Entre 3 et 5% de la population souffrirait d’hyperhidrose, à savoir d’une transpiration pathologiquement excessive. Ce trouble méconnu, notamment en raison de son caractère tabou, peut être soulagé via divers traitements.
Un rendez-vous galant, un soir de juin. Le potentiel amant est en retard. Il débarque à la hâte, stationne son vélo contre un lampadaire. A première vue, il a tout pour plaire. Puis il s’approche et ôte son casque, laissant entrevoir un visage dégoulinant de sueur. Le charme est instantanément rompu. Un coup d’œil au polo gris, tâché de vilaines auréoles sous les aisselles, enterre définitivement tout espoir d’attirance réciproque.
C’est un fait: socialement, la transpiration rebute. En cette période de forte chaleur, nombreux sont d’ailleurs les Belges à adopter toutes sortes de stratagèmes pour la camoufler. Choix vestimentaire adapté, poignée de main esquivée, voire refus de pratiquer du sport en milieu collectif sont autant de comportements qui traduisent la gêne et le tabou qui entourent la sueur. Pourtant, elle est tout à fait naturelle et, surtout, essentielle au bon fonctionnement de l’organisme. «Transpirer, c’est vital, insiste Pierre-Dominique Ghislain, dermatologue aux Cliniques Universitaires Saint-Luc. La sueur remplit un tas de missions cruciales, à commencer par la régularisation de la température corporelle. Ses fonctions sécrétoires permettent également l’élimination de déchets métaboliques.»
Pas de seuil précis
Bref, transpirer, c’est la vie. Quoi qu’en disent les conventions sociales. Par contre, dans certains cas, la sudation peut s’avérer excessive, indépendante de tout facteur externe (météo, activité physique, stress…). La médecine parle alors d’hyperhidrose. Qu’elle soit localisée (sous les aisselles, sur le front…) ou diffuse (touchant l’intégralité du corps), elle représente un véritable handicap au quotidien. «Elle peut s’avérer un frein à l’activité professionnelle, par exemple dans le cas d’un ouvrier dont la sueur sur les paumes empêche la manipulation d’outils, illustre le Dr Ghislain. Pour certains, la gêne est telle qu’elle peut aller jusqu’à altérer la vie sociale et intime.»
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C’est d’ailleurs la notion d’inconfort et de malaise qui est prise en considération pour le diagnostic d’hyperhidrose. Et non la quantité de transpiration produite, variant fortement d’un individu à l’autre selon l’âge, le genre, le poids ou l’activité hormonale. «Il est très difficile d’établir un seuil considéré comme « pathologique », affirme Marie Braeck, cheffe du service de dermatologie aux Cliniques Universitaires Saint-Luc. Mais à partir du moment où le patient est incommodé au quotidien et demande de l’aide, il faut agir.»
Entre 3 et 5%
Car au-delà des conséquences sociales, l’hyperhidrose peut également engendrer des effets secondaires sur le plan médical. «Les gens qui transpirent beaucoup des pieds seront par exemple plus sujets à développer des mycoses, car la zone restera constamment humide, note la cheffe de service. La sueur dans les plis de la peau peut également favoriser les surinfections mycotiques, voire bactériennes.»
Pourtant, le caractère tabou de la sudation excessive complique sa prise en charge médicale. «Beaucoup de gens n’osent pas consulter ou préfèrent d’abord aller en pharmacie pour demander conseil, observe Marie Braeck. D’autres sous-estiment le problème et se disent: « Je ne vais quand même pas consulter pour ça ». C’est un trouble qui n’est pas suffisamment pris en compte, mais qui est pourtant très invalidant.» La proportion de la population mondiale souffrant d’hyperhidrose –évaluée entre 3% et 5%– serait ainsi «largement sous-estimée», estime le Dr Ghislain.
Dans la grande majorité des cas, la pathologie se manifeste sous sa forme primaire. «On parle alors d’hyperhidrose idiopathique, car la cause est inconnue, insiste le Dr Ghislain. Elle n’est liée à aucune pathologie et se manifeste chez un patient qui ne présente au départ pas de problème particulier.» Dans les cas rares d’hyperhidrose secondaire, l’hypersudation peut par contre être liée à des causes iatrogènes, par exemple à la suite d’un traitement médical (antidépresseurs, opiacés…) ou d’une intervention médicale. Elle est aussi souvent associée à une autre pathologie (diabète, hyperthiroïdie, tumeur surrénalienne…).
Déodorant vs antiperspirant
Heureusement, peu importe sa forme, l’hyperhidrose peut être soulagée par divers traitements. Car pour les patients atteints de ce trouble, les réflexes de bon sens tels que le port de vêtements en coton ou le choix d’une alimentation saine et non-épicée sont évidemment insuffisants. Tout comme le recours au déodorant classique, qui neutralise seulement les odeurs sans limiter la production de sueur, contrairement à l’antiperspirant.
Le premier remède proposé est généralement l’hydroxyde d’aluminium, qui diminue réellement l’activité de la glande de la transpiration. Présente en faible teneur dans les antiperspirants de supermarché, la subtance peut l’être en plus forte concentration (jusqu’à 20%) dans des produits vendus en pharmarcie, précise Marie Braeck.
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Dans les cas d’hyperhidrose localisée, des techniques d’ionophorèse peuvent être envisagées. Grâce à une substance ionisée, transmise au travers d’un faible courant électrique, l’intensité de la transpiration se verra limitée. Une solution qui peut s’avérer efficace pour les pieds et les mains, mais plus contraignante pour les aisselles ou le visage.
Une pathologie incurable
Des injections de botox peuvent également être utiles pour lutter contre l’hypersudation localisée. Mais leur coût financier et leur impact douloureux peuvent réfréner certains patients. Dans des cas plus graves, des chirurgies plus invasives sont parfois prescrites, comme la sympathectomie. «C’est une solution que je déconseille très fort, car il s’agit d’une véritable destruction des nerfs sympathiques, ce qui peut entraîner des effets secondaires irréversibles, avertit Marie Braeck. Certains patients ont développé des hypersudations paradoxales: ils ne transpiraient plus dans une zone grâce au traitement, mais suaient soudainement excessivement dans d’autres zones.»
Plus récemment, de nouveaux traitements plus prometteurs ont vu le jour, comme des crèmes à base de bromure de glycopyrronium. «C’est une substance très intéressante, qui agit sur la transmission de l’influx nerveux de la glande de transpiration, et permet de réguler son activité, souligne le Dr Ghislain. Elle est à appliquer sur la zone concernée quotidiennement pendant un mois, et réduit peu à peu la sudation, avec très peu d’effets secondaires.»
Malgré la commercialisation de ces nouveaux traitements, il faut rappeler que l’hyperhidrose reste incurable. «Certes, on peut améliorer le quotidien des patients et limiter leur inconfort, note le dermatologue. Mais on ne pourra jamais renverser le processus de manière définitive.»