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Octobre rose mais bilan noir: pourquoi les cas de cancers vont exploser par millions? © Getty Images

Octobre rose mais bilan noir: pourquoi les cas de cancer vont exploser par millions

La campagne annuelle de dépistage du cancer du sein revient en octobre. Cette année, elle coïncide avec la publication d’une vaste étude internationale dans The Lancet, qui anticipe une hausse significative des cas de cancer d’ici 2050. Des données qui invitent à repenser la prévention, l’accès aux soins et la coordination des politiques de santé.

Octobre va virer au rose pour la campagne annuelle mondiale de sensibilisation au dépistage du cancer du sein et pour la récolte de fonds en faveur de la recherche. Mais les chiffres publiés par 2.000 chercheurs dans la revue scientifique The Lancet dressent un bilan noir. Un contraste qui annonce la couleur d’une situation oncologique alarmante: «Dans 25 ans, 30,5 millions de personnes seront diagnostiquées avec un cancer et 18,6 millions en mourront. Des hausses respectives de 61% et 75%», affirme l’étude Global Burden of Disease (GBD).

Plus qu’un contraste, c’est un paradoxe. Les soins progressent, les traitements deviennent plus efficaces, et pourtant les projections s’emballent. Le cancer, déjà première cause de mortalité dans plus de 50 pays, est en passe de le devenir à l’échelle mondiale.

L’étude GBD, réalisée à partir de données provenant de 180 pays, identifie les moteurs de cette progression. Le vieillissement démographique mondial arrive en tête des facteurs influents et se combine à la croissance urbaine et à une exposition accrue à des facteurs de risque comme le tabac, la pollution, l’alcool, la sédentarité ou l’alimentation industrielle. Dans plusieurs pays, l’augmentation des diagnostics s’explique aussi par une amélioration du dépistage, sans garantie que l’accès au traitement suive.

L’étude GBD évalue l’ampleur du phénomène avec un indicateur de charge qui additionne, pour chaque cancer, les années de vie perdues par décès prématuré et les années vécues avec des séquelles. En 2023, ce total atteint 272 millions d’années. Ce cadre aide à lire les écarts entre fréquence et gravité: le sein reste le plus diagnostiqué, tandis que le poumon, les bronches et la trachée concentrent le plus de décès. La charge augmente aussi sous l’effet de tumeurs au pronostic défavorable, comme le pancréas ou le foie, difficiles à dépister précocement et peu réceptives aux traitements actuels.

Recherche de pointe, mais traitements hors de portée

L’étude GBD alerte sur un décalage grandissant entre capacité de détection et accès effectif aux traitements. Le docteur Véronique Le Ray, directrice médicale de la Fondation contre le Cancer, confirme cette tendance à l’échelle belge, tout en soulignant les progrès réalisés: «La survie à cinq ans après dépistage d’une tumeur progresse. De 62% tous cancers confondus, nous sommes passés à environ 70%. Ces gains reposent sur le dépistage plus précoce et sur des traitements nouveaux comme l’immunothérapie, les thérapies ciblées, les anticorps conjugués et les thérapies par radioligands, où la Belgique joue un rôle clé. L’an dernier, nous avons investi 35 millions d’euros dans la recherche et il faut maintenir cet effort, en ciblant aussi les cancers à taux de mortalité élevé.»

Cette trajectoire positive ne masque pas la réalité globale décriée par les auteurs de l’étude: «Dans de nombreuses régions du monde, le diagnostic arrive tard, faute d’accès à un médecin ou à des examens de base, et l’accès aux thérapies modernes bute sur les prix, la disponibilité des médicaments, la logistique et le manque d’infrastructures. Les innovations exigent des plateaux techniques, du personnel formé, une chaîne d’approvisionnement fiable et des programmes de suivi. Faute d’investissements publics durables, les écarts se creusent entre systèmes de santé bien dotés et pays à revenu faible ou intermédiaire.»

Prévenir plutôt que subir: l’enjeu ignoré

Le rapport GBD souligne aussi que près d’un cancer sur deux pourrait être évité en agissant sur des facteurs de risque bien documentés. Pourtant, moins de 2% des budgets de santé dans le monde sont consacrés à la prévention.

Véronique Le Ray insiste sur cette responsabilité collective: «40% des cancers pourraient être évités par un mode de vie plus sain, comme l’arrêt du tabac, la limitation de l’alcool, l’activité physique régulière et une alimentation moins transformée avec moins de viandes. La pollution représente aussi une part non négligeable, entre un et deux cas sur dix cancers du poumon, ce qui appelle des mesures de santé publique. Et surtout: prévention, prévention, prévention!»

La Belgique bénéficie d’une solide base de sensibilisation, mais les politiques structurelles demeurent fragmentées. L’environnement, les habitudes de vie, les conditions socio-économiques et l’éducation à la santé ne font pas toujours l’objet de stratégies coordonnées. L’enjeu, pour la directrice médicale, est donc «d’arriver à combiner les approches individuelles avec des leviers collectifs, sans opposer information et régulation.»

Pour illustrer l’urgence d’une réaction sanitaire, l’étude GBD rappelle la cible fixée par l’ONU de réduire d’un tiers la mortalité prématurée due au cancer d’ici 2030: «Dans l’état actuel des politiques, cet objectif paraît hors de portée. La probabilité de mourir d’un cancer entre 30 et 70 ans passerait de 7% à 6,5% d’ici là.» Une baisse jugée insuffisante par les chercheurs, qui appellent à des décisions concrètes dans les prochaines années.

Soigner mieux, gouverner ensemble

Les tendances décrites par l’étude GBD se traduisent déjà dans les hôpitaux et en première ligne: plus de consultations d’oncologie, plus d’examens d’imagerie, des équipes qui doivent organiser plus de biopsies, de chimiothérapies et de suivis post-traitement. Cette pression crée des délais pour obtenir un rendez-vous, poser un diagnostic et démarrer une thérapie.

Dans un pays où les compétences en santé sont partagées, la lisibilité du parcours pour le patient dépend de la convergence entre prévention, dépistage, traitement et accompagnement. Sans gouvernance globale intégrée, les efforts se dispersent: messages de prévention qui varient selon les régions, accès hétérogène aux programmes, délais de diagnostic inégaux, introduction d’innovations sans cadre commun d’évaluation, systèmes d’information qui communiquent mal entre eux. Les professionnels demandent des référentiels partagés, une orientation claire des patients et des outils interopérables, pour que le lieu de résidence n’influence ni la qualité des soins ni la rapidité d’accès.

Face à cette dynamique, Véronique Le Ray souligne l’importance d’une action cohérente: «Aujourd’hui, nous enregistrons plus de 77.600 nouveaux diagnostics de cancer par an en Belgique. Cette hausse s’explique par le vieillissement démographique et par un diagnostic plus précoce, et les projections du registre du cancer dépassent 83.500 cas d’ici cinq ans. L’enjeu est d’organiser une réponse cohérente avec un plan cancer intégré entre niveaux fédéral et régionaux. Il faut sortir des approches fragmentées. Le patient, lui, ne distingue pas les niveaux de pouvoir. Ce qu’il attend, c’est un parcours intégré clair, un accès rapide au diagnostic, à des soins de qualité, et un suivi continu.»

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