatriation peut pourtant virer au cauchemar sans préparation adéquate. Le SPF Affaires étrangères appelle à la responsabilisation des citoyens.

Un business florissant, une villa en bord de mer et du soleil toute l’année. Sur papier, l’expatriation a de quoi faire rêver. Les Belges sont d’ailleurs de plus en plus nombreux à succomber à la tentation de l’étranger. En mai 2025, ils étaient quelque 557.608 à s’être établis dans un pays tiers, selon les chiffres du SPF Affaires étrangères communiqués au Vif en exclusivité. Soit 25.000 de plus que l’an dernier à la même période. Ce chiffre, en progression constante, ne concerne toutefois que les ressortissants inscrits dans un consulat ou une ambassade. Il serait donc largement sous-estimé.

Mais derrière ces innombrables départs se cachent également moult retours. Les aléas professionnels ou familiaux poussent de nombreux expatriés à plier bagage et rentrer au pays. Les échecs et les désillusions sont aussi de plus en plus fréquents. La faute, en premier lieu, aux réseaux sociaux. Et aux influenceurs qui dépeignent leur vie de rêve à l’étranger à longueur de journée. «Or, la différence entre le Dubaï d’Instagram et le vrai Dubaï reste assez frappante», rappelle Joris Salden, directeur général des Affaires consulaires de Belgique, qui attribue la majorité des émigrations ratées au manque de préparation et d’information.

Un désenchantement auquel se heurtent particulièrement les jeunes. En quête de sens, certains souhaitent «tenter leur chance ailleurs». «Ailleurs», soit souvent au Canada, en Australie, aux Etats-Unis ou en Nouvelle-Zélande. «Ce sont des destinations qui font rêver, mais qui pratiquent l’immigration choisie, souligne Diego Angelini, conseiller à l’Union francophone des Belges à l’étranger (UFBE). Ces pays sélectionnent leurs candidats à l’expatriation uniquement sur la base de leurs besoins professionnels. Quand on explique ça aux jeunes, on voit peu à peu le désespoir poindre dans leurs yeux. Ils n’ont souvent pas conscience de cette difficulté et pensent pouvoir sauter le pas sans compétences particulières.»

Plus de divorces

Dans les médias, les success stories d’expatriés sous les cocotiers sont également légion, entretenant l’idéalisation d’un mythe. «L’image des diplomates est par exemple très magnifiée. On les imagine au bord de leur piscine, verre de champagne à la main. Mais les coupures d’électricité trois fois par semaine sont totalement éclipsées de ces reportages, déplore Joris Salden. Cela participe à la construction de l’idée que la vie à l’étranger, c’est le paradis pour tout le monde. Bien sûr, ça l’est pour certains, mais pas pour tous. Ça pourrait probablement l’être pour beaucoup, à condition de savoir dans quel genre d’aventure on s’embarque.»

Car l’expatriation reste une «décision radicale», rappelle Koen Van der Schaeghe, directeur de Vlamingen in de Wereld, le pendant flamand de l’UFBE. Un défi dans lequel l’impact émotionnel est souvent sous-estimé, notamment sur le partenaire ou les enfants qui se retrouvent embarqués bon gré mal gré dans le voyage, forcés de quitter leurs occupations et leurs cercles respectifs. «D’autant que c’est fini le temps où Madame allait faire des bals de charité et s’occupait des enfants pendant que Monsieur travaillait et ramenait l’argent à la maison», caricature Joris Salden. L’expatriation peut ainsi créer une forme de déséquilibre, avec des conséquences désastreuses pour la famille. «Malheureusement, nous voyons plus de couple d’expatriés divorcer que la moyenne», note Koen Van der Schaeghe.

Suprises fiscales et légales

Plus globalement, se retrouver à des milliers de kilomètres de ses proches, parfois sur un fuseau horaire différent, engendre un sentiment de solitude. «Rater les moments-clés de la vie, comme les anniversaires ou les Noël en famille, est souvent le plus difficile», observe Diego Angelini. Une perte de repères dont ont fait les frais les parents de Thierry*, expatriés pendant quinze ans dans l’Ontario (Canada). «Ma maman a beaucoup souffert de l’isolement, explique Thierry. Passer de la Belgique, avec une telle densité de population, à la rase campagne canadienne, ça a été un véritable choc. Sans parler des hivers qui n’en finissaient pas.» Déjà en difficultés, la famille belge s’est alors vue confrontée à un nouveau pépin avec l’accident de travail dont a été victime le papa. «Ça a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase et qui a tout bouleversé». Sans stabilité financière, ni famille et amis sur lesquels se reposer, les parents de Thierry ont décidé –à contre-cœur– de rentrer au bercail.

En effet, à l’étranger, «les petits problèmes peuvent vite devenir grands», note le directeur général des Affaires consulaires. Dans le cadre d’un accident de travail, la sécurité sociale n’interviendra pas de la même manière qu’en Belgique, voire problablement pas du tout. Les surprises fiscales sont également nombreuses dans le chef des expatriés, par manque d’anticipation ou d’information. D’où l’importance de se renseigner un maximum sur le cadre social, fiscal et légal applicable au pays de destination. «Dans certains pays, la loi dit tout à fait autre chose que chez nous, insiste Joris Salden. Par exemple, si fumer un joint est aujourd’hui plus ou moins toléré en Belgique, dans d’autres pays, cela équivaut à 25 ans de prison.» Les erreurs peuvent également être plus pernicieuses: un notaire espagnol sera seulement chargé de légaliser la signature de l’acte de vente d’une maison, mais n’endossera pas la fonction de soutien et d’accompagnement légal qui prévaut en Belgique.

Ces incompréhensions peuvent donc coûter très cher aux expatriés, qui ne pourront souvent compter que sur eux-mêmes pour réparer les pots cassés. «L’idée que les Affaires étrangères vont tout régler est très loin de la réalité», rappelle Joris Salden. Si le SPF intervient dans la gestion de crise (catastrophe naturelle, guerre…) ou l’assistance d’urgence (décès, enlèvement), ses actions restent limitées juridiquement dans la majorité des situations quotidiennes. «S’expatrier reste une décision qui engage en premier lieu la responsabilité du citoyen», insiste Joris Salden.

Six mois de préparation

Une responsabilisation qui passe par la préparation et l’information, pour dépasser les clichés. «Contrairement aux idées reçues, l’herbe n’est pas toujours plus verte ailleurs, rappelle le directeur de Vlamingen in de Wereld. En Belgique, nous sommes plutôt gâtés en termes d’éducation, de sécurité sociale ou de retraite.» Des avantages qui disparaissent parfois à l’étranger, notamment en dehors de l’Union européenne, où l’accueil n’est pas toujours favorable. «Il y a une vision très archaïque mais qui, hélas, prédomine encore chez les expatriés: celle de croire qu’en tant que Belges ou Européens, on va être bien accueillis partout et qu’on va nous sortir le tapis rouge, observe le directeur des Affaires consulaires. Cette vision n’est plus du tout d’actualité.»

«Il y a une vision très archaïque mais qui, hélas, prédomine encore chez les expatriés: celle de croire qu’en tant que Belges ou Européens, on va être bien accueillis partout et qu’on va nous sortir le tapis rouge. Cette vision n’est plus du tout d’actualité.»

Pour une expatriation réussie, les Affaires étrangères conseillent au minimum six mois de préparation sérieuse. «Moins que ça, ça me semble irréaliste, tranche Joris Salden. Ou c’est chercher les problèmes.» Au-delà des difficultés et des coûts inhérents au déménagement à l’étranger (logistique, paperasse administrative), l’expatriation implique une adaptation psychologique et linguistique indispensable. Pour éviter les mauvaises surprises, mieux vaut déjà avoir vécu plusieurs semaines dans le pays de destination. Et si possible en hiver, pour un aperçu réaliste de la vie locale. «S’expatrier, ce n’est pas partir en vacances, conclut Diego Angelini. Il ne faut pas confondre les périodes touristiques ensoleillées, avec de nombreux saisonniers accueillants prêts à parler français, et la réalité quotidienne d’un pays.»

* Prénom d’emprunt

Avant le départ

– Consulter les avis de voyages des Affaires étrangères

– S’enregistrer sur Travellers Online

– Demander de l’aide auprès de l’Union Francophone des Belges à l’Etranger ou de Vlamingen in de Wereld

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