Sur TikTok ou encore Instagram, de jeunes hommes s’affichent fièrement en train de se faire raser, tondre ou couper les cils. Une tendance masculiniste dont les risques sanitaires ne sont pas négligeables.
Tondeuse au ras des cils pour les éliminer d’un trait, ou paire de ciseaux pour les couper un par un: les réseaux sociaux regorgent de ce type de vidéos. Si des femmes s’adonnent à la pratique pour raccourcir leurs extensions, pour les hommes, ce sont leurs cils naturels qui sont visés.
Cet effet de mode n’est pas sans conséquences. Les cils ne sont pas qu’un attribut esthétique: ils remplissent une fonction protectrice cruciale. «C’est une barrière contre les corps étrangers; la poussière, les pollens, les bactéries et les rayons ultraviolets», rappelle Amel Lamri, ophtalmologue au CHU Saint-Pierre, à la Clinique Saint-Jean et au sein de la Maison médicale Univers Santé de Woluwe-Saint-Lambert.
Des risques à différents degrés
En contact direct avec l’œil, ces éléments augmentent les risques de sécheresse oculaire, d’inflammations, voire d’infections pouvant entraîner des abcès. De même qu’une tondeuse, un rasoir ou des ciseaux mal désinfectés. «Tout cela peut provoquer des blépharites (inflammations de la base des cils) ou des conjonctivites», décrit la professionnelle de santé. Elle assure toutefois qu’il n’existe pas de risques en termes de développement de cataracte, de DMLA (dégénérescence maculaire liée à l’âge) ou encore de cancer de l’œil.
Mais, une tondeuse, un rasoir ou des ciseaux placés un peu trop près peuvent exposer à des blessures au niveau du bord palpébral ou de la cornée. «Cette partie du globe oculaire constitue un petit hublot transparent situé par-dessus l’œil. Avec cette pratique, il y a un risque de perforation de celle-ci», alerte Amel Lamri. Dans ce cas, le pronostic visuel entre en jeu. Après la coupe des cils, la repousse peut également poser souci. «Ca peut être anarchique et constituer un problème sur le long terme», ajoute la jeune femme.
«Cela reste des cas isolés qui font certes beaucoup parler, car cette tendance paraît aberrante, mais elle ne devrait pas s’inscrire dans le temps. Elle est assez géographique.»
Quid de la tendance en Belgique?
Si le phénomène fait grand bruit en ligne, il reste cantonné aux Etats-Unis et à la Turquie. «Cela reste des cas isolés qui font certes beaucoup parler, car cette tendance paraît aberrante, mais elle ne devrait pas s’inscrire dans le temps. Elle est assez géographique», observe Océane Corbin. Doctorante en communication à l’Université du Québec à Montréal (UQAM), elle travaille depuis trois ans sur le masculinisme et réalise une maîtrise sur le sujet.
En Belgique, la fédération nationale des coiffeurs Febelhair indique ne pas avoir recensé le phénomène. «Cette thématique n’apparaît d’ailleurs pas dans notre programme de formations du second semestre 2025 qui suit pourtant les tendances du moment», fait remarquer Patrick Dumont, vice-président et trésorier de la fédération. Mais Amel Lamri, elle, en a déjà entendu parler. «J’ai un patient d’une trentaine d’années qui a abordé le sujet puisqu’il envisageait de passer à l’acte. Un de mes collègues a reçu un homme sans cils. Il pensait que c’était peut-être la conséquence d’une pathologie, mais non. C’était volontaire», relate la professionnelle de santé.
L’ombre du masculinisme
En toile de fond de cette pratique: le masculinisme. «Il s’agit d’un mode de pensée qui part du principe que les droits des hommes sont en danger à cause de l’émancipation des femmes et du féminisme. Il vise à limiter ou à stopper l’autonomisation des femmes», définit Océane Corbin. Selon la doctorante, se couper les cils traduit une volonté de rejeter tout ce qui est perçu comme féminin. Le tout dans une logique d’autovalidation de cette communauté. «Aucune étude ne montre que les femmes préfèrent les cils courts. Au contraire, sur les réseaux sociaux, nombreux sont ceux qui expriment leur étonnement», fait remarquer l’étudiante en communication.
Ces vidéos font écho à d’autres tendances comme celles de la jawline (ligne de la mâchoire). L’objectif? Se dessiner une mâchoire carrée, jugée virile par la communauté masculiniste. Pour l’espérer, massages à outrance, langue appuyée en continu contre le palais, chirurgie esthétique, voire marteau pour se briser les os sont parfois prônés.
Le féminin diabolisé
Outre des critères physiques, ces communautés prescrivent aussi des codes vestimentaires ainsi que des goûts musicaux ou alimentaires à proscrire. La doctorante à l’Université du Québec prend pour exemple le terme soy. Très utilisé par la mouvance incels –terme qui désigne une communauté d’hommes «célibataires involontaires» qui jugent les femmes responsables de leurs échecs, notamment amoureux, et leur vouent une forte haine– il est détourné de son sens premier. «Ces personnes utilisent le mot « soja » en anglais pour faire référence aux hommes qu’ils jugent féminisés par la consommation de cette légumineuse», décrypte Océane Corbin.
Le but de ces contenus: maintenir des normes de genre virilistes imposées par ces communautés. Une pratique non sans danger puisqu’au-delà d’une haine des femmes, elle peut alimenter un certain mépris des hommes dont l’expression de genre diffère et conduire à des cas de harcèlement.