Un nouveau prototype de neuroprothèse couplée à l’intelligence artificielle permettrait aux personnes atteintes de paralysie sévère de retrouver la voix.
Après plusieurs années de silence, une patiente atteinte d’une paralysie sévère à la suite d’un accident vasculaire cérébral (AVC) émet ses premiers mots. Une prouesse rendue possible grâce à un nouveau prototype d’une neuroprothèse couplée à l’intelligence artificielle qui permet de produire une voix synthétique.
La parole est non seulement un moyen de communication qui nous relie au monde extérieur et qui nous permet d’exprimer notre intériorité; mais il s’agit aussi de l’une des capacités motrices les plus complexes de l’être humain, de par le nombre de muscles et d’organes qu’elle mobilise. Le système de phonation sollicite en effet trois parties du corps: l’appareil respiratoire composé du diaphragme, des poumons et de la trachée, le larynx comprenant les cordes vocales, et les résonateurs composés du pharynx, de la cavité buccale et de la fosse nasale. Bien que leur fonction principale ne soit pas linguistique, chaque organe a sa particularité propre pour permettre aux pensées d’être exprimées.
Les cordes vocales, aussi appelées «plis vocaux», sont des organes musculaires normalement écartés contre la paroi du larynx pour laisser circuler l’air des poumons. Mais lorsqu’on souhaite parler, le cerveau émet un signal aux cordes vocales afin qu’elles se referment. Dès lors, tous les mécanismes de la parole sont mis en route. Les plis vocaux étant resserrés, le souffle d’air produit par les poumons se retrouve sous pression, coincé dans le larynx. Or, grâce à l’élasticité des plis, le souffle arrive à passer par à-coups entre les cordes vocales provoquant ainsi leur vibration et donc, des ondes sonores. Une fois passé, l’air sous pression s’infiltre dans la partie des résonateurs. Les sons vocaux sont dès lors amplifiés et transformés.
Afin de rendre compréhensible la parole, une dernière étape est nécessaire, l’articulation. Elle résulte principalement du mouvement de la mâchoire inférieure, du voile du palais, des lèvres ou encore de la langue. «Vous n’imaginez pas la gymnastique effectuée machinalement par votre langue pour produire tous les sons du français», écrit le journaliste Jean-Dominique Bauby dans son livre Le Scaphandre et le papillon.
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Lorsqu’un individu perd ses capacités phoniques et est privé de toute communication verbale, sa qualité de vie diminue. Echanger avec l’extérieur devient plus compliqué, parfois impossible. Face à ce handicap, les neuroprothèses, dispositifs directement raccordés au système nerveux, pourraient résoudre le problème et rendre la voix à ceux qui l’ont perdue.
Pour retrouver sa voix…
La perte de la parole peut survenir à la suite d’un AVC ou d’une pathologie comme l’anarthrie, un trouble du langage. L’articulation de la parole est l’une des fonctions contrôlée par le cortex sensorimoteur du cerveau. Lorsque le lien entre les deux est rompu, la mécanique du langage ne fonctionne plus. Mais des études antérieures ont démontré que la parole intentionnelle peut être décodée à partir de l’activité neuronale. La neuroprothèse entre alors en jeu pour restaurer la communication.
Ce dispositif consiste en une électrode avec de multiples contacts implantés sur la surface du cortex sensorimoteur du cerveau. Il va collecter les signaux électriques des neurones qui seront ensuite décodés par l’intelligence artificielle et, enfin, reproduits en paroles.
Les neuroprothèses existent depuis plusieurs années. «Avec le temps, les scientifiques améliorent leur mécanisme. Avec le développement de l’intelligence artificielle, on pourra accélérer le processus», s’enthousiasme le docteur Patrice Finet, chef du service de neurochirurgie aux Cliniques universitaires Saint-Luc. C’est ce qu’ont fait des chercheurs à l’université de Californie, à San Francisco. Des ingénieurs et des neurochirurgiens ont développé un nouveau prototype de neuroprothèse pour permettre aux personnes atteintes de paralysie sévère d’échanger d’une manière plus fluide avec leur interlocuteur. Ils ont révélé leur avancée dans une récente étude publiée le 31 mars 2025.
Pour leurs recherches, les scientifiques ont travaillé avec une patiente incapable de parler en raison d’une paralysie sévère causée par un AVC. «Nous l’avons sélectionnée car elle avait la plus grande précision dans la performance de décodage», précise Edward Chang, neurochirurgien à l’université de Californie et coauteur de l’étude.
Le nouveau prototype de neuroprothèse est composé de 253 électrodes connectées à la partie du cerveau en lien avec la parole. Autant d’électrodes permettent de collecter un très grand nombre de signaux électriques émis par les neurones. Mais, pour émettre les signaux, la patiente doit d’abord les activer en tentant de prononcer silencieusement des phrases affichées sur un écran. L’activité neuronale se met alors en route et les premières données sont réceptionnées par l’intelligence artificielle pour être ensuite décodées.

… il faut savoir la déchiffrer
Le décodage est une partie complexe du prototype. Il est réalisé par une technique avancée de l’intelligence artificielle, le deep learning. «C’est un processus d’apprentissage en continu. Vous pouvez lui donner énormément d’informations et il les enregistre au fur et à mesure», commente Patrice Finet.
Les chercheurs ont d’abord effectué un grand nombre d’entraînements avec l’algorithme. Avec l’aide de la patiente, les scientifiques ont pu entraîner l’intelligence artificielle à reconnaître plus de 1.024 mots d’après les signaux neuronaux. Autrement dit, lorsque la patiente tentait d’énoncer un mot, le deep learning faisait le lien entre les signaux électriques des neurones qui s’activaient et le mot qu’elle essayait de prononcer. Dès lors que l’algorithme a enregistré les informations, la patiente pouvait penser à une phrase et elle était reproduite en une voix synthétique.
Tout ce savant dispositif a permis à la participante de pouvoir de nouveau s’exprimer et d’échanger avec autrui par la parole.
Ce fonctionnement de neuroprothèse n’est pas nouveau. Ce qui l’est, c’est sa rapidité. Dans les anciens prototypes, les données neuronales étaient transmises au décodeur uniquement lorsque les tentatives de parole silencieuse du patient étaient terminées. Les conversations étaient alors faites de moments de latence pouvant durer plus d’une dizaine de secondes. La synthèse vocale était différée, ce qui rendait la conversation laborieuse et entraînait des incompréhensions ou des frustrations.
Avec le nouveau modèle, les scientifiques présentent une avancée majeure. Grâce au deep learning, les signaux électriques sont tout de suite décodés et la voix synthétique s’exprime directement, en «streaming». Cette rapidité permet alors de rendre la conversation plus fluide et naturelle. «Au lieu d’attendre d’avoir une analyse de toute une phrase, les neuroprothèses parviennent maintenant à analyser quasiment son par son. C’est ça la révolution du nouveau système», se réjouit le docteur Finet.
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Les avancées scientifiques
Les neuroprothèses font beaucoup parler d’elles depuis l’implication d’Elon Musk dans le monde de la neuroscience. La start-up Neuralink s’emploie à faire des recherches pour rendre autonomes des personnes sévèrement paralysées. L’implant que la société a créé, le Link, est un système de connexion sans fil entre le cerveau et un ordinateur. Il fonctionne avec la pensée, autrement dit par «télépathie». «Dans la nouvelle étude, la neuroprothèse enregistre uniquement l’activité motrice impliquée dans la vocalisation voulue par le patient. La pensée elle-même n’est pas décodée car elle est répartie dans des zones plus étendues du cerveau», détaille Jacobo Sitt, chercheur en neurosciences à l’Institut du cerveau.
D’autres pays sont impliqués dans la recherche sur les neuroprothèses. La Suisse est l’un des pays les plus avancés dans ce domaine. Elle travaille sur des projets innovants tels que NeuroRestore, dont le but est de restaurer des fonctions neurologiques lésées causées par la maladie de Parkinson ou par un AVC. L’université de Genève travaille également sur plusieurs projets tels que les neuroprothèses qui permettraient de restituer l’audition et l’équilibre. Elle a également fait partie du consortium du projet européen BrainCom. Une étude dont l’objectif est de concevoir des implants en lien direct avec le cortex cérébral s’appuie sur de nouvelles technologies telles que les nanomatériaux.
En parallèle, les américains auteurs de l’étude poursuivent leur recherche autour du prototype de la nouvelle neuroprothèse. «Nous avons besoin d’un dispositif entièrement implantable pour que davantage de patients puissent l’utiliser librement à domicile», confie Edward Chang. Pour rendre le prototype encore plus fonctionnel, les chercheurs vont poursuivre leurs tests sur de nouveaux patients. A terme, ils souhaitent qu’elle soit accessible à tout un chacun.
Sarah Boulvard