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Le jardin, allié de l’hiver de la vie

Christophe Leroy
Christophe Leroy Journaliste au Vif

Les personnes souffrant de démence, dont la maladie d’Alzheimer, bénéficient particulièrement de l’expérience de la nature. Face au manque de moyens, l’entraide est la clé.

Il y a cinq ans, ce n’était encore qu’un bric-à-brac de matériels de chantier posés sur les vestiges d’une grande pelouse, traversée par un chemin bétonné et dotée de quelques bancs. Adossée au CPAS de Jette, dans l’étroite rue de l’Eglise Saint-Pierre, la résidence Viva offre aujourd’hui un tout autre décor à ses 103 résidents. A la faveur de l’appel à projets «Action climat» de Bruxelles Environnement en 2021, et par l’entremise du CPAS, la résidence a bénéficié d’un subside de 65.000 euros –soit 90% du montant total– pour rénover la quinzaine d’ares de terrain jouxtant l’est du bâtiment. Une métamorphose verte particulièrement riche de sens: d’un côté, elle visait à ouvrir davantage cette maison de repos et de soins (MRS) sur son environnement extérieur, en contribuant par la même occasion à un maillage vert précieux pour la biodiversité en milieu urbain –le jardin répond à la charte de Natagora. De l’autre, elle remplissait le souhait des résidents et des familles de bénéficier d’un cadre verdoyant adapté aux visites et aux activités en extérieur.

En ce 16 mai ensoleillé, le jardin est plutôt désert sur les coups de 13 heures. Mais quelques minutes plus tard, les lieux s’emplissent de résidents, seuls ou en groupe, avec ou sans fauteuil roulant. Ici, la verdure environnante éclipse la ville. Un sentier tout en courbes sillonne des zones non tondues où foisonnent des herbes hautes, des marguerites, des boutons d’or et autres fleurs indigènes. Des bacs potagers permettent aux résidents de cultiver des fruits, des légumes ou des plantes aromatiques. Le retour des beaux jours y annonce précisément la reprise d’un atelier d’hortithérapie, une à deux fois par semaine. Les discussions sous un grand voile d’ombrage accompagnent le bruissement d’une fontaine s’écoulant sur une petite mare. «Tu n’oublieras pas de rendre le gilet à Tania? Elle te l’a prêté», demande Vinciane Depotter, coordinatrice Bien-être de la résidence Viva, à un résident installé dans le jardin. «Non, c’est le mien, on me l’avait offert», conteste-t-il doucement.

Sens et réminiscence

La nature est une précieuse alliée pour le bien-être physique et mental des personnes âgées, y compris pour celles qui souffrent de démence, dont la maladie d’Alzheimer est la forme la plus fréquente. La littérature scientifique a démontré que les espaces verts permettaient non seulement de réduire les comportements perturbateurs, mais aussi d’améliorer l’humeur et le sentiment de bien-être. Ceux-ci procurent en outre des repères temporels à travers le rythme des saisons. «Toucher les plantes, la terre, sentir des odeurs que l’on ne peut pas percevoir depuis sa chambre, écouter le chant des oiseaux… La stimulation sensorielle apporte beaucoup, souligne Tania De Gand, ergothérapeute et référente Démence à la résidence Viva. La nature fait aussi rejaillir des souvenirs. Cette réminiscence est importante pour les personnes qui ont des troubles cognitifs. Le jardinage permet de travailler la motricité. Je vois des résidents en chaise roulante se lever pour travailler dans un bac potager ou remplir un pot. Et de manière plus générale, ces moments contribuent à renforcer l’estime de soi et les contacts sociaux.»

Ici, tout est suggéré, jamais imposé: «Certains viennent sans nécessairement travailler, poursuit l’ergothérapeute. Ils soutiennent les autres, partagent des anecdotes. Le simple fait de sortir est déjà bénéfique en soi.» Architecte paysagiste de formation et ex-professeure d’horticulture, Annick Le Cabellec est aujourd’hui une bénévole régulière à la résidence. «Mes ateliers s’adressent à tous, glisse-t-elle. L’idée est de favoriser l’entraide et de ne jamais être en échec.» Même quand ils ont lieu en intérieur, ses ateliers valorisent toujours le lien avec la nature. «On y fait des nichoirs, des peintures, du recyclage, de la décoration, des montages floraux», énumère cette pensionnée énergique. Elle aussi perçoit, au jour le jour, les bénéfices du dehors. «Je pense en particulier à un monsieur qui était dans une phase déclinante, apathique. Au fur et à mesure, je l’ai vu sourire et regagner en joie de vivre.»

«Le but doit être d’offrir des étincelles de bonheur ou de satisfaction.»

Il serait cependant réducteur d’assimiler le contact avec la nature à un remède miracle. Présidente de la Ligue nationale Alzheimer, Sabine Henry n’aime d’ailleurs pas l’adjectif «thérapeutique» associé à bon nombre de jardins. «Une thérapie est une démarche censée prouver ses bienfaits de manière scientifique, impliquant un changement en mieux, clarifie-t-elle. Or, dans le cas de la maladie d’Alzheimer, le but, pour les soignants et aidants proches, est avant tout d’offrir des étincelles de bonheur ou de satisfaction. A force de préconiser l’individualité et l’autonomie comme objectif pour améliorer l’état des personnes avec des troubles cognitifs, on en oublie l’importance des interactions sociales, qui peuvent être une source de stimulation et de reconnaissance.» Sabine Henry cite l’exemple d’un grand-père souffrant de la maladie d’Alzheimer et qui, en tant qu’ancien guide nature, a permis à son petit-fils d’obtenir la meilleure note de sa classe dans le cadre d’un cours d’étude sur le milieu naturel. «Finalement, l’école a organisé une visite à laquelle le grand-père a participé en tant que guide. Cela lui a permis de sortir de son fauteuil et de recevoir les félicitations des jeunes. C’est tellement mieux qu’un antidépresseur.»

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Un manque de moyens, mais…

Si les bienfaits de la nature sont évidents, bon nombre de MRS ne disposent pas des ressources humaines ou financières pour y consacrer des projets de qualité et porteurs de sens, déplore la directrice de l’asbl Le jardin qui prend soin, la structure qui a formé le personnel de la résidence Viva. Contrairement à la France, les initiatives du genre ne sont pas légion en Belgique. Toutes les structures ne peuvent bénéficier d’un subside ou de l’implication d’un bénévole, comme c’est le cas dans cette MRS jettoise. Mais pour Sabine Henry, cela n’a rien d’une fatalité. «J’ai créé la Ligue il y a 30 ans, elle compte aujourd’hui dix employés et ne fonctionne qu’avec 20.000 euros par an. Comment parvenons-nous à réaliser toutes nos activités? Simplement en essayant de ne pas provoquer des coûts directs chez nos partenaires, dans une optique win-win.»

«L’expression « deux fois rien, c’est déjà quelque chose » peut donc trouver tout son sens, conclut-elle. Soyons créatifs! Je suis sidérée de voir à quel point nous nous empêchons de faire des choses, sous prétexte que cela coûterait trop. Il faut d’abord essayer. Organiser une promenade en automne, ramasser des feuilles mortes, pour ensuite les offrir à une école pour en faire un patchwork… Tant de choses sont possibles. Et tant de gens font des choses merveilleuses sans faire de bruit…»

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