Certaines personnes vivent le moindre contretemps comme un traumatisme, alors que d’autres résistent à toutes les infortunes. D’où vient cette différence de résilience ? Après plus de cinquante ans de recherches, les scientifiques commencent enfin à maîtriser les processus psychologiques et cognitifs qui entrent en ligne de compte.
La résilience représente un défi pour les psychologues, puisqu’il n’existe pas de test pour déterminer si on en est pourvu ou pas. Si on a la chance de n’avoir jamais vécu d’infortunes, on ne peut savoir si l’on est résilient. Ce n’est qu’au moment où on doit faire face aux obstacles, au stress ou à d’autres influences négatives, que la résilience – ou le manque – se manifeste : on s’écroule ou on surmonte l’adversité.
Les stress environnementaux se manifestent sous plusieurs formes. Certains découlent d’un statut socio-économique faible et de situations privées difficiles. D’autres moments de stress sont aigus et se manifestent en cas d’accident ou d’évènement traumatique ou violent.
Milieux à risques
En 1989, la psychologue américaine spécialisée en développement Emmy Werner a publié les résultats de 32 ans de recherches longitudinales. La scientifique a suivi 698 enfants hawaïens depuis leur naissance jusqu’à leurs trente ans. Pendant cette période, elle a observé toutes les formes de stress auxquelles les enfants sont exposés : le stress de la mère pendant la grossesse, la pauvreté, les problèmes de famille, etc. Deux tiers des enfants sont issus de milieux stables, à succès et heureux. Werner découvre rapidement que tous les enfants « à risques » ne réagissent pas de la même façon au stress. Deux tiers d’entre eux ont développé « de sérieux problèmes d’apprentissage ou de comportement à l’âge de dix ans ou ont un casier judiciaire ou des problèmes de santé mentaux vers l’âge de dix-huit ans ». Dans ce groupe, la scientifique a noté un grand nombre de grossesses adolescentes. Cependant, les autres enfants à risques se sont transformés en « jeunes adultes, compétents, sûrs d’eux, et attentifs ». Ils ont du succès à l’école, à la maison et dans leur vie sociale, et sont toujours prêts à saisir la chance quand elle passe.
Qu’est-ce qui rend ces enfants aussi résilients? Comme Werner a suivi ses participants pendant plus de trente ans, elle dispose d’un trésor de données. Elle a découvert qu’il y a plusieurs facteurs qui prédisent cette résilience. Certains ont trait au bonheur : un enfant résilient peut être très lié à un animateur, un parent, un professeur ou un autre mentor qui le ou la soutient. Mais beaucoup d’autres facteurs sont psychologiques et ont trait à la façon dont les enfants réagissent à leur environnement. Dès le plus jeune âge, les enfants résilients avaient tendance « à découvrir le monde sous leurs conditions ». Ils étaient autonomes et indépendants, ils cherchaient de nouvelles expériences, et possédaient une « intentionnalité positive sociale ». « Bien qu’ils n’étaient pas particulièrement talentueux », écrivait Werner, « ces enfants utilisaient toutes les compétences dont ils disposaient. » Le principal, c’était peut-être que les enfants résilients croyaient que c’étaient eux – et non les circonstances – qui pesaient sur leurs réalisations. Ils se voyaient comme l’instigateur de leur propre sort.
Werner a également découvert que la résilience pouvait changer au fil du temps. Certains enfants résilients ont enduré beaucoup d’infortunes : ils ont dû faire face à plusieurs facteurs de stress importants, conduisant à l' »évaporation » de leur résilience. La plupart des gens ont un point de rupture, quand celui-ci est atteint, la résilience baisse. En revanche, certains enfants non résilients au début étaient capables d’assimiler les infortunes et de réussir autant que les personnes résilientes depuis le début. Les conclusions de Werner soulèvent la question de l’apprentissage de la résilience.
Système de réponse au stress
George Bonnano est psychologue clinique au Teachers College de l’Université de Colombie. Il dirige le Loss, Trauma and Emotion Lab, et étudie la résilience depuis près de 25 ans. Bonnano essaie de déterminer pourquoi certaines personnes sont plus résilientes que d’autres. Le point de départ de sa théorie, c’est que chacun dispose du même « système de réponse au stress » qui a évolué au cours de millions d’années. Mais quand il s’agit de résilience, on se demande pourquoi certains utilisent ce système plus souvent et plus efficacement que d’autres.
Pour Bonnano, la perception joue un rôle très important. Sa théorie est simple : tout évènement inquiétant est potentiellement traumatique – ou non – pour la personne qui le vit. Prenez un événement terrible comme la mort inattendue d’un ami proche. Vous pourriez avoir du chagrin, mais si trouvez une façon d’interpréter cette mort comme un évènement significatif, elle ne doit pas nécessairement être perçue comme un traumatisme. L’expérience n’est pas inhérente à l’événement, mais fait partie de l’interprétation psychologique de cet événement.
Pour cette raison, les événements « stressants » ou « traumatiques » ne prédisent pas la façon dont on va fonctionner plus tard », affirme Bonanno. « Ce n’est le cas que s’il y a une réponse négative. » Que vous soyez durement touché ne garantit pas que vous souffriez. L’important, c’est le caractère traumatisant ou non de cette adversité.
Perpective positive
La bonne nouvelle, c’est qu’on peut apprendre à interpréter l’adversité de façon positive. « Nous pouvons nous rendre plus ou moins vulnérables par la façon dont nous réfléchissons aux choses », déclare Bonnano. Kevin Oschner, neuroscientifique et chercheur à l’Université de Colombie, a démontré cet effet. Selon lui, on peut influencer la façon dont on réagit à ces stimuli. Il s’agit de porter un regard positif sur ces stimuli quand la réponse initiale est négative, ou de réagir moins émotionnellement quand la réponse initiale est « hautement émotionnelle ». On peut donc entraîner les gens à mieux gérer leurs émotions, et cet entraînement semble exercer un effet durable.
Les scientifiques ont également étudié les « types d’interprétations », c’est-à-dire les « techniques » utilisées pour expliquer les événements. Martin Seligman, psychologue à l’Université de Pennsylvanie, est un pionnier en matière de psychologie positive. Il a découvert que les gens sont plus sûrs d’eux et moins sensibles aux dépressions quand ils apprennent à changer leur interprétation d’interne en externe (« Les évènements négatifs ne sont pas de ma faute »), de global à spécifique (ce n’est qu’une futilité, ce n’est pas une indication importante que quelque chose ne tourne pas rond dans ma vie »). Il semble donc que les personnes non résilientes soient capables de « cultiver » cette qualité.
Malheureusement, on peut aussi devenir moins résilient. On peut s’inquiéter et continuer à se faire du mauvais sang jusqu’à ce que cette futilité devienne la chose la plus importante de sa vie. En un certain sens, c’est une « selffulfilling prophecy ». Si vous interprétez une infortune comme un défi, vous pourrez plus facilement la gérer. Vous pourrez la laisser derrière vous, en tirer des leçons et grandir. Mais si vous en faites une obsession, si vous voyez l’adversité comme une menace, un évènement potentiellement traumatique risque de se transformer en problème durable. On devient moins flexible et on risque d’être influencé de façon négative.
Maria Konnikov/ The New Yorker