Passer une IRM, ce parcours du combattant: pourquoi il faut parfois attendre 9 mois © Getty Images

Passer une IRM, ce parcours du combattant: pourquoi il faut parfois attendre 9 mois

Des temps d’attentes de parfois neuf mois pour une IRM, un plafond qui limite le nombre d’appareils à 159, et une demande qui augmente de 7 à 10% chaque année… Entre équation budgétaire serrée, délais qui s’allongent pour les patients et bataille des régions logées à diverses enseignes, la question des IRM semble être le symptôme d’une Belgique à trois vitesses.

L’IRM concentre toutes les tensions d’un système santé qui veut garantir l’accès aux patients, sans ouvrir la porte à la surconsommation. Chaque année, c’est près de 1,3 million d’examens qui sont réalisés, avec une augmentation de 7 à 10% par an. Si la demande bondit, le nombre d’IRM disponibles est lui figé. Créant des files interminables qui s’allongent à mesure que l’investissement est postposé.

En mai 2024, pour pallier la surcharge, un arrêté royal a porté le nombre maximum d’IRM autorisées de 139 à 159, réparties entre 89 en Flandre (+15), 49 en Wallonie (+5) et 21 à Bruxelles (inchangé). La mesure s’inscrit dans la logique de «programmation et économies» de l’imagerie lourde: pas d’IRM sans feu vert fédéral, pour contenir les coûts et réguler la répartition géographique.

Le choix a immédiatement tourné à la querelle communautaire. Les hôpitaux bruxellois ont dénoncé des «temps d’attente démesurés» et ont estimé que leur région avait été oubliée, annonçant un recours au Conseil d’Etat. Rappelant aussi que leurs services drainent des patients de tout le pays. Mais le fédéral assume cette limitation, au nom des contraintes budgétaires et d’une volonté de restreindre l’accès sur base de critères de pertinence des examens et de leur urgence.

La ligne politique visant à dégorger les files d’attente ne date pas d’hier. Fin 2019, la ministre de la Santé en poste Maggie De Block (Open VLD) augmentait le plafond du nombre d’IRM de 121 à 139 appareils: «Il arrive encore trop souvent que des scans CT soient prescrits alors que le patient a en fait besoin d’un examen d’IRM. En augmentant le nombre d’appareils, nous nous assurons que les patients puissent passer leur examen à temps. Nous nous assurons que chaque patient ait un temps d’attente décent qui n’influence pas la progression de sa pathologie», confiait-elle à l’époque.

Mais cette dernière, malgré l’augmentation, a installé un plafond que seul le fédéral peut relever. Une décision vivement critiquée par les hôpitaux, mais justifiée de la sorte par Maggie De Block et Frank Vandenbroucke: «L’imagerie lourde coûte cher à l’achat, en maintenance et en personnel. Un parc laissé sans garde-fous crée un effet d’offre. Plus d’appareils, plus d’examens. Ce n’est pas toujours pertinent.»

Pour combler le plafond d’appareils, la Belgique fait tourner ses 159 IRM intensément. Eurostat situe le pays parmi les plus productifs d’Europe, avec en 2022 environ 9.400 examens par appareil en moyenne. Ce qui en fait la deuxième intensité la plus élevée de l’UE. Une performance qui aide à absorber la demande, mais ne dissout toujours pas les goulets d’étranglement régionaux.

«Plusieurs problèmes se posent à l’augmentation du nombre d’IRM. Si dès demain le fédéral décidait d’élever le plafond, nous n’aurions pas directement le personnel qualifié disponible. Pour 20 IRM en plus, il faut compter 40 à 50 technologues au minimum», analyse Frédéric Alexis, vice-président de la Société belge de radiologie.

En attendant que des discussions soient entamées, les hôpitaux ont étendu leurs plages horaires aux week-ends et soirées. Cela permet de mieux répartir les cas urgents mais relègue les examens jugés moins prioritaires à des rendez-vous peu pratiques pour les patients. Parfois à cinq heures du matin ou à 22 heures. Frédéric Alexis explique ce choix: «Les examens réalisés le soir ou le week-end sont en général ceux qui nécessitent le moins de personnel et sont plus rapides à réaliser. Un examen du genou prend moins de temps qu’un examen du cœur ou de certaines régions abdominales qui demandent un appareillage plus compliqué. Des plages tampons sont prévues dans le planning. Dans le cas d’un AVC aigu, l’IRM est faite dans l’heure. Le plus compliqué pour les radiologues, ce sont les IRM devant être réalisées dans les quinze jours qu’il faut intercaler dans la programmation.»

Tensions entre régions sur les IRM

Le fait que la Flandre bénéficie de 89 IRM contre 21 pour Bruxelles s’explique par la densité de population. Soit environ 77.000 patients pour une IRM en Flandre, 75.600 en Wallonie et 59.800 à Bruxelles. Autrement dit, il y a «plus d’IRM» en chiffres absolus en Flandre, mais c’est aussi parce que la région est la plus peuplée; en densité, Bruxelles reste la mieux dotée.

Les délais, eux, racontent une autre histoire. A Bruxelles, les hôpitaux évoquent «de trois à neuf mois» pour un rendez-vous. Des chiffres qui alimentent la frustration de la capitale, privée de nouveaux appareils en 2024.

Pourquoi, in fine, davantage d’IRM nouvelles en Flandre en 2024? Parce que l’arrêté a réparti une hausse plafonnée selon une clé qui tient compte de l’activité justifiée reconnue et de l’équilibre provincial au sein de la région, et parce que le fédéral a décidé de ne pas aller au-delà pour des raisons budgétaires. Bruxelles conteste ce cadre, estimant que la mobilité des patients et ses délais auraient dû peser davantage dans l’arbitrage.

Compromis par les prix

Pour le patient, la réforme de décembre 2023 a clarifié la facture: un ticket modérateur de 7,44 euros (2,97 euros en statut BIM) en ambulatoire aux heures ouvrables ou en urgence, sans suppléments d’honoraires autorisés dans ces plages. Hors heures ouvrables ou le week-end, des suppléments restent possibles, à des conditions strictes et après consentement écrit. «Les patients n’ont pas le choix que d’accepter l’horaire que les hôpitaux leur donnent. C’est précisément la raison pour laquelle il doit y avoir le moins possible de freins financiers», justifiait Frank Vandenbroucke.

Le gros de la note est pris en charge par l’assurance obligatoire, via des tarifs INAMI qui varient selon l’acte. Exemple récent aux Cliniques universitaires Saint-Luc: une IRM vasculaire est affichée 219,94 euros comme montant total maximal, où la mutuelle paye la majorité.

Côté hôpital, une IRM est un investissement à sept chiffres, hors aménagements et blindage. Les hôpitaux Iris Sud à Bruxelles évoquent «environ 1,5 million d’euros» pour une IRM haut champ mise en service en 2023, un exemple typique du coût d’achat sur le marché. A cela s’ajoutent la maintenance, le personnel, l’énergie, les logiciels, l’IRM fonctionnant souvent en horaires étendus pour résorber les listes d’attente.

Avant l’interdiction partielle des suppléments, l’Agence intermutualiste relevait d’ailleurs des suppléments fréquents sur les IRM ambulatoires, avec de fortes disparités régionales, confirmant l’enjeu d’accessibilité financière. Depuis décembre 2023, la règle est donc «pas de suppléments en semaine aux heures de bureau».

Frédéric Alexis comprend que la pertinence du plafonnage du nombre d’IRM, même si ce dernier estime qu’il faudrait le relever pour suivre la tendance à l’augmentation de pathologies qui nécessitent des IRM. Pour lui, c’est un enjeu délicat d’équilibriste, entre offre et demande: «En Belgique, on a facilement accès aux soins de santé. Même s’il faut parfois attendre un peu, les soins sont peu coûteux. Le ticket modérateur pour une IRM n’est que de 7,44 euros. Et quand c’est trop facile, accessible ou disponible, la tentation de faire un examen est d’autant plus grande. Il arrive régulièrement que des gens prennent un rendez-vous pour une IRM dans trois ou quatre hôpitaux, se présentent à celle qui est programmée le plus rapidement sans prendre la peine de décommander les deux ou trois autres. On sait que le patient ne vient pas quand il ne se présente pas… Au détriment des personnes qui attendent des semaines pour obtenir un rendez-vous.»

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