Sans entretien régulier, les bacs à glaçons des congélateurs domestiques peuvent se transformer en nids à bactéries. Car, contrairement aux idées reçues, le froid ne tue pas les micro-organismes.
Les incontournables de l’été. En micro-cubes, en forme de coeur ou d’étoiles, les glaçons sont les pièces maîtresses d’un apéro réussi ou d’un barbecue improvisé. Sans eux, les cocktails estivaux et les cruches de sangria maison n’auraient tout simplement pas la même saveur. Mais pour éviter d’intoxiquer ses invités, une hygiène irréprochable des bacs, moules et autres machines à glace s’impose. Car sans entretien régulier, ils peuvent devenir un terrain fertile à la prolifération bactérienne.
Certes, les bactéries et autres micro-organismes sont plutôt friands de chaleur. Plus il fait chaud, plus leur fission binaire, à savoir le processus de division de la cellule mère en deux cellules filles identiques, est rapide. «On estime qu’à température ambiante, il faut 20 minutes pour qu’une bactérie en donne deux, expose Christophe Mercier Thellier (1), microbiologiste et hygiéniste. Au réfrigérateur, il faut plus de deux heures. Au congélateur, leur reproduction s’arrête.» Mais ces bactéries ne meurent pas pour autant. «Elles sont en réalité en dormance, souligne Cécile Meex, microbiologiste clinique et cheffe de laboratoire au CHU de Liège. Au moment de la décongélation, elles vont donc reprendre leur cycle de multiplication. Il suffit généralement d’une température supérieure à huit degrés pour qu’elles prolifèrent à nouveau.»
Un emballage hermétique
Placés dans un verre de rosé ou un jus de fruit, qui plus est siroté en plein soleil, les glaçons peuvent donc être source de contamination bactérienne, et résulter en une intoxication alimentaire voire en une infection localisée dans les cas les plus graves. Mais il est possible de l’éviter, en faisant preuve de prudence en amont du processus de congélation. «La manipulation et le remplissage d’un bac à glaçons avec des mains non lavées, par exemple, est souvent le lieu de la première contagion», observe Cécile Meex. D’où l’importance d’une hygiène personnelle irréprochable et d’un plan de travail régulièrement nettoyé.
Mais la contamination peut également se produire au sein même du congélateur, via le contact avec d’autres produits. «C’est le même problème pour tous les aliments, note Christophe Mercier Thellier. Si vous mettez des tranches de pain non emballées dans le congélateur, par exemple sur une boîte de pizza, vous risquez une contamination. Car cette boîte de pizza, elle a traîné dans un camion de transport, puis dans un caddie de supermarché, qui a été manipulé par des centaines de personnes. Elle est pleine de bactéries bien vivantes, qui vont contaminer le pain, puis votre organisme après ingestion.» Une règle d’or s’impose, donc: tout aliment placé au congélateur doit être bien protégé par un emballage ou enveloppé dans une boîte hermétique, insiste l’hygiéniste.
Une mesure qui s’applique également aux glaçons. «Les bacs à glaçons doivent absolument être munis d’un couvercle, pour éviter le contact direct avec d’autres produits ou avec le givre accumulé dans certains recoins, recommande l’expert. Les glaçons peuvent aussi être placés dans des sachets de congélation uniques, mais qui sont malheureusement moins durables.»
A cet égard, les grands sacs de glaçons ou de glace pilée achetés en grande surface présentent moins de risques pour la santé, s’ils sont bien refermés après ouverture. Mais gare, toutefois, à ne pas briser le cycle de congélation lors du transport ou de la manipulation à la maison. Ces fluctuations de température sont très propices à la prolifération de bactéries, d’autant plus en cas de recongélation.
L’AFSCA met en garde
En cas d’utilisation de bac à glaçons, il est également primordial de le nettoyer régulièrement. Christophe Mercier Thellier préconise même de le faire après chaque utilisation. «Ces bacs, moules ou plateaux s’apparentent à de la vaisselle, insiste le microbiologiste. Une assiette, on la lave après avoir mangé. Pourquoi ne ferait-on pas pareil avec les bacs?». Mieux vaut donc vider l’entièreté du plateau, le nettoyer précautionnieusement, avant de le remplir à nouveau. «Prendre huit glaçons pour son cocktail, puis remplir directement les alvéoles vides avec de l’eau et recongeler le bac, c’est non», avertit l’hygiéniste.
Un entretien régulier s’impose également pour les machines à glace ou les distributeurs de glaçons intégrés dans certains frigos américains. «L’hygiène de ces appareils, c’est un vrai problème, alerte Christophe Mercier Thellier. Souvent, ces distributeurs seront utilisés uniquement en été et laissés en standby les autres mois de l’année. Je n’ose pas imaginer la teneur en bactéries des premiers glaçons qui sortiront au mois de mai.» Le microbiologiste recommande donc de laver ces dispositifs régulièrement, et de faire un grand nettoyage à la fin de la saison estivale.
De son côté, l’Agence fédérale pour la sécurité de la chaîne alimentaire (AFSCA) alerte également sur les machines à glaçons utilisées dans les fastfoods et autres établissements Horeca. «Une machine mal entretenue peut rapidement devenir un véritable foyer de bactéries, moisissures et autres champignons indésirables, regrette l’Agence. Ce qui peut poser un vrai risque pour la santé des clients et la réputation du restaurant.» Pour une hygiène irréprochable, l’AFSCA recommande de nettoyer la machine à glaçons au moins une fois par semaine, en s’assurant de bien frotter pour éliminer toute salissure et biofilms invisibles à l’oeil nu. L’AFSCA insiste également sur la qualité de l’eau utilisée pour la confection des glaçons. En cas de contact direct ou indirect avec des denrées alimentaires (ce qui est le cas des glaçons), cette eau doit impérativement être potable et, de préférence, filtrée.
Le calvaire des voyages
Les risques de contamination bactérienne sont donc particulièrement prégnants dans les pays où l’eau courante n’est pas potable. «Le froid ne tuant pas les micro-organismes, consommer des glaçons dans ces pays est tout aussi dangereux que boire de l’eau du robinet», met en garde Christophe Mercier Thellier. Un détail souvent négligé par les touristes, qui sont nombreux à souffrir de gastro-entérite à l’étranger sans faire le lien avec les glaçons servis dans les boissons dans les restaurants locaux.
A noter que cette contamination est possible avec tous les liquides, même avec l’alcool. «La légende selon laquelle l’alcool tuerait les bactéries est complètement fausse, fustige le microbiologiste. Pour avoir une action antiseptique, l’alcool doit être supérieur à 60 degrés. Or, même le meilleur des whiskies ne dépasse pas 44 degrés. D’ailleurs, les gels hydroalcooliques utilisés comme désinfectants pour les mains, par exemple, doivent contenir un minimum de 70% d’alcool. Dans les solutions les plus efficaces, la teneur grimpe même à 80%.»
Bref, pour éviter les troubles digestifs et les intoxications alimentaires carabinées, la prudence reste de mise lors de la confection ou l’ingestion de glaçons, en Belgique comme ailleurs. «On conseille aux personnes plus fragiles et immuno-déprimées de faire encore plus attention à la chaîne du froid, précise Cécile Meex. Même si, avec les glaçons, le risque de contamination est moins important qu’avec d’autres produits, car l’eau n’est pas un substrat de départ aussi dangereux que le lait, par exemple, plus propice à la prolifération bactérienne.»
(1) Auteur de L’Hygiène, c’est la santé!, paru le 2 avril 2025 aux éditions Harper Collins.