Selon une grande enquête menée par Sciensano, 92% de la population dépasse les apports recommandés en graisses saturées. Un déséquilibre, observé dans toutes les tranches d’âge, qui s’est aggravé depuis 2014. Les experts pointent une alimentation dominée par les produits transformés, tandis que les mesures politiques restent limitées.
Dans l’alimentation quotidienne des Belges, les graisses saturées occupent une place importante. D’après les résultats de la Food Consumption Survey, qui viennent d’être publiés par Sciensano, ces graisses représentent 14% de l’apport énergétique total. Ce niveau excède la recommandation européenne, fixée à un maximum de 10%. L’enquête révèle que 92% de la population dépasse ce seuil. En 2014–2015, cette proportion était de 83%.
«La situation s’est détériorée depuis notre précédente enquête. Ce que l’on observe aujourd’hui, c’est une consommation chronique de produits riches en graisses saturées, tous groupes d’âge confondus», commente Nicolas Berger, codirecteur de l’unité Nutrition et Santé chez Sciensano.
Les aliments les plus concernés sont les produits laitiers entiers, les viandes grasses, les charcuteries, les viennoiseries ou encore les plats préparés. Ces produits s’inscrivent dans les habitudes alimentaires de toutes les générations. Les données montrent que les apports en graisses saturées sont similaires chez les enfants, les adolescents, les adultes et les personnes âgées. Les hommes et les femmes présentent des profils comparables.
Ce déséquilibre s’explique en grande partie par la forte contribution de quelques catégories d’aliments très courants dans l’alimentation des Belges. Selon Nicolas Berger, «plus des trois quarts des apports en graisses saturées proviennent d’une dizaine de catégories alimentaires seulement. Cela montre que quelques familles de produits très courants suffisent à déséquilibrer l’ensemble du régime. Ces résultats confortent l’idée que des interventions ciblées sur l’offre commerciale ou la reformulation des produits pourraient avoir un impact rapide sur les apports nutritionnels.»
L’étude distingue les différentes catégories de graisses. Celles dites mono-insaturées, présentes dans les huiles d’olive, les avocats ou certaines noix, sont consommées dans des proportions généralement conformes aux recommandations. Ce n’est pas le cas des graisses polyinsaturées, qui comprennent deux grandes familles d’acides gras essentiels: les oméga-3 et les oméga-6.
Ces acides gras sont dits «essentiels», car que le corps humain ne peut pas les produire lui-même. Ils doivent donc être apportés par l’alimentation. Les oméga-3, présents dans les poissons gras (saumon, maquereau, sardine), les graines de lin ou de chia et les huiles de colza, jouent un rôle essentiel dans la santé cardiovasculaire, le fonctionnement du cerveau et la régulation de l’inflammation. Les oméga-6, que l’on retrouve dans les huiles de tournesol, de maïs ou de soja, sont également nécessaires pour les défenses immunitaires, la croissance cellulaire…
Selon l’enquête, un quart des Belges en consomment trop peu, ce qui pourrait compromettre certains mécanismes de protection contre les maladies chroniques.
Vers une fiscalité nutritionnelle plus stricte?
En 2024, le Conseil Supérieur de la Santé a recommandé l’instauration d’une fiscalité nutritionnelle. Son avis propose de taxer les produits riches en graisses saturées, en sucres ajoutés ou en sel, et d’alléger la TVA sur les aliments jugés plus sains comme les fruits, légumes, légumineuses, huiles végétales vierges ou céréales complètes. Le SPF Santé publique confirme que ces propositions sont en cours d’examen, sans calendrier réglementaire annoncé.
Certains représentants de l’industrie agroalimentaire ont exprimé leur opposition à ces mesures. Une analyse de l’OMS portant sur plusieurs pays de l’Union européenne montre que les producteurs et distributeurs de boissons sucrées ainsi que leurs fédérations professionnelles ont activement fait pression contre ce type de fiscalité. Le rapport précise que «les industriels ont mené des campagnes de lobbying pour retarder ou affaiblir les mesures fiscales proposées dans les politiques nationales.»
Le Conseil Supérieur de la Santé recommande d’accompagner toute réforme fiscale d’un effort pédagogique renforcé. Il plaide pour une information plus claire sur les emballages, une révision du Nutri-Score et des campagnes dans les écoles et cantines publiques.
Des conséquences concrètes sur la santé
Nicolas Berger souligne les conséquences d’une alimentation trop riches en graisses saturées: «Cela accroît le taux de cholestérol LDL, appelé mauvais cholestérol, et le dépôt de plaques dans les artères. Ce processus augmente le risque d’infarctus, d’accident vasculaire cérébral et d’hypertension artérielle. Il faudrait remplacer ces graisses par des alternatives insaturées pour réduire le risque d’événements cardiovasculaires majeurs.»
En 2024, FIAN Belgique, branche nationale d’une organisation internationale active pour le droit à l’alimentation, a publié un rapport consacré à la montée en puissance des aliments ultra-transformés dans les habitudes de consommation, qui contiennent une part importante de graisses saturées. Ces produits, qui regroupent une large gamme d’aliments industriels comprenant des additifs, des arômes artificiels, des émulsifiants ou des texturants, représentent environ 30% des apports caloriques moyens des Belges, une proportion plus élevée encore chez les enfants. Le rapport met en lumière une tendance structurelle: ces produits sont largement présents dans les rayons, financièrement plus accessibles, fortement promus et davantage consommés dans les foyers à faibles revenus.
Selon l’ONG, cette réalité contribue à l’augmentation des maladies chroniques liées à l’alimentation, comme le diabète de type 2, l’obésité ou les pathologies cardiovasculaires, et renforce les inégalités sociales de santé.
Le Conseil Supérieur de la Santé a confirmé ces informations: «Les choix alimentaires individuels sont fortement influencés par l’environnement de consommation, notamment la disponibilité, la promotion et le prix des produits.»
En Belgique, les politiques de prévention nutritionnelle reposent principalement sur des recommandations non contraignantes. Les autorités sanitaires publient régulièrement des conseils alimentaires, comme les repères du Conseil Supérieur de la Santé ou le guide interactif de l’AFSCA, mais leur mise en œuvre reste facultative. Aucun mécanisme obligatoire n’encadre l’offre alimentaire dans les commerces ou la restauration, ni ne limite la teneur en graisses saturées, en sucre ou en sel dans les produits industriels. De même, l’utilisation du Nutri-Score reste volontaire pour les fabricants, ce qui limite son impact.
A ce jour, la Belgique ne dispose pas de législation contraignante obligeant les industriels à améliorer la composition nutritionnelle de leurs produits, contrairement à d’autres pays européens qui ont imposé des normes sur la composition nutritionnelle ou interdit certains additifs. Pour le codirecteur de l’unité Nutrition et Santé chez Sciensano, le constat est clair: «Cette approche essentiellement incitative ne permet pas d’inverser les tendances.»