Les problèmes d’endormissement et les réveils nocturnes nuisent fortement à la qualité de vie, surtout lorsque ces phénomènes se répètent. Les techniques pour trouver le sommeil plus facilement pullulent, popularisées notamment via les réseaux sociaux. Celle dite du «brassage cognitif» ne prend que quelques minutes et… éveille la curiosité. A nuancer, sur l’oreiller.
Deux heures du matin, les yeux toujours ouverts. Coup d’œil rapide sur le réveil qui égrène les minutes. La sensation que le sommeil ne viendra pas, alors que le cerveau a passé la seconde et ne veut plus freiner. Une sensation vécue probablement par toutes et tous. C’est que le sommeil se joue parfois ailleurs que dans ses draps, bien avant la mise au lit.
Les phénomènes troublant l’endormissement, d’un point de vue physique, sont bien connus: temps d’écran, alcool ou boissons excitantes, repas trop lourd, sport intensif avant le coucher, douleurs, température ambiante excessive, etc. S’y ajoutent les problèmes de stress, les angoisses, les ruminations, les tracas quotidiens, soit tout ce qui bloque le chemin du cerveau vers un calme nécessaire pour s’enfoncer dans son oreiller.
Canaliser ses pensées, avec des mots et des images
La technique du «brassage cognitif» entend travailler sur ce deuxième volet, en canalisant les pensées. Il s’agit d’occuper le cerveau avec un exercice simple, basé sur la visualisation d’objets ou de choses. Concrètement, un mot de départ est choisi, par exemple «camion». Ensuite, pour chaque lettre du mot, il faut en trouver plusieurs débutant par la même lettre. En commençant d’abord avec le «C», qui fera penser à chat, courgette, cahier, clé, etc. L’idée en énumérant les mots est de les visualiser mentalement et de passer de l’un à l’autre sans chercher à faire d’association. L’esprit rebondit simplement d’une chose à l’autre. Après quelques mots en «C» ou si les idées manquent, la personne poursuit avec le «A», puis le «M» et ainsi de suite jusqu’au «N» final du mot de départ.
En réalisant cet exercice, les idées sont «brassées», le cerveau divague dans ses pensées, sans processus compliqué qui lui donnerait envie de donner du sens à tout cela. Un état propice à l’endormissement. Les vidéos évoquant le «brassage cognitif» ont notamment rencontré un certain succès sur Instagram et TikTok ces derniers mois.
Ces vidéos citent notamment les travaux du professeur Luc Beaudoin, de l’Université Simon Fraser, au Canada, qui décrit précisément la technique du «cognitive shuffle» ou «brassage cognitif». Une approche qui serait miraculeuse selon certains, décrivant un endormissement en moins de dix minutes, parfois même sans arriver à la dernière lettre du mot de départ choisi.
Des troubles du sommeil complexes
Un miracle pour retrouver les bras de Morphée? Cette technique ne trouve en tout cas pas forcément écho dans les unités spécialisées des milieux hospitaliers. «Ce n’est pas un terme qu’on emploie, ni forcément quelque chose qu’on conseillerait, nuance immédiatement Camille Libois, somnologue et psychothérapeute à la Clinique Saint-Luc (Bouge). Quand on sent que le cerveau commence à partir dans tous les sens ou à ruminer alors qu’on est couché, nous proposerons plus facilement de sortir du lit pour faire une activité ennuyante. Cela permet de sortir effectivement de cet état, de ces pensées, et surtout de ne pas passer trop longtemps au lit sans dormir.»
Sa collègue Cécile Dusart, pneumologue et somnologue, embraye: «Plus le temps passé au lit sans dormir est long, moins on l’associe au sommeil, ce qui peut compliquer l’endormissement. Les problématiques liées aux troubles du sommeil sont souvent complexes. Quand on rentre dans un cercle vicieux, que l’angoisse de ne pas parvenir à s’endormir s’installe, il faut souvent mettre en place davantage de choses, au niveau comportemental notamment.»
«Ce brassage cognitif cherche en réalité à créer un biais attentionnel, en portant son esprit sur quelque chose d’assez neutre. C’est de l’imagerie mentale, où la personne laisse vagabonder son esprit. C’est une technique qui a effectivement eu un certain écho, dû à son exposition médiatique, mais qui n’est pas dans les recommandations appliquées chez nous, où tout est très codifié, à travers la thérapie cognitivo-comportemental de l’insomnie (TCCI), complète Julien Fanielle, neurologue spécialisé dans les troubles du sommeil (CHU de Liège). En complément de cette thérapie, différentes stratégies peuvent ensuite être mises en place. Certains sont plus sensibles à l’hypnose ou à des techniques de méditation par exemple. Mais tout cela sera toujours mis en place en parallèle de la TCCI.»
Le brassage cognitif se réserverait donc à un test ponctuel, pour faciliter l’apaisement, mais ne traite aucun trouble profond du sommeil. Lorsque les pensées prennent trop de place, elles ne sont souvent que le reflet d’autres phénomènes, d’autres causes. Canaliser ses pensées avec cet exercice, ou un autre d’ailleurs, ne fait parfois que poser un voile sur une problématique de sommeil plus complexe. Si véritable problème il y a.
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Aborder le sommeil sous toutes ses facettes
Selon une étude de Sciensano publiée l’an dernier, 42 % des personnes âgées de 18 ans et plus ont été identifiées comme ayant une mauvaise qualité de sommeil. Parmi celles-ci, 21 % déclaraient avoir utilisé des somnifères, anxiolytiques ou tranquillisants. La problématique est donc loin d’être marginale et la consultation d’un spécialiste intervient souvent au bout d’un cheminement parfois long, avec ou sans médicament.
Les unités dédiées au sommeil, multidisciplinaires, rappellent surtout à quel point la solution à un trouble d’endormissement doit s’envisager sur plusieurs fronts. «Il n’y a jamais une seule stratégie pour venir favoriser le sommeil ou recadrer une horloge biologique. Les problèmes d’insomnie, lorsqu’ils deviennent chroniques, soit minimum trois fois par semaine pendant au moins trois mois, ne trouveront pas de solution en changeant une petite chose à son quotidien ou avec une seule technique pour lâcher-prise. Lorsqu’un patient arrive, il faut faire un bilan complet, voir le comportement, ce qui se joue derrière et évidemment sevrer des médicaments qui ne traitent aucun problème de fond», ajoute Camille Libois.
Il est important également de recadrer les attentes parfois irréalistes en matière de sommeil, engendrant des comportements délétères, insistent les spécialistes. Les micro-réveils durant la nuit sont choses courantes par exemple et ils ne doivent pas provoquer d’inquiétude immédiatement. Les fausses croyances (il faut dormir minimum huit heures par nuit, les heures avant minuit comptent double, etc.) provoquent parfois aussi des frustrations, sans raison réelle. Il existe aussi des pathologies sous-diagnostiquées, comme l’apnée du sommeil, qui nécessitent un véritable suivi.
Il est conseillé de consulter dès que la mauvaise qualité du sommeil impacte la vie diurne et lorsque les problèmes deviennent une préoccupation et un stress, déclenchant alors souvent un cercle vicieux autour du non-endormissement. Retrouver un bon sommeil se joue bien avant la mise au lit. Calmer les pensées parasites qui surgissent peut évidemment aider, mais sans oublier qu’elles sont peut-être le reflet d’autres difficultés à prendre en considération.