La commune d’Auderghem veut taxer les établissements de malbouffe sur son territoire. Une manière de dissuader de futures implantations, notamment à proximité des écoles. Mais face à de tels mastodontes économiques, la mesure paraît plus symbolique que dissuasive.
Quatre chaînes de fast-food sur un rayon d’à peine… 300 mètres. Sur le Boulevard du Souverain, à Auderghem, les enseignes de malbouffe poussent comme des petits pains. Face à l’appétit grandissant des Burger King, Pizza Hut et autres O’Tacos, la commune bruxelloise entend bien leur appliquer un régime drastique. A tout le moins sur le plan fiscal.
La majorité au pouvoir (DéFi – MR – Engagés) souhaite ainsi taxer à hauteur de 10.000 euros tout fast-food qui souhaiterait s’implanter sur son territoire. Pour les établissements déjà ouverts, une taxe annuelle de 12.000 euros est également prévue, susceptible d’être doublée (24.000 euros) si le restaurant se situe à moins de 100 mètres d’une école. Concrètement, la mesure vise surtout les grosses chaînes de malbouffe, précise la RTBF. Autrement dit, celles ouvertes au moins de 11h à 20h, équipées de bornes de commande et vendant leurs propres produits de marque. Des critères qui excluent de facto les petits snacks durums et les friteries.
Ambitions sanitaires ou pécuniaires?
Si elle devait voir le jour, la mesure –dont la première mouture vient d’être recalée par la Région bruxelloise– serait inédite sur le sol belge. «Certaines communes, comme Tervuren, se sont déjà opposées en amont à l’ouverture d’un McDonald’s sur leur territoire, rappelle Laurence Doughan, experte en politique nutritionnelle au SPF Santé Publique. Mais ici, le texte semble également s’en prendre aux établissements déjà installés, ce qui est une première.»
Une décision «enthousiasmante» et «courageuse», aux yeux de la coordinatrice du Plan alimentation santé au SPF, qui espère que les ambitions de la bourgmestre sont avant tout «sanitaires, plus que pécuniaires». «L’idéal serait que l’argent récupéré soit investi dans des initiatives de sensibilisation à une alimentation saine, afin d’avoir un réel impact, insiste Laurence Doughan. Si la taxe est uniquement destinée à renflouer les caisses de la commune, la portée est moins louable. Même si cela reste une manière de pénaliser des firmes qui font fi de toute éthique.»
«Faire des émules»
Car les enseignes choisissent rarement leur localisation «par hasard», rappelle l’experte en politique nutritionnelle. Sur le Boulevard du Souverain, la proximité de nombreuses écoles secondaires a dopé les ouvertures en cascade. «C’était LE lieu à investir, souligne Laurence Doughan. Tous les codes développés par ces établissements sont d’ailleurs là pour séduire les jeunes: les plats ne coûtent pas cher, ils sont réconfortants, l’environnement est « adolescent-friendly » et propose souvent du Wi-Fi gratuit.»
Bref, ces enseignes ont parfaitement identifié les besoins d’une jeunesse parfois snobée par d’autres établissements. A un détail près: la nourriture servie ne répond en rien à leurs besoins nutritionnels. De quoi faire flamber les risques de surpoids et d’obésité. Une étude de Sciensano, publiée en 2022, confirme d’ailleurs un «lien évident» entre les environnements alimentaires malsains autour des écoles et le statut pondéral des enfants. «La proposition d’Auderghem a donc le mérite de tirer la sonnette d’alarme à cet égard, insiste Laurence Doughan. C’est un levier local très intéressant qui pourrait, je l’espère, faire des émules à d’autres niveaux de pouvoir.»
Mais les barrières fiscales sont-elles réellement capables de freiner l’essor de telles «machines à fric»? Alors qu’en 2024, le chiffre d’affaires des fast-food a dépassé les 900 millions d’euros en Belgique (un tiers de plus qu’en 2019), une taxe de 10.000 euros apparaît bien dérisoire. «Une journée d’ouverture peut leur rapporter le double, estime Laurence Doughan. La taxe sera donc très rapidement amortie pour eux, ce qui remet en doute ses capacités dissuasives.»
«Un leurre absolu»
Tout porte également à croire que McDo & Co ne resteront pas les bras croisés. «Ces grands groupes sont terriblement armés sur le plan juridique pour lutter contre ce genre d’atteintes, rappelle l’experte en politique nutritionnelle. Face à un pouvoir local comme Auderghem, c’est un peu David contre Goliath.» Outre des «budgets colossaux», les chaînes de fast-food disposent également d’un puissant réseau d’influence. «Ils vont user de lobbying auprès de la Région et du fédéral, en rappelant notamment à quel point ils participent à l’activité économique du pays, via la création de nombreux emplois, prédit Laurence Doughan. Un argument de poids alors que la liberté d’entreprendre est considérée par certains politiques comme une valeur fondamentale de notre société.»
«Ces grands groupes sont terriblement armés sur le plan juridique pour lutter contre ce genre d’atteintes. Face à un pouvoir local comme Auderghem, c’est un peu David contre Goliath.»
Quelles qu’en soient les conséquences, la mesure ne modifiera sans doute pas en profondeur les habitudes alimentaires de la population. «Ces compagnies ont une responsabilité évidente dans l’équation, mais croire qu’en fermant tous les fast-foods, les gens se nourriront mieux, c’est un leurre absolu», insiste Laurence Doughan. L’experte du SPF Santé Publique appelle à travailler de front sur la prévention, l’éducation nutritionnelle dès le plus jeune âge et la régulation de la publicité. «Car on oublie souvent qu’au-delà de leur puissance foncière, ces grandes chaînes ont également un pouvoir marketing indéniable. D’où la nécessité de cibler en priorité ces grandes enseignes, plutôt que le durum ou le fritkot du quartier, incapables d’investir autant dans la publicité.»