Les politiques publiques pour limiter la dépendance au sucre restent trop limitées en Belgique. La faute à un système électoral régi par le court-termisme, mais surtout, à des lobbys agroalimentaires très influents.
C’est un fait. Aujourd’hui, en Belgique, la consommation de sucres ajoutés reste largement supérieure aux recommandations officielles. Un constat «peu surprenant» aux yeux de Stefanie Vandevijvere, experte en alimentation et politique nutritionnelle chez Sciensano, qui regrette le manque d’ambition politique à l’échelle nationale pour réduire efficacement la consommation de sucres.
Dire que le fédéral est inactif sur le plan de l’alimentation serait fallacieux. Depuis la fin des années 2000, plusieurs initiatives ont vu le jour. A commencer par un «Plan fédéral nutrition santé», qui vise à améliorer les habitudes alimentaires de la population. Instauré en 2006, il a permis quelques avancées, sans toutefois révolutionner les pratiques nutritionnelles des Belges. Bien que de nouveaux engagements soient promis par le ministre de la Santé Frank Vandenbroucke (Vooruit) pour redynamiser ce plan, leur concrétisation se fait aujourd’hui attendre.
Malheureusement, le sucre est rarement la cible principale de ces actions gouvernementales. Contrairement à la Convention sel, signée en 2009, qui a débouché sur une baisse de la consommation journalière moyenne chez les Belges de 10% en cinq ans, aucune initiative ambitieuse ne s’est pour l’heure focalisée uniquement sur le sucre.
Sucre: «L’industrie a d’autres intérêts»
Surtout, la majorité des actions sont menées en collaboration avec le secteur lui-même. Par exemple, en 2016, le SPF Santé publique a signé la «Convention pour une alimentation équilibrée» avec la Fevia (Fédération de l’industrie alimentaire belge) et Comeos (Fédération pour le commerce et les services). «Cela a conduit à une diminution de la teneur en sucres et en graisses des aliments dans les différents secteurs représentés entre 2012 et 2020, souligne le cabinet du ministre Vandenbroucke. Nous espérons continuer à travailler ensemble de la même manière.»
Mais en œuvrant main dans la main avec le secteur, les résultats restent logiquement en deçà des attentes. «Le gouvernement ne doit pas laisser la politique alimentaire à l’industrie, fustige Stefanie Vandevijvere. Les évolutions ne seront jamais notables, car forcément, l’industrie a d’autres intérêts. Si elle conclut des plans nutritionnels, c’est avant tout pour montrer qu’elle n’est pas inactive en matière de santé publique. C’est une sorte de publicité bienvenue. Mais soyons clairs: la santé ne figure pas parmi ses préoccupations principales.»
Une sorte de «healthwashing» réitéré fin mai par la Fevia et Comeos. En collaboration avec le secteur publicitaire, les deux fédérations ont ainsi présenté un nouveau code d’autorégulation pour limiter la publicité pour la malbouffe (sucreries comprises) à destination des moins de 16 ans. Une manière adroite de contourner une réglementation plus stricte, déplore Sciensano. «Les critères nutritionnels pris en compte dans ce plan sont très faibles comparés aux recommandations officielles de l’OMS», regrette Stefanie Vandevijvere. Si les efforts du secteur ont été salués par le ministre Vandenbroucke, il a toutefois refusé de signer le plan, faute d’objectifs «dont la réalisation est objectivement vérifiable», selon son cabinet.
L’écueil du court-termisme
Autre obstacle à l’élaboration d’un plan nutritionnel ambitieux: la complexité institutionnelle belge. «Les compétences liées à l’alimentation sont très morcelées en Belgique», regrette Régis Radermecker, professeur de pharmacologie à l’ULiège et président de l’Association belge du diabète. Si la santé reste majoritairement du ressort fédéral (comme la publicité), la prévention et la promotion de la santé, elles, sont du ressort des Régions, alors que l’éducation a trait à la Fédération Wallonie-Bruxelles. Enfin, les réglementations liées à l’étiquetage (notamment le nutri-score) dépendent de l’Union européenne, «où les lobbys agroalimentaires sont extrêmement puissants», pointe Stefanie Vandevijvere.
Enfin, dans un système politique régi par le court-termisme, la prévention nutritionnelle a logiquement peu la cote. Contrairement aux politiques de sécurité routière, qui permettent de diminuer rapidement le nombre de tués sur les routes, les effets tangibles des politiques alimentaires tardent à se faire ressentir. «Or, la prévention permet de réduire drastiquement les maladies, et donc l’impact financier sur les soins de santé, insiste Nicolas Guggenbühl, diététicien-nutritionniste et professeur à la haute école Léonard de Vinci, à Bruxelles. Mais quel politique décidera d’investir dans un plan dont les fruits ne pourront être récoltés que dans 20 ou 30 ans?»
Les recommandations de Sciensano
Des standards de concentration maximale
Pour l’Institut de santé publique, c’est au gouvernement, et non à l’industrie, de fixer des standards de concentration maximale en sucres pour chaque sous-catégorie de produits alimentaires. Une démarche indépendante qui permettrait une amélioration durable de la composition des produits.
Une publicité réglementée
Contrairement au code d’autorégulation présenté fin mai par la Fevia et Comeos, c’est au gouvernement de développer un plan ambitieux pour limiter la publicité des aliments malsains à destination des mineurs, estime Sciensano. Les produits ciblés par cette interdiction devraient être sélectionnés selon des critères stricts fixés par l’OMS, tels que leur teneur en sucres ajoutés, en graisses saturées ou en édulcorants.
Une taxation intelligente
En 2015, le gouvernement a instauré une taxe sur les boissons sucrées. Une méthode «inefficace» aux yeux de Sciensano, car elle n’a pas permis de réduire la consommation globale de sodas en Belgique. L’Institut de santé publique préconise plutôt une taxation dont les revenus permettraient de faire baisser le prix des aliments sains (tax shift) ou seraient réinjectés pour financer des campagnes de sensibilisation ou de prévention.