Dès la rentrée 2026-2027, le brevet d’infirmier disparaîtra au profit d’une formation d’assistant en soins infirmiers. © Getty Images

«On est dans le flou total»: pourquoi la suppression du brevet infirmier suscite l’inquiétude du secteur

Elise Legrand
Elise Legrand Journaliste

La rentrée scolaire 2026-2027 marquera la fin du brevet infirmier. Si les étudiants en cours de parcours pourront aller au bout de leur formation, la réforme laisse de nombreux enseignants dans le flou.

Au surlendemain d’une grève de trois jours, la colère grondait à nouveau dans la capitale wallonne, vendredi midi. Des infirmiers et des enseignants du quatrième degré soins infirmiers ont manifesté devant le CHR de Namur contre la suppression du brevet infirmier, voué à disparaître à partir de la rentrée prochaine. Une décision que le front commun syndical, à l’origine de l’action, juge «incompréhensible», déplorant une «menace directe contre les soins de santé».

Le brevet infirmier, créé en 1960 en réponse à une pénurie de personnel (déjà) criante, est organisé dans une vingtaine d’établissements en Fédération Wallonie-Bruxelles. Assimilé au quatrième degré de l’enseignement secondaire, il propose une alternative plus «pratique» aux études classiques d’infirmière, dispensées en haute école. Au terme de trois années et demi d’apprentissage et de stages, les «brevetées» (dites A2) peuvent exercer en hôpital ou en maison de repos (et/ou de soins), au même titre que les infimières A1. Seul l’accès à des spécialisations (SIAMU, par exemple) et à des postes de hiérarchie leur est refusé. «Ces deux filières d’apprentissage ont coexsité harmonieusement pendant soixante ans, et formaient toutes des infirmières à temps plein qui prodiguaient des soins généralistes», résume Sébastien Robeet, secrétaire national de la CNE non-marchand.

Or, dès la rentrée 2026-2027, ce brevet sera définitivement supprimé, a annoncé le gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles fin septembre. Il risquait en effet de ne plus répondre aux exigences de compétences imposées par la directive européenne qui encadre les missions d’Infirmier responsable de soins généraux (IRSG). Et, donc, ne plus être reconnu à l’échelle européenne, ce qui aurait empêché les brevetés de travailler en dehors de la Belgique. Une justification contestée par les syndicats, qui arguent que de simples ajustements (déjà réalisés par le passé) auraient permis d’assurer la pérennité du brevet.

«Une bouffée d’oxygène»

Quoi qu’il en soit, à partir de septembre prochain, les profils souhaitant se lancer dans des études d’infirmier mais qui ne désirent pas suivre la voie du bachelier (en quatre ans) se verront offrir une nouvelle possibilité: la formation en assistant en soins infirmiers (ASI), qui sera dispensée en trois ans au sein de l’enseignement pour adultes.

Cette décision a suscité un vent de colère dans les établissements concernés. «C’est l’incompréhension, alors qu’on est en pénurie grave d’infirmiers», dénonce Pascale Manouvrier, enseignante à l’Institut Sainte-Julienne (S2J) à Liège. Pour la professeure, la réforme risque de laisser certains profils «sur le carreau». «Certains étudiants ont des situations de vie compliquées et ne se retrouveront pas dans l’enseignement pour adultes, plus cher et moins adapté, déplore-t-elle. Notre formation, outre son accessibilité financière, avait un rôle d’ascenseur social. Elle permettait à des personnes qui n’avaient pas de CESS ou qui avait décroché des secondaires de se relancer, d’avoir un projet d’avenir. C’était comme une bouffée d’oxygène pour eux.»

Un constat partagé par Pierre Frippiat, futur breveté aujourd’hui inscrit en troisième année. «A 54 ans, j’ai décidé de me reconvertir professionnellement, explique-t-il. Mais je me voyais mal repartir dans un cursus en haute école plus long et plus exigeant en matière de connaissance purement théorique. La formation d’infirmier breveté est tombée à point nommé, car elle me permet d’allier à la fois pratique, théorie et humanité, avec cinq stages par année. Cette combinaison de facettes a vraiment beaucoup de sens pour moi.»

«Un combat de société»

La suite du parcours de Pierre Frippiat n’est toutefois pas menacée. Le gouvernement a en effet promis que les élèves déjà engagés pourraient «bien entendu terminer leur formation, et bénéficier d’une reconnaissance européenne sécurisée, même en cas de redoublement.» Pour les professeurs, par contre, l’avenir est plus incertain. Si la ministre de l’Enseignement, Valérie Glatigny (MR) assure qu’une concertation est en cours avec les Fédérations de pouvoirs organisateurs (FPO) et les directions afin de «garantir l’emploi des membres du personnel», de nombreuses inconnues demeurent. Les enseignants seront-ils automatiquement transférés vers l’Enseignement pour Adultes (EA)? A quelles conditions? Dans quels établissements précis? «On est dans le flou total», regrette Feride, enseignante dans une école namuroise.

Beaucoup de professeurs redoutent que la majorité de la charge horaire restante soit attribuée aux enseignants nommés de longue date, ne laissant que des miettes aux plus jeunes. «Ca ne fait que dix ans que je suis nommée, donc je n’aurai peut-être pas la priorité, s’inquiète Feride. Pourrait-on me demander d’aller donner des cours dans le secondaire classique, par exemple de biologie? Je n’en sais rien. Mais bon, pour ceux qui ne sont pas nommés, ça sera encore pire. C’est fini pour eux.» «Même si on trouve une place dans l’enseignement pour adultes, quel y sera notre statut? Les conditions de travail ne seront pas du tout les mêmes», complète Pascale Manouvrier. «Il va falloir adapter nos cours, car la pédagogie dans l’enseignement pour adultes est complètement différente, sans parler du groupe-classe», ajoute Joëlle Pierreux, également professeure en soins infirmiers.

Au-delà de leur cas personnel, les enseignantes s’inquiètent surtout du futur de la profession, alors qu’un tiers des infirmiers actifs dans les hôpitaux sont brevetés. «Ce n’est pas un combat de profs, c’est un combat pour la société, insiste Pascale Manouvrier. Par qui les patients vont-ils être soignés à l’avenir? On a besoin d’infirmiers autonomes, ce que ne garantira pas la formation d’assistant contrairement au brevet.» Beaucoup doutent d’ailleurs de la réelle attractivité de ce nouveau profil ASI. «Qui voudra faire trois ans de formation et autant d’efforts pour, au bout du compte, ne pas avoir le statut d’infirmier ni le salaire qui va avec?» s’interroge Stéphanie Bertrand, secrétaire de l’interrégionale Wallonne de la CSGP Enseignement.

Une plus grande qualité de soins?

Les détracteurs de la mesure rappellent en outre que les assistants ne seront autorisés à exercer des soins complexes que sous la supervision d’un infirmier diplômé. «Or, la plupart des instances infirmières se refusent à définir ce qu’est un soin complexe, la définition devant être appréciée au cas par cas, pointe Sébastien Robeet. Mais sur le terrain, le cas par cas n’existe pas. On fait avec les forces disponibles. Quand vous avez une infirmière seule la nuit en maison de repos, elle ne va pas se demander si la tâche à réaliser est complexe ou non complexe, elle le fait, c’est tout.»

Si elle reconnaît que la réforme nécessitera une réorganisation sur le terrain, la Fédération Nationale des Infirmières de Belgique (FNIB) la soutient toutefois «à 100%». «La formation brevetée n’a jamais résolu la pénurie, mais a contribué à diviser la profession en deux catégories artificielles d’infirmières, rappelle le président Dan Lecocq. Aller vers une formation unique dans le supérieur contribuera à l’attractivité de la profession, tout en rehaussant la qualité des soins et la sécurité des patients. Toutes les études scientifiques le montrent: un niveau de bachelier est indipensable pour assurer cette sécurité. Aujourd’hui, on n’a pas uniquement besoin de bras dans les hôpitaux: il faut surtout des gens qui ont des capacités intellectuelles et relationnelles adéquates pour le métier.»

Une remarque que réfutent en bloc les acteurs de la formation brevetée, qui soulignent l’exigence du cursus et dénoncent un «mépris» des enseignants et des étudiants de ces écoles.

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