«Cinq jours, autopsie d’un amour» raconte une fois par mois une histoire d’amour. Pas dans son entièreté, mais en épinglant cinq moments dans la vie d’un couple. Parmi tellement d’autres, mais tellement révélateurs. Ce mois-ci: Lucas.
Ce mois-ci: Lucas dissèque son histoire d’amour en cinq jours.
Jour 1
Un jour d’automne 2023
J’ai eu plus de 1.000 dates. Alors je sais que ce que je ressens pour elle à cet instant, dans ce petit bar rock old school, n’est pas un sentiment ordinaire. Je n’y serais certainement pas entré s’il n’avait pas commencé à pleuvoir, une grosse drache. Je ne suis à Figueira da Foz que depuis deux jours, j’ai réservé un lit dans une auberge de jeunesse pendant un mois, je veux savoir si je me plairais ici avant d’y faire expédier toutes mes affaires depuis la Belgique.
J’avais demandé à ChatGPT quel était le meilleur endroit pour refaire sa vie, il m’avait conseillé la Bretagne. Je n’avais pas apprécié, je n’y étais pas resté longtemps, je n’avais pas réussi à «connecter» avec les gens. Alors deuxième tentative au Portugal, dans cette petite ville entre Porto et Lisbonne, très animée en été, un peu morte en basse saison. Comme maintenant.
Elle est assise dans ce bar, dans un coin, Wish You Were Here de Pink Floyd passe en fond sonore. Il est 18 heures. Elle a les cheveux mouillés. Je ressens tout de suite l’envie d’échanger avec elle. «Toi aussi, tu cherchais un refuge, avec cette pluie?»
«Je sors de là un peu confus. Excité, optimiste, mais effrayé.»
Dès le départ, je me sens dans un état de flow. Une alchimie que je n’avais jamais éprouvée avant. Nos discussions sont profondes, elle semble avoir une réelle empathie, ainsi qu’une intelligence logique. J’ai l’impression d’être au bon endroit, au bon moment, d’en être récompensé.
A la fermeture du bar, les gens nous poussent gentiment dehors. On ne prévoit pas de se revoir, mais on sait qu’on le fera. Parfois, demander n’est pas nécessaire. Je sors de là un peu confus. Excité, optimiste, mais effrayé. J’ai l’impression de rentrer dans une zone d’inconfort.
Jour 2
Un jour d’automne 2023
Ça doit être la cerise sur le gâteau. Le point culminant de cet effet waouh! que je m’applique à créer entre nous depuis deux semaines. J’ai tout organisé de A à Z. Je n’ai pas fermé l’œil de la nuit. Trop anxieux. J’ai envie de perfection, je veux lui en mettre plein la vue. Le vol décolle à 5 heures du matin de Lisbonne. On ne reste que le week-end.
Arrivés à Ibiza, on loue un scooter. Je connais l’île par cœur, à l’époque mon père y a toujours une maison, j’y vais chaque été depuis très longtemps. Je l’emmène dans des balades secrètes. A ce moment de l’année, l’eau est très froide, mais je nous trouve tout de même le spot parfait pour se baigner. Tout est incroyable. Je l’emmène dans un super resto, rien de tape-à-l’œil ni de touristique, juste ce genre d’endroits de caractère, qui ne paie peut-être pas de mine mais où l’on mange divinement bien. Je veux qu’on se crée des moments, des émotions, des expériences, des souvenirs.
«Je ne parviens pas à exprimer ma masculinité au sein de notre couple.»
J’ai envie qu’elle comprenne davantage qui je suis. Entre nous, je sens déjà naître des sentiments. J’ai l’impression qu’il y a peut-être une opportunité à saisir, celle de construire un futur à deux.
Tout se passe formidablement bien. Comme prévu. Tout est sous contrôle. Le temps passe beaucoup plus lentement, comme ralenti, c’est très intense. Je me sens plein d’espoir mais aussi d’angoisses, car cette impression d’évoluer hors de ma zone de confort est toujours présente.
Jour 3
Un jour d’automne 2023
«Demain, j’ai prévu une surprise pour toi, prépare-toi.» Depuis qu’elle m’a annoncé ça, je n’ai pas dormi. Je dois lui laisser le contrôle, je déteste ça. Elle veut me montrer d’où elle vient, où elle a grandi, où sa famille et ses amis vivent. C’est un samedi, je prends le bus pour la rejoindre à Porto.
Elle est très créative, elle casse les codes, j’adore. On se baigne nus, même si l’eau est glacée. Elle m’emmène à un point de vue, c’est marrant car j’y étais déjà allé lors de mon premier séjour là-bas; je m’en souviens bien car j’avais 22 ans et c’était mon premier voyage en solo. Puis on va dans une sorte de hangar, où il y a plein de trampolines. Au début, c’est très inconfortable pour moi. Je n’aime pas lâcher prise comme ça. Au fur et à mesure, je profite, j’aime ce truc de jouer avec elle. Ça me touche qu’elle me montre ce côté créatif, qu’elle veuille créer des émotions avec moi.
Le soir, on est invités chez un couple, sa meilleure amie et son copain. C’est à nouveau un peu inconfortable mais, une fois de plus, ça se passe très bien. Je sens qu’on se dirige vers quelque chose de sérieux.
On dort chez la grand-mère de sa meilleure amie, qui habite juste à côté. Lorsqu’on arrive dans la chambre, elle me fait comprendre qu’entre nous, ça n’ira pas. Peut-être commence-t-elle à capter quelques infos sur moi? C’est une très belle journée qui se termine très mal.
Jour 4
Hiver 2023
On fait l’amour deux fois. A l’aéroport, puis dans l’avion. On s’est un peu moins vus, ces derniers temps. Je me suis rendu compte que tout avait commencé très vite, trop vite, qu’on doit ralentir un peu. J’organise ce week-end en Belgique à la fois pour lui montrer d’où je viens, lui présenter ma famille, mais aussi pour revenir dans ma zone de confort. Rien à faire, je ne parviens pas à me sentir moi-même dans cette relation.
Je ne me sens pas à la hauteur face à son statut de médecin. Je prends des cours de portugais mais je ne parle pas encore la langue, ça complique les choses. Depuis que je vis à Figueira da Foz, dans cet appartement qu’elle m’a aidé à trouver, je n’ai rencontré personne d’autre à part elle. Je ne parviens pas à exprimer ma masculinité au sein de notre couple. Même au lit. Elle a une sexualité très masculine, vraiment centrée sur la pénétration, c’est perturbant. Puis elle a déjà 29 ans, elle sait ce qu’elle veut, notamment une vue sur le futur et elle attend de moi que je m’engage, mais je m’en sens incapable. Je n’ai pas l’impression d’être moi-même.
«A ce moment-là, je sais que c’est fini. Rentrer dans une case m’oppresse. Ma liberté me manque.»
Cette escapade à Liège me permet de reprendre le contrôle. Ma mère vient nous chercher à l’aéroport, on passe un moment en famille, on boit un verre, ma sœur a préparé des toasts. Ça lui plaît, elle qui a tellement la valeur de la famille. Elle rencontre aussi mes grands-parents. Puis on visite la ville, on rencontre des amis d’enfance, on fait une fête dans le Carré, on rentre à 6 heures du matin. Le lendemain, on visite Bruxelles. C’est parfait. C’est reparti. Parce que c’est moi qui dirigeais.
Jour 5
Mai 2024
Lorsque j’ai fait le pèlerinage de Saint-Jacques-de-Compostelle, après notre rupture, j’ai trouvé un trèfle à quatre feuilles. Je le lui glisse dans la boîte, avec toutes les affaires qu’elle avait laissées chez moi. Je lui écris aussi une longue lettre.
Il fait nuit, il doit être 2 heures du matin, je marche une dernière fois dans les rues de Figueira da Foz avec cette boîte en carton. C’est fou comme on avait oublié de se poser des questions: comment on se voyait dans dix ans, quelles traditions étaient importantes à nos yeux, quelles valeurs on voulait transmettre… Ce n’est qu’à ce moment-là qu’on avait compris à quel point on était en fait différents.
C’était devenu une évidence lors de ce dernier week-end passé ensemble dans sa famille, à la campagne. On a beaucoup roulé en voiture. Personne, ou presque, ne parlait anglais, ce n’était pas la première fois que j’étais confronté à cette situation, mais devoir tout traduire, ne pas pouvoir prendre part à la conversation, c’était très frustrant. Lessivant. Malgré tout, j’avais réussi à faire bonne impression.
A un moment, elle m’a demandé mon téléphone, pour faire une recherche sur Google. Ça n’avait duré qu’une seconde, mais elle avait perçu ma réticence lui donner. Et l’énergie avait changé. Le lendemain, on part découvrir des vignes, elle me force à me rendre à une fête locale. A ce moment-là, je sais que c’est fini. J’étouffe. Rentrer dans une case m’oppresse. Ma liberté me manque. Etre avec d’autres femmes me manque.
Sur le chemin du retour, on écoute de la musique, on ne parle pas, les mots ne sortent pas, comme si on avait compris que nous n’étions pas les bonnes personnes l’une pour l’autre. On sent bien tous les deux que c’est la fin. Mais on ne l’acte que plus tard, lors d’une ultime balade, celle qu’on avait pris l’habitude de faire plusieurs fois par semaine ensemble. Celle où on s’est enfin posé toutes ces questions.
Je dépose la boîte devant chez elle. Dans quelques heures, je repars pour la Belgique. Je ne sais pas si elle l’a bien réceptionnée, ni si elle a lu la lettre. Elle ne m’a plus jamais contacté.
Vous avez envie de disséquer votre histoire d’amour, heureuse ou malheureuse, en cinq jours? Ecrivez-nous: levif@levif.be