En pleine crise budgétaire, le MR a mis sur la table la relégalisation des cigarettes électroniques jetables, les puffs, afin de générer de nouvelles recettes via les accises. Une idée qui heurte les partenaires de l’Arizona et s’oppose à la trajectoire défendue par Frank Vandenbroucke (Vooruit), architecte de l’interdiction entrée en vigueur le 1er janvier 2025.
Les négociations pour le budget entre Bart De Wever (N-VA) et ses vice-Premiers ont donc tourné à la cacophonie. Lors du kern de mardi dernier, des mesures d’urgence ont été balancées à la volée, énervant quiconque les rattrapait. L’une d’elles venait du MR et a particulièrement fait réagir les partenaires de l’Arizona: la relégalisation des cigarettes électroniques jetables. Selon des sources proches des négociations budgétaires, le MR verrait dans un retour des puffs une «façon de générer de nouvelles recettes fiscales via les accises si le produit était réintroduit sur le marché».
Le MR refuse donc d’instaurer de nouvelles taxes, mais n’exclut pas l’instauration d’accises, notamment sur des produits interdits. Quitte à les relégaliser.
Si cette proposition a fait grincer des dents, c’est parce qu’elle s’accompagne d’un contexte de désinvestissement dans les soins de santé et de coupes budgétaires. «Les propositions alternatives avancées par le MR sont irréalistes ou irrespectueuses», confiaient certains partenaires de l’Arizona à l’agence de presse Belga.
Les puffs sont interdites sur le marché belge depuis le 1er janvier 2025, après un long travail législatif et réglementaire porté au niveau fédéral, validé par la Commission européenne, puis traduit dans un arrêté royal qui vise tous «les dispositifs jetables», avec ou sans nicotine. Les arguments avancés à l’époque tenaient à la santé des jeunes et à l’environnement, ces petits cylindres colorés combinant nicotine concentrée, arômes sucrés, batterie et lithium dans un produit à usage unique.
Depuis 2024, les e-liquides, avec ou sans nicotine, sont en outre soumis à un droit d’accise de 0,15 euro par millilitre, qui couvre aussi les liquides contenus dans les cigarettes électroniques jetables. En théorie, chaque puff légalement vendue alimente donc une nouvelle source de recettes pour l’Etat. En pratique, le produit ne peut plus être mis sur le marché, ce qui annule mécaniquement la base taxable. L’idée attribuée au MR consiste à rouvrir ce marché pour l’alimenter en accises, au moment même où la coalition a fait de la «génération sans tabac» un objectif officiel dans sa stratégie fédérale.
Les partenaires de l’Arizona y voient un double mouvement difficile à défendre politiquement. D’un côté, le MR refuse des hausses d’impôts classiques sur le travail ou le capital. De l’autre, il serait prêt à revenir sur une interdiction de santé publique récente pour élargir une fiscalité déjà en place sur les e-liquides. Le tout alors que la même majorité a confié au ministre de la Santé Frank Vandenbroucke (Vooruit) et à son cabinet la mise en œuvre de la stratégie anti-tabac et des accises sur la vape.
Le MR à contre-courant
Vooruit et Frank Vandenbroucke se situent à l’opposé de la proposition du MR. En commission, le ministre de la Santé a détaillé le dispositif mis en place depuis l’interdiction des puffs. Entre le 1er janvier et la fin juin 2025, le service d’Inspection des produits de consommation du SPF Santé publique a effectué 1.270 contrôles ciblant les cigarettes électroniques jetables, avec 469 infractions constatées. Selon ces chiffres, près de quatre commerces sur dix contrôlés continuaient à vendre des puffs, malgré l’interdiction, souvent dans des night-shops. Plus de 63.000 cigarettes électroniques jetables ont été retirées du marché sur cette période.
La députée Lotte Peeters (N-VA) a, elle, insisté en commission sur la réalité de terrain. «Sur base de l’enquête récente qui montre que quatre magasins sur dix proposent encore des puffs jetables, souvent sous le comptoir, il faut reconsidérer l’interdiction comme une première étape à la lutte contre les cigarettes électroniques jetables, estime-t-elle. Leur vente migre vers le commerce en ligne et les réseaux sociaux.» Dans les commerces, les prix n’ont jamais été aussi bon marché, autour de dix euros pour trois cigarettes électroniques jetables. Une promo que l’on peut retrouver dans plusieurs night-shop à Bruxelles. Avec des affichettes collées au comptoir alors que les cartons disparaissent sous les rayons quand un contrôle franchit la porte.
Equation européenne
Pour Vooruit, la réponse ne se limite pas aux frontières belges. Frank Vandenbroucke décrit un travail de coordination avec la douane et les autorités étrangères, en particulier la France et les Pays-Bas, pour intercepter les cargaisons aux frontières extérieures de l’Union. Il pointe un point de friction structurel: «La plupart des Etats membres autorisent encore les cigarettes électroniques jetables, ce qui facilite les importations par camion vers la Belgique, où elles sont ensuite redistribuées.» Le ministre plaide au niveau européen pour «un véritable interdit élargi des puffs, afin de rendre cohérente l’interdiction nationale et de réduire l’afflux de produits sur le marché gris».
Dans ce cadre, la trajectoire défendue par Vooruit va dans le sens d’une restriction progressive de la nicotine et d’un encadrement serré de la vape, combinant interdiction des puffs, accises sur les e-liquides et contrôles renforcés. Elle est éloignée d’un scénario de relégalisation des cigarettes électroniques jetables pour maximiser les recettes d’accises, comme le veulent les libéraux francophones.