Le Culex, très commun chez nous, n’est pas totalement inoffensif: il peut transmettre la fièvre du Nil occidental. © GETTY

Pourquoi «2025 est une année propice aux moustiques» (et comment s’en protéger)

Thierry Denoël
Thierry Denoël Journaliste au Vif

Ils nous agacent, nous empêchent de dormir et peuvent transmettre des maladies graves. La saison des moustiques bat son plein, un peu plus cette année que d’habitude?

Tout le monde reconnaît son bourdonnement aigu agaçant, à l’origine de nuits passées à repérer l’intruse qui chasse sa pitance sanguine. Intruse, au féminin. Car ce sont bien les femelles moustiques qui produisent ce son insupportable en battant des ailes jusqu’à 2.300 fois par seconde. Si elles s’acharnent sur les paisibles dormeurs, c’est parce qu’elles sont avides d’hémoglobine pour assurer la maturation de leurs œufs. Chacune en pond une trentaine chaque jour au cours de la saison des moustiques. Une véritable malédiction pour ceux qui les attirent.

Cette saison court habituellement de mai à octobre. «Mais l’intensité et la précocité de celle-ci dépendent des températures, nuance Frédéric Francis, entomologiste et doyen de la faculté Gembloux Agro-Bio Tech (ULiège). Cette année, le printemps fut très doux, avec un mercure qui a dépassé les 25 °C en avril, favorisant le cycle biologique de ces insectes qui a démarré plus tôt que prévu. Quand le printemps est froid avec des gelées nocturnes, le cycle est décalé et ne commence alors qu’en juin. Mais 2025 est indéniablement une année propice aux moustiques.» Favorisée en outre, après une période de sécheresse, par de fortes pluies qui ont occasionné de nombreux points d’eau stagnante.

Les premières étapes de la vie d’un moustique sont aquatiques. Dans son livre Géopolitique du moustique (Fayard, 2017), Erik Orsenna raconte que la femelle dépose délicatement ses œufs à la limite de l’eau, puis, très vite, l’embryon en sort grâce à une pointe au sommet de son crâne dont il se sert comme d’un outil libérateur. Les larves flottent alors dans leur nid liquide la queue vers le haut, car c’est là qu’est fixé leur appareil respiratoire. Après s’être nourries de tout ce que l’eau charrie –microalgues et infimes insectes–, elles sortent de leur scaphandre et déploient leurs ailes pour devenir ces insectes dont on préfère nier l’élégance tant ils irritent. Le cycle biologique de l’œuf à l’adulte dure d’une semaine à plus d’un mois.

Une fois de plus, tout dépend des températures. Une ou deux générations supplémentaires peuvent naître par rapport à la normale, ce qui provoque potentiellement une explosion de moustiques vers la fin de l’été jusqu’au début de l’automne. Cela risque de se produire cette année, notamment avec le désormais célèbre moustique tigre, adepte de la chaleur. «Il existe trois types majeurs de moustiques, détaille le Pr. Francis. L’anophèle, connu pour transmettre le paludisme dans les pays tropicaux; le Culex, le plus commun; l’Aedes, auquel appartient le moustique tigre encore appelé Aedes albopictus. En Belgique, on répertorie une trentaine d’espèces différentes (NDLR: sur 3.500 identifiées à ce jour dans le monde). Ce sont essentiellement des Culex et, depuis quelques années, des Aedes.»

47 moustiques tigres ont été observés en Belgique en 2024, c’est deux fois plus qu’en 2023.

Des camions de moustiques tigres

Avec le réchauffement climatique, le moustique tigre, originaire des forêts tropicales d’Asie du Sud-Est, a su s’adapter à d’autres régions. En Europe, ce sont surtout l’Espagne, la France méridionale, l’Italie, la Croatie et la Grèce qui sont chaque année davantage envahies (voir carte). La Belgique est aussi partiellement touchée. La première observation y date du début des années 2000. «Mais les apparitions du « tigre » étaient d’abord sporadiques, à la faveur de camions transitant par notre pays, note Emmanuel Bottieau, infectiologue à l’Institut de médecine tropicale d’Anvers (IMT). Mais depuis une dizaine d’années, les preuves se multiplient, notamment sur des aires d’autoroutes, l’A12 en particulier (NDLR: qui relie Bruxelles aux Pays-Bas, via le port d’Anvers), où s’arrêtent les transporteurs de marchandises provenant de pays du sud et de l’est de l’Europe.»

L’évolution est à ce point préoccupante que Sciensano a lancé, en 2022, un appel aux particuliers: toute personne observant un moustique tigre le prend en photo et envoie celle-ci à l’institut de santé publique. En 2024, 47 cas ont été confirmés et répertoriés sur le territoire, soit deux fois plus qu’en 2023, et ce n’est sans doute que la partie émergée de l’iceberg. Sciensano et l’IMT redoublent de vigilance et invitent à une surveillance accrue. Il faut dire que l’Aedes albopictus est un vecteur de maladies invalidantes comme la dengue, le chikungunya ou le virus Zika. Depuis plusieurs années, le nombre de cas de dengue, contractée via des moustiques autochtones et non au cours d’un voyage hors Europe, augmente fortement dans le sud de l’Europe.

«Tôt ou tard, ces pays, y compris le sud de la France, connaîtront des épidémies de ces maladies comme il en existe en Thaïlande ou en Amérique latine, prévient le Dr. Bottieau. On y observe déjà des clusters, parfois avec des centaines d’incidences. Pour l’instant, la Belgique ne déplore aucun cas dû à des piqûres d’insectes autochtones, seulement à la suite d’un voyage, mais cela arrivera inévitablement d’ici à quelques années.» Le danger, aujourd’hui, est que le voyageur belge qui rentre de Thaïlande et manifeste des symptômes tels qu’une forte fièvre, des rougeurs et des douleurs musculaires pensera rapidement à ces maladies tropicales, pas celui qui revient de Provence ou d’Italie –il ne fera sans doute même pas le rapprochement. Or, désormais, le risque existe sur le sol européen.

Mais l’Aedes albopictus n’est pas la seule menace. L’Aedes aegypti est encore plus contaminant. Ayant besoin de davantage de chaleur que le tigre, il reste heureusement très rare sur le sol européen. En revanche, le Culex, très commun chez nous, n’est pas totalement inoffensif: il peut transmettre la fièvre du Nil occidental (VNO) qui, dans 1% des cas, provoque des complications neurologiques graves comme la méningite ou l’encéphalite. Selon le Centre européen de prévention et de contrôle des maladies (ECDC), cinq pays européens ont signalé des patients infectés par le VNO depuis le début de 2025: la France, l’Italie, la Grèce, la Bulgarie et la Roumanie.

Comme tous les insectes, le nombre de moustiques régresse même si son caractère anthropophile en fait un peu une exception.

Moins d’impacts sur les pare-brise

On pourrait évidemment s’étonner d’une telle propagation des moustiques et des maladies qu’ils véhiculent, alors que le nombre d’insectes sur Terre tend à diminuer. «L’image du pare-brise beaucoup moins couvert d’impacts d’insectes qu’il y a dix ans est réelle, affirme Frédéric Francis. Je l’utilise d’ailleurs au début de mon cours d’entomologie. En Europe et en Amérique du Nord, on observe une recrudescence du nombre d’espèces connues de 1% à 2% par an. Par conséquent, d’ici à 50 ans, il n’y en aurait quasi plus. Par ailleurs, voici quelques années, une étude allemande révélait, après avoir relevé et pesé, pendant près de 30 ans, des pièges à insectes sans identification précise des espèces, qu’il y avait 75% d’insectes en moins dans les zones observées. Le moustique est concerné aussi par cette régression, mais, en fonction des températures et de l’environnement, il peut, comme précisé plus avant, se reproduire très vite. Et son caractère anthropophile en fait un peu une exception.»

Il existe des moyens de se prémunir des piqûres de moustique: ultrasons, lampe UV exterminatrice, huiles essentielles, laser… Aucune arme n’est absolue, et la plus efficace reste le Deet, un répulsif chimique utilisé depuis les années 1950 et recommandé par l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Sa concentration varie généralement entre 30% et 50%. Sa toxicité sur l’homme n’ayant encore jamais été démontrée, le Deet peut toutefois susciter des allergies dermatologiques chez certaines personnes. La picaridine s’avère alors une bonne alternative.

Face aux moustiques tigres, le problème est qu’ils attaquent de jour comme de nuit, contrairement aux Culex qui se réveillent au coucher du soleil. Or, le Deet a une efficacité de six à huit heures, selon la concentration du principe actif. «Il faudrait s’en asperger trois à quatre fois par jour pour une protection totale, ce qui semble assez obsessionnel, souligne le Dr. Bottieau, qui préconise, en extérieur, les spirales fumantes et odorantes à déposer sur une table et qui saturent l’air des insectes.

Toutes ces protections ne sont pas nécessaires pour tout le monde. De nombreux couples qui partagent un même lit le savent: nous ne sommes pas égaux face à l’appétit des dames moustiques. Un constat pénible qui s’explique scientifiquement. «Deux éléments attirent principalement les insectes piqueurs, éclaire le Pr. Francis. Les odeurs corporelles, notamment celles émises par la sueur, et le CO2 qui émane de notre respiration et notre transpiration. D’une personne à l’autre, ces éléments varient. C’est surtout sur l’odeur corporelle que les différences se marquent.» Par ailleurs, l’entomologiste souligne que, même si le CO2 reste le stimulus majeur, la lumière attire tous les insectes nocturnes, moustique compris. Laisser sa fenêtre ouverte avec une lampe allumée n’arrange donc pas la situation des malchanceux…

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