Le cancer a frappé le foie de Léo sans répit, forçant ce septuagénaire à passer par une transplantation. L’après-greffe est lourd, parsemé d’obstacles et de défis. Sa résilience, il la puise dans le soutien des autres et dans le sport, une thérapie aussi essentielle que tous les médicaments.
Sur son t-shirt blanc, quelques mots écrits en lettres bleues. «Move, Play, Be, Love, Give». Bouger, jouer, être, aimer et donner. Des verbes qui transcrivent l’état d’esprit du sémillant septuagénaire. Léo –il souhaite être appelé ainsi– affiche sa vitalité et sa bonne humeur dès qu’il prend la parole. Il a le verbe loquace et le sourire communicatif. Une attitude qui tranche avec les épreuves qu’il a traversées.
En 2014, ce qui commence par une éruption cutanée l’amène à consulter. La solution des dermatologues se dessine à base de corticoïdes. L’effet est nul. Les mois passent, les tests se poursuivent, puis un verdict tombe: cancer primaire du foie.
Une première ablation thermique intervient en 2017, consistant à utiliser la chaleur pour brûler les cellules cancéreuses. Léo est considéré comme plus ou moins guéri. Il n’en est rien. A intervalles réguliers, de nouveaux foyers cancéreux sont détectés. En 2019, il faut se rendre à l’évidence: cela va continuer à récidiver, la marge de manœuvre se réduit, il n’est plus possible de brûler les cellules. Ses médecins évoquent la transplantation d’un organe sain.
«J’ai accepté et je me suis retrouvé inscrit sur liste d’attente pour recevoir une greffe du foie. Il y a beaucoup de formulaires, de visites à l’hôpital, d’examens. Ensuite, se retrouver dans cette position et attendre, c’est une épreuve. C’est voir la mort devant soi», explique Léo. Les semaines défilent, entre crainte et espoir.
Un traitement lourd et à vie
En juin 2019, sa femme doit affronter le même verdict, le même mot. Cancer, avec des métastases cette fois-ci. Elle décède peu après, alors que le Covid-19 est venu saturer les lits dans les services d’urgence. «Je me suis retrouvé à la maison, perdu et déprimé, sans savoir si j’allais survivre. Mon frère décède également à cette période et je peux le dire: mon envie de vivre avait disparu», confie-t-il.
Il s’accroche pourtant, continue le sport, enfourche la bicyclette avec ses enfants. Le maintien d’une bonne forme physique doit l’aider à mieux se remettre après la transplantation, si celle-ci se réalise un jour.
A l’automne 2020, l’attente prend fin, la greffe d’un foie va avoir lieu. Une nouvelle étape de son parcours. «Tout s’est bien déroulé. Je suis resté hospitalisé quelques jours, ensuite j’étais de retour à la maison avec énormément d’informations à retenir, beaucoup de précautions à prendre pour mon alimentation. Mes muscles ont fondu, mais j’allais bien. Je suivais les conseils scrupuleusement.»
Léo sort son énorme boîte de médicaments, déclipse les attaches. Chaque compartiment représente une pilule à prendre quotidiennement. Un traitement à suivre à la lettre, à vie, pour que tout se passe au mieux. «Certains greffés font des complications; pour une petite partie d’entre eux ce sera assez sérieux. Je suis malheureusement tombé dans cette catégorie.»
Une infection et des complications intestinales détériorent son quotidien. Kinésithérapie, électrostimulation, diététique, sondage urinaire font partie des traitements complémentaires. Il sera une nouvelle fois opéré en 2023. Il s’adapte, cherche, tâtonne. Le régime passe au sans gluten, il réduit certains fruits. Parmi les solutions trouvées, le sport agit comme un remède. Pour le corps mais aussi la tête.
Le dépassement par le sport
Léo trouve également du soutien auprès d’autres transplantés. Au sein de Transplantoux notamment, l’organisation qui lui a fourni son t-shirt blanc et qui affiche le slogan «Connected for life», connecté pour la vie. Elle entend rassembler ces personnes ayant bénéficié d’une transplantation d’organe et les encourage à adopter un mode de vie sain et actif. Leur but? Grimper le mythique mont Ventoux, comme les coureurs du Tour de France. Léo y parviendra trois fois, notamment via une sorte de vélo adapté. Un motif de fierté pour lui et pour le groupe.
«Pour certains, Transplantoux, c’est une deuxième famille. Il y a le sport évidemment, mais on y vient aussi pour le côté social. On a tous vu la mort en face, c’est très particulier. On s’entraide, on discute, on partage nos expériences. Il faut pouvoir parler de ses problèmes, même quand c’est délicat ou intime. Et ensemble, nous accomplissons des choses incroyables. C’est un des messages qu’il faut faire passer, même si l’après-greffe est très lourd, que mentalement et physiquement c’est difficile, ne désespérez pas, on peut revivre comme avant», insiste Léo.

Outre le défi du mont Ventoux, le grand-père a participé, aux jeux des transplantés, aux épreuves poussant au dépassement de soi, remportant plusieurs médailles dans sa catégorie. Ses prochains objectifs sportifs passeront notamment par le triathlon. «C’est le petit triathlon, rigole Léo. 500 mètres de natation, 20 kilomètres de vélo et cinq kilomètres de marche». Sa greffe du foie n’était définitivement pas une ligne d’arrivée, mais bien un départ.
«Des objectifs simples et concrets»
Aux autres transplantés qui n’auraient pas la chance de pouvoir partager ces expériences en groupe, le septuagénaire glisse quelques conseils. «Pour le sport, mettez-vous des objectifs simples et concrets. Il faut garder de la mobilité. Même devant la télévision il est possible de bouger un peu. Continuez aussi à parler de vos problèmes, si pas à d’autres transplantés peut-être aux soignants que vous voyez et insistez pour être pris en charge en cas de complication. Enfin, regroupez-vous. Côté francophone, il existe peu de structures, c’est pourtant une aide précieuse. Il faut continuer à faire de la sensibilisation.»
Si Léo peut raconter son histoire et vivre après la greffe de foie, c’est possible uniquement grâce aux donneurs. Durant son parcours de revalidation, il a écrit une lettre pour remercier la famille de celui qui lui a sauvé la vie. Il en profite pour rappeler à quel point le don d’organe est essentiel et l’enregistrement comme donneur est facile, auprès de sa commune ou via le site internet officiel.
Se levant pour attraper la poupée avec laquelle il raconte des histoires à sa petite-fille, Léo défroisse les mots sur son t-shirt blanc. Il en fait apparaître un dernier: «Believe», croire. Croire en soi et en ses capacités. Garder espoir pour avancer, sourire pour vivre encore. Et profiter de cette chance que d’autres n’ont pas reçue. Le début d’une nouvelle course.
«La transplantation, c’est comme une nouvelle maladie»
Ce 6 juin 2025, journée mondiale de la transplantation, est l’occasion de rappeler que de plus en plus de patients survivent à une transplantation mais qu’il reste beaucoup à faire pour améliorer encore la vie des transplantés. Même si les progrès sont là.
«Il faut rappeler que les premières transplantations réalisées en Belgique étaient suivies d’un mois en chambre stérile, avec énormément de précautions et de médicaments, car il y avait la peur du rejet de l’organe. La partie médicale pour une greffe est plus légère et la sortie d’hôpital plus rapide aujourd’hui. Il n’y a plus rien d’étonnant à voir le patient rentrer chez lui après une semaine ou dix jours après une greffe du foie. Le traitement post-opératoire a clairement été fortement allégé», juge Olivier Detry, chirurgien transplanteur au CHU de Liège.
Le traitement à suivre reste pourtant conséquent et demande des adaptations. «Etre transplanté, c’est comme vivre avec une nouvelle maladie. Il y a une routine médicale, un régime alimentaire adapté, un suivi à avoir. Combien feront des complications? Difficile à dire. On peut avoir des premières difficultés dix ans après la greffe. Mais la première complication reste la détérioration des fonctions de l’organe et le retour de la maladie de départ», poursuit le chirurgien.
Parmi les greffes plus délicates, celle de l’intestin ou des poumons, des organes «ouverts sur l’extérieur», à l’inverse d’un rein ou du cœur. Les personnes transplantées, désormais plus fragiles, doivent également faire beaucoup plus attention aux maladies qui peuvent être bénignes pour une personne en bonne santé. La transplantation s’impose dans les cas les plus graves, sans alternative, en sachant qu’elle s’accompagnera de son lot d’inconvénients.
Depuis l’an dernier, le suivi des personnes transplantées est mieux pris en charge par l’Inami, avec des remboursements concernant certains soins (ergothérapie, suivi psychologique, diététique, etc.). De quoi améliorer le suivi post-greffe, dans une approche multidisciplinaire. Le sport reste aussi essentiel, comme le rappelle le témoignage de Léo et sa greffe du foie.