Le cerveau serait l’organe le plus touché par l’invasion grandissante des microplastiques. De quoi faire réfléchir les négociateurs du sommet de Genève, qui débattent actuellement de l’avenir du plastique, mais aussi les consommateurs qui vont chez Action.
Les microplastiques, qu’est-ce donc? Des molécules polymérisées produites par la dégradation des objets en plastique utilisés tous les jours, depuis l’emballage alimentaire jusqu’à la chaise de jardin qui s’use sous les rayons UV. Ils tiennent leur nom de leur taille minuscule (moins de cinq millimètres de diamètre). «Les plus dangereux sont les plus petits, de l’ordre du nanomètre (NDLR: un milliardième de mètre), car ils sont plus mobiles et parviennent à passer toutes les barrières biologiques du corps, comme celles de l’intestin, pour se retrouver dans le sang», souligne Alfred Bernard, toxicologue à l’UCLouvain, impliqué dans la recherche sur les polluants éternels.
C’est un peu comme les Pfas, à la différence que ceux-ci sont des substances chimiques solubles dans l’eau. Les microplastiques sont de la matière solide non soluble. Mais, à l’instar des Pfas, ils sont persistants et non biodégradables. Le corps ne les évacue pas par la voie urinaire, par exemple. Ils s’accumulent dans les organes. La recherche scientifique est encore récente dans ce domaine, mais plusieurs études ont déjà démontré qu’on en retrouve partout: les vaisseaux sanguins, les poumons, le foie, les reins, la moelle osseuse, les organes reproducteurs, le placenta, les articulations du genou et du coude… Plus inquiétant, il y en a aussi, et en nombre, dans le cerveau, ce système de commande central.
«Leur passage dans la chaîne alimentaire est patent..»
Le polyéthylène en cause
Une étude américaine prépubliée en 2024, consistant en l’examen du foie, des reins et du cerveau lors d’autopsies de personnes décédées en 2016 et en 2024, a révélé que tous les échantillons prélevés sur les corps contenaient des micro et nanoplastiques. Et ceux du cerveau, prélevés dans le cortex frontal qui contrôle les comportements les plus complexes (mémoire, prise de décision, créativité, raisonnement, déglutition, coordination musculaire…), en contenaient jusqu’à dix fois plus que les autres organes. Les chercheurs ont constaté que plus d’un quart des échantillons cérébraux collectés en 2024 contenaient en poids environ 0,5% de plastique. Soit une quantité énorme.
Le polymère prédominant dans les échantillons examinés est le polyéthylène, qu’on retrouve dans des objets usuels comme les emballages, les sacs, les films alimentaires, les bouteilles, etc. L’examen microscopique des particules a mis en lumière qu’il s’agissait en grande partie de restes de plastiques vieillis. Ce qui n’est guère surprenant, car on sait désormais qu’en se dégradant le plastique se dissémine partout. Aucun endroit du globe n’est plus épargné, depuis les profondeurs des océans jusqu’au sommet de l’Everest. Mers, rivières, sols, atmosphère, tout est infesté. «On ne trompe pas la nature, constate le Pr. Bernard. Comme les Pfas ou les métaux lourds, les microplastiques que nous rejetons, surtout les plus fins, nous reviennent par l’alimentation et l’eau potable. On les retrouve dans les végétaux. Le passage dans la chaîne alimentaire est patent.»
Plus on en produit, plus on en ingère
Et cela ne fait qu’augmenter au fil du temps. Chaque année, on produit près de 500 millions de tonnes de plastique dans le monde, soit quatre fois plus qu’il y a 30 ans. Les prévisions –si on ne parvient pas à inverser la tendance– sont alarmantes. Or, plus on en produit, plus on en ingère, et plus le corps humain en accumule. L’étude susmentionnée a montré que la présence de microplastiques dans les échantillons des cerveaux était plus élevée de 50% en 2024 par rapport à 2016, soit une augmentation significative en moins de dix ans. Les chercheurs américains ont également examiné les échantillons de cortex frontal de personnes qu’on savait décédées de démence, dont la maladie d’Alzheimer. Ils ont observé que ces échantillons étaient dix fois plus contaminés en substances plastiques que les autres.
«Il ne s’agit pas encore d’une preuve absolue, mais cette observation appuie une hypothèse inquiétante de causalité, note le toxicologue de l’UCLouvain. Il faudrait davantage d’études épidémiologiques doublées de quantifications de microplastiques dans le corps humain pour confirmer le lien, ce qui n’est pas simple à réaliser. Cela dit, on sait qu’outre l’accumulation de matière plastique dans les organes, un autre danger nous guette: les milliers d’additifs dont on a imprégné les plastiques pour qu’ils soient plus résistants, notamment aux UV, pour les colorer ou les rendre plus malléables. Les microplastiques sont aussi des éponges sur lesquelles viennent se greffer des polluants peu solubles comme les Pfas, les HAP (hydrocarbures aromatiques polycycliques), les PCB, les dioxines… Dont la toxicité n’est plus à démontrer.»
Le tableau n’est guère réjouissant, ni rassurant. Il est pourtant réel. Si un argument aurait pu convaincre les Etats réticents à trouver un accord à Genève, au cours du sommet INC-5.2 organisé du 5 au 14 août par les Nations unies pour réduire drastiquement la production plastique, c’est bien celui de la menace grandissante en matière de santé publique. Jamais l’homme n’a été confronté comme aujourd’hui à la pollution des microplastiques. Les plus vulnérables sont les individus exposés in utero; chez eux, les perturbations sur les organes en développement peuvent être irréversibles, à l’instar des Pfas.
La production de polymères est un marché juteux pour les pays pétroliers, qui ont joué les trouble-fête en Suisse. Mais, selon une publication récente de la revue médicale The Lancet, la pollution plastique est un «danger grave, croissant et sous-estimé» pour la santé et qui coûte au moins 1.500 milliards de dollars par an à l’échelle mondiale.
Si les Etats ont un rôle crucial à jouer, la prise de conscience individuelle est également importante. «Il faut développer une aversion au plastique, suggère Alfred Bernard. Personnellement, j’évite tout ce qui est en cette matière. J’en connais la toxicité. Evidemment, il y a un attrait économique pour ce matériau, mais il faut parvenir à éviter d’en consommer pour son faible coût. Dans les magasins du discounter Action, presque tout est en plastique, ce n’est pas un hasard. Se tourner vers des matériaux nobles comme le bois ou le métal est meilleur pour la santé.» Et plus durable. Donc plus économique.