Cerveau
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Ne rien faire, la période la plus productive pour le cerveau: «Désormais, je prends une pause de 10 à 15 minutes toutes les heures»

Comment naissent les idées brillantes? Généralement… en ne faisant rien. Conversation avec le neuroscientifique britannique Joseph Jebelli sur le cerveau au repos.  

Le neuroscientifique britannique Joseph Jebelli étudie depuis des années le fonctionnement et le développement du cerveau humain. Il a écrit plusieurs ouvrages sur ses recherches concernant les processus neurologiques et les maladies dégénératives telles que la maladie d’Alzheimer.

Dans son dernier livre, The brain at rest (non traduit), il affirme que l’oisiveté peut améliorer la vie. «Quand je parle d’oisiveté, c’est en fait trompeur, détaille Joseph Jebelli. Car dans cet état, le cerveau est tout sauf inactif. Au repos, il est même plus actif que lorsqu’il est soumis à des tâches cognitives exigeantes. Lorsque je me promène dans le parc, que je fais une sieste ou que je laisse simplement vagabonder mes pensées, le cerveau active ce qu’on appelle le réseau du mode par défaut ou réseau de repos.»

« Ce réseau très ramifié nous permet d’assimiler nos expériences et d’initier de nouveaux processus de réflexion créatifs, développe-t-il. Le problème, c’est qu’il ne s’active pratiquement que lorsque nous sommes vraiment au repos.»

La vie humaine est axée sur la recherche constante de l’activité. Les pauses sont immédiatement remplies par de nouvelles activités, lorsqu’il ne s’agit pas de scroller sur son téléphone ou de pratiquer le multitâche. Pourquoi éviter ainsi l’oisiveté, alors qu’elle serait bénéfique?

Joseph Jebelli: Tout d’abord, il faut reconnaître que trop de stimuli nous submergent. Les gens passent généralement plusieurs heures par jour sur leur smartphone. Beaucoup considèrent cela comme une forme de détente, mais ce n’est pas le cas pour le cerveau. Dans ces moments-là, l’esprit n’a pas la possibilité de s’épanouir librement. Le cerveau n’entraîne alors pas la réflexion, mais la distraction. Des facteurs culturels entrent également en jeu. Depuis des siècles, nous vivons avec l’idée que plus on travaille dur, plus on réussit. Cela repose en fin de compte sur un malentendu fondamental.

Lequel?

La détente est toujours considérée comme l’opposé du travail, et non comme une partie intégrante de celui-ci. Nous pensons que se reposer signifie faire une pause, ce qui est presque considéré comme négligent ou irresponsable. Mais ce n’est pas malgré les périodes de repos que les gens réussissent, c’est grâce à elles. C’est précisément pendant ces moments-là que les meilleures idées naissent.

Quand le réseau du mode par défaut s’active-t-il exactement?

Lorsque nous laissons notre esprit vagabonder. Par exemple, lorsque nous regardons simplement par la fenêtre, observons les arbres ou nous promenons dans la forêt.

Ne s’agit-il pas là de distractions?

Cela dépend si le cerveau se repose vraiment ou non. Prenons l’exemple de la rêverie: on estime que nous passons entre 25 et 50% de la journée à laisser vagabonder notre esprit, dans un état où le cerveau ne se concentre pas sur une tâche externe spécifique. C’est précisément là une fonction essentielle du réseau de repos.

Pourquoi le cerveau passe-t-il en mode par défaut?

Parce que nous souhaitons être créatifs, même si nous ne le voyons pas toujours ainsi. Nous avons plutôt tendance à penser: si je regarde par la fenêtre et que je me laisse distraire, je fais quelque chose de mal. Je ne travaille pas «vraiment». Alors qu’en réalité, le cerveau essaie de nous dire quelque chose: je suis en train de traiter des informations. Laissez-moi de l’espace pour réfléchir.

Est-il possible de s’entraîner pour accéder au réseau de repos?

Non. Il faut simplement accorder plus de repos au cerveau et donc consacrer plus de temps à des activités que nous trouvons relaxantes. Ce sont surtout les activités sans écran qui favorisent la récupération. Mais il est difficile d’entraîner cela activement. Le cerveau le fait naturellement. Il est intéressant de noter que le réseau de repos consomme une part considérable de l’énergie cérébrale: jusqu’à 20 %, même lorsque nous ne faisons rien. À titre de comparaison, le réseau dit «exécutif», qui est actif lors d’un travail concentré, n’en consomme qu’un quart.

«Les pauses au travail sont en fait le moment le plus important de la journée. Quel que soit le métier, vous êtes plus performant lorsque vous avez pris une pause au préalable.»

Comment appliquer ces connaissances au travail?

Les pauses au travail sont en fait le moment le plus important de la journée. Quel que soit le métier, vous êtes plus performant lorsque vous avez pris une pause au préalable. Des études fascinantes comparent deux groupes de personnes exerçant le même job. Lorsque l’un des groupes bénéficie d’une pause de 20 à 30 minutes (pour se promener ou se détendre) tandis que l’autre continue à travailler sur un problème, le premier obtient toujours de meilleurs résultats par la suite. Pendant cette pause, leur cerveau a pu passer en mode repos, ce qui stimule les processus cognitifs en arrière-plan.

Les différents types de pauses entraînent-ils également des effets différents?

Il existe de nombreuses façons d’apaiser le cerveau, et elles activent toutes le réseau de repos. Certains disent qu’ils ne se détendent vraiment qu’après 20 minutes de jogging. D’autres trouvent que les jeux ludiques ont un effet apaisant. Il est intéressant de noter que le mode par défaut fonctionne en quelque sorte selon le principe du tout ou rien: lorsqu’une partie est activée, d’autres zones s’activent souvent également.

Le réseau prend alors le contrôle et permet aux différentes zones du cerveau de collaborer?

Exactement. Nous savons également que l’activation de ce réseau améliore la créativité, la mémoire, la résolution de problèmes et le traitement émotionnel. Mais il serait très intéressant de déterminer plus précisément quelles zones du cerveau sont activées par quelle forme de repos, et comment celles-ci sont liées à certains avantages cognitifs spécifiques.

A quoi ressemblerait une journée de travail respectueuse du cerveau?

J’ai déjà mentionné le plus important: prendre plus de pauses. Lorsque nous travaillons sans interruption sur une tâche, le réseau exécutif est actif, tandis que le réseau de repos reste pratiquement désactivé. C’est exactement ce qu’il faut éviter. Idéalement, il faudrait donc prendre une pause de cinq à dix minutes toutes les heures, pendant laquelle nous ne faisons absolument rien.

Y a-t-il un nombre minimum de pauses dont le cerveau a besoin chaque jour?

La science ne sait pas encore exactement combien de temps est nécessaire pour que le réseau de repos soit activé. En général, plus vous passez de temps à ne rien faire, mieux c’est pour le cerveau. Mais nous savons que même de courtes pauses ont un effet positif sur la capacité à résoudre des problèmes et la concentration. Cela dépend également du type de repos. En ce qui concerne l’exercice physique, c’est-à-dire la détente active, nous savons que même une activité physique légère est bénéfique pour le cerveau. Une grande étude a montré que 25 minutes d’exercice par semaine, soit environ quatre minutes par jour, ont déjà un effet notable.

«Idéalement, il faudrait passer au moins 20 minutes par jour dans la nature. Un parc suffit, pas besoin d’une forêt»

Combien de temps faudrait-il passer à l’extérieur?

Idéalement, il faudrait passer au moins 20 minutes par jour dans la nature. Un parc suffit, pas besoin d’une forêt. Cela active le réseau de repos, augmente la créativité et les capacités de résolution de problèmes jusqu’à 50% et améliore la mémoire d’environ 20%.

Quid des micro-siestes?

La durée idéale d’une sieste est d’environ 30 minutes. Dormir plus longtemps peut entraîner à court terme une légère «gueule de bois» et réduire temporairement les performances cognitives. Mais il est intéressant de noter que des études montrent que même des siestes plus longues améliorent les fonctions cérébrales à long terme. Néanmoins, une demi-heure semble être la durée idéale, surtout en ce qui concerne la vigilance et les performances cognitives à court terme.

De quoi d’autre a besoin le cerveau pour vivre une journée de travail optimale?

De petits moments de spontanéité ludique. Le jeu est non structuré, créatif, souvent apparemment sans but, et c’est précisément cela qui active le réseau du repos.

De nombreux dirigeants auront du mal à accepter des choses puissent être utiles si elles ne peuvent être ni planifiées, ni structurées.

En tant que société, nous ne devrions pas craindre davantage de spontanéité et d’informalité. Nous devons accepter que nous sommes tous des êtres humains, et non des unités de production dans une usine. Certaines personnes ont simplement besoin de plus de repos que d’autres. Si nous permettons à chacun de prendre des pauses individuelles et personnalisées pendant la journée de travail, cela sera non seulement bénéfique pour le bien-être des employés, mais aussi pour l’entreprise elle-même, tant en termes d’ambiance de travail que de réussite économique. C’est, à mon avis, l’une des principales raisons pour lesquelles le télétravail fonctionne si bien.

Pourquoi?

Je travaille beaucoup à domicile et j’y accomplis beaucoup plus qu’auparavant au laboratoire ou au bureau. Parce que l’esprit a plus d’espace pour vagabonder. On se sent plus reposé et on aborde son travail de manière beaucoup plus saine. C’est tout à fait différent que de rester assis à son bureau pendant des heures, uniquement pour montrer à quel point on bosse dur. À long terme, douze heures de travail acharné ne profitent ni au cerveau, ni à l’entreprise.

«Désormais, je prends une pause de dix à quinze minutes toutes les heures»

Quels changements ces connaissances ont-elles entraînés dans votre façon de travailler?

Je me concentre désormais sur des objectifs. Chaque jour, je me fixe un objectif concret. La manière dont j’y parviens est secondaire. Si cela implique de passer du temps dans le parc ou de faire une sieste l’après-midi, cela fait partie du processus. Désormais, je prends une pause de dix à quinze minutes toutes les heures. Il est essentiel de s’accorder autant que possible ces petits moments de repos. Cela améliore non seulement les performances immédiates, mais favorise également la productivité à long terme, la mémoire et les capacités de communication. Je ne suis pas contre l’ambition ou la productivité, je travaille moi-même dur. Mais j’atteins désormais mes objectifs de manière plus efficace et plus productive. À un moment donné, j’ai réalisé que je compliquais inutilement les choses pour mon cerveau.

Le mode par défaut du cerveau

Le réseau de repos est un réseau neuronal dans le cerveau qui s’étend sur plusieurs grandes zones cérébrales et qui est particulièrement actif lorsque l’attention n’est pas concentrée sur une tâche spécifique. Pendant longtemps, ce réseau a été considéré comme une sorte de mode veille. Mais comme l’a démontré le neuroscientifique américain Marcus Raichle en 2001, le cerveau ne fait pas de pause entre deux tâches. Au contraire, c’est justement à ce moment-là qu’il est particulièrement actif. Le réseau de repos traite les expériences, établit des liens, évalue les situations sociales et prépare les décisions. C’est précisément pendant ces phases apparemment passives que naissent souvent des idées créatives, des intuitions et des solutions.

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