Une enquête internationale de 44 rédactions dont De Tijd alerte sur des cas de médecins radiés dans leur pays d’origine, mais qui viennent pratiquer impunément en Belgique. Coupables d’agressions sexuelles, homicides involontaires ou mauvaises pratiques, ces professionnels de la santé exercent toujours et nuisent à la sécurité et à la confiance des patients.
De 2010 à 2024, 1.605 professionnels de la santé ont été sanctionnés disciplinairement en Belgique, selon les chiffres de l’Ordre des médecins. Du remontage de bretelles jusqu’à la radiation, mais toujours en protégeant l’anonymat et la vie privée du médecin. Sans que le patient en soit nécessairement informé. Ces professionnels en infraction sont essentiellement belges, bien que le package global comprenne son lot d’internationaux. Selon les chiffres de l’Ordre des médecins récoltés par nos confrères de De Tijd:«Un médecin sur cinq ayant fait l’objet d’une sanction disciplinaire au cours des quinze dernières années (329) est de nationalité étrangère. Et ce chiffre pourrait être encore plus élevé, car la nationalité des médecins n’est pas toujours connue.» Cette révélation fait partie d’une enquête internationale «Bad Practice», menée par le quotidien De Tijd avec des rédactions issues de 44 pays.
Le constat va plus loin et avance que «la Belgique est une terre d’accueil pour les médecins étrangers», essentiellement européens. Si, pour la majorité d’entre eux, tout se passe bien, certains viennent exercer sur le territoire à la suite d’une perte de licence dans leur pays d’origine. Et ce pour des infractions assez graves pour être radiés de leurs Ordres respectifs. De Tijd cite: «des cas d’abus sexuels, de mauvaises pratiques médicales et un homicide involontaire.» Selon leurs sources, ces trois médecins continuent d’exercer en Belgique.
«Ce sont de tristes et déplorables révélations qui entachent la confiance des patients envers les professionnels de la santé, se désole Lawrence Cuvelier, président du syndicat belge des omnipraticiens (GBO) et qui siège à la commission fédérale de contrôle. Rien de tout cela ne m’étonne. Quand il y a radiation, ou retrait du visa de travail délivré par les syndicats, le professionnel de la santé ne peut plus exercer dans le pays. Mais sans réglementation à l’échelle européenne, ce dernier peut toujours se relancer dans d’autres pays de l’Union européenne. Au vu des dernières révélations, dont nous étions déjà informés, nous demandons qu’une réglementation européenne soit mise en place. Le monde médical n’a pas les moyens juridiques pour répondre à ce problème. Le sursaut doit être politique.» Le président du GBO fait référence à «la lenteur des processus judiciaires», qui permet aux accusés de continuer leurs pratiques médicales tout au long du jugement.
«Il m’a prescrit quelque chose avec un nom que je ne connaissais pas et, quand je lui ai demandé ce que c’était, il m’a répondu: “Des préservatifs”.»
L’enquête de nos confrères internationaux et de De Tijd révèle que «nombre de plaintes auraient pu être évitées si une unanimité des sanctions juridiques à l’échelle européenne était en vigueur». Il existe pourtant une collaboration entre Etats. Un système d’alertes et de partage d’informations (IMI) a été mis en place en 2016 et enjoint les pays membres à signaler les spécialistes de la santé condamnés ou en infraction. Dans les faits, ce système est «loin d’être utilisé de manière optimale», selon les informations de la presse flamande. La Belgique a partagé 314 alertes depuis 2016. Bien loin des 1.605 sanctions disciplinaires et radiations émises sur son territoire. De plus, l’Ordre des médecins a reconnu ne pas synchroniser sa liste avec les données du système IMI.
Confiance rompue et alertes sans réponses
En Belgique, 83,3% de la population possède un dossier médical global (DMG) auprès d’un médecin traitant, avec qui elle a un contact annuel. Près de 17,7% sont qualifiés de plus volatiles, sans professionnel de référence. Un chiffre qui grimpe à 32,2% en région bruxelloise. En 2024, entre 20 et 25% consultent au moins une fois un autre spécialiste que leur médecin traitant dans l’année. Si la fidélité est la norme, les Belges n’ont pas toujours d’autre choix que de faire confiance à un médecin encore inconnu.
«Il n’y a pas de base de données accessible au public qui référence les professionnels rendus coupables de délits ou de sanctions disciplinaires, et ce par respect pour leur vie privée. De plus, la Commission fédérale de contrôle des professionnels de la santé a peu de marge de manœuvre pour organiser ses contrôles. Elle ne décide pas toujours librement qui elle contrôle, ni quand ni comment elle contrôle. Cela doit venir d’une plainte. Le patient est parfois obligé de naviguer à l’aveugle. A la confiance», confie une source proche du SPF Santé publique.
Si tout se passe généralement bien, cela n’a pas été le cas de Marion, néobruxelloise, qui, en urgence, a préféré donner sa confiance à un généraliste bruxellois d’une cinquantaine d’années plutôt que de retourner dans son Brabant wallon d’origine pour une consultation en urgence: «En consultant les avis sur Internet, il m’avait paru fiable, plutôt bien réputé même. Il était tout près de chez moi donc c’était pratique. Mais quelle mauvaise surprise. Tout était bizarre, je ne me sentais pas à l’aise. Il a tenu des propos déplacés tout au long de la consultation. J’ai fini par enregistrer la consultation pour être sûre de ne pas rêver. Je venais pour une mauvaise grippe et il m’a demandé de me découvrir pour m’ausculter. Ce que j’ai refusé. Mais ce n’était pas facile. Il m’a prescrit quelque chose avec un nom que je ne connaissais pas et, quand je lui ai demandé ce que c’était, il m’a répondu: « Des préservatifs ». Avant de partir, il voulait que je l’embrasse sur la joue. Puis, pour je ne sais quelle raison, il m’a offert la consultation en me demandant de revenir bientôt.»
«Nous avons décidé de lui enlever son visa de travail et de le signaler. Mais c’est tout ce que nous pouvons faire. En théorie, il pourrait continuer d’exercer à l’étranger.»
Quelques semaines après l’expérience de Marion, un commentaire sur Internet vient appuyer son témoignage: «Lors de mon appel, je lui ai demandé s’il était possible d’avoir un moment avec lui pour une consultation le jour même. Sa réponse m’a choquée. Il m’a répondu, sur un ton ambigu: « Ah, un moment avec moi? Bien sûr miss, quand vous voulez… » Je n’ai jamais rencontré ce médecin auparavant et je n’ai pas pour habitude de laisser des commentaires, mais j’ai trouvé cette réaction particulièrement déplacée.»
Face à ces témoignages, Lawrence Cuvelier, le président du GBO, condamne ces professionnels, brebis galeuses du monde médical: «Je me souviens d’un cas similaire que nous avons dû traiter il y a quelques années. Le spécialiste en question avait eu des gestes déplacés et les justifiait par sa méthode de travail. Nous avons décidé de lui enlever son visa de travail et de le signaler. Mais c’est tout ce que nous pouvons faire. En théorie, il pourrait continuer d’exercer à l’étranger.»
Quelle réponse politique?
Interpellé face à ces dernières révélations, le ministre fédéral de la Santé, Frank Vandenbroucke (Vooruit), assure suivre le dossier de près. Il se dit favorable à une harmonisation européenne d’octroi de permis de pratiquer et de sanctions des professionnels, comme le suggèrent les syndicats de médecins. Il souhaite aussi que la Commission fédérale de surveillance gagne en pouvoir coercitif et puisse infliger plus facilement des sanctions. Le ministre veut instaurer une obligation de signaler les prestataires de soins radiés lorsqu’ils représentent un risque pour les patients.