Sandwich le midi, plat copieux le soir: cette tradition alimentaire propre à la Belgique s’avère loin d’être idéale sur le plan nutritionnel. Si l’assiette est équilibrée, rien ne sert de se priver de deux (voire trois) repas chauds par jour.
«Dis-moi ce que tu manges, je te dirai qui tu es.» A la cantine du bureau, tous les midis, plusieurs visions socio-culinaires s’affrontent. Il y a le collègue bien organisé, qui épate la galerie avec ses restes de la veille dans un petit tupperware. Le gourmand, qui ne manque jamais le plat complet (sauf le jour du poisson). Le débordé, qui engloutit une salade avant de filer en réunion. Et le conventionnel, fidèle à son sandwich jambon-fromage, car «il préfère manger chaud le soir».
Une tendance bien belge, qui a de quoi surprendre les expatriés français, italiens ou espagnols. Car (presque) partout ailleurs, la norme est fixée à deux repas chauds par jour. Dans certains pays, le petit-déjeuner se prend également systématiquement chaud.
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Cette tradition noir-jaune-rouge est avant tout un héritage de la révolution industrielle. Quand le Belge a commencé à travailler dans les mines ou dans les usines, parfois très éloignées de son domicile, il n’a plus eu l’occasion de rentrer «dîner» chez lui à midi. «Il s’est alors rabattu sur des en-cas très simples, et majoritairement froids (des charcuteries, des fromages, des fruits…), souligne Dorothée Demoiny, diététicienne spécialisée au service d’Endocrinologie et de Nutrition aux Cliniques Universitaires Saint-Luc. C’est seulement le soir, quand il rentrait à la maison, qu’il avait l’occasion de profiter d’un repas chaud et complet en famille.»
«Broodcultuur»
Un modèle qui a longtemps persisté. «Ce n’est que très tardivement que les cantines scolaires ou les cantines professionnelles ont commencé à proposer une alternative à ce casse-croûte et à servir des repas chauds», insiste Dorothée Demoiny. Mais les pauses midis écourtées en entreprise ont continué à favoriser les lunchs sur le pouce. «Or, en France, la pause-déjeuner est bien plus longue (jusqu’à deux heures en région parisienne) et bien plus culturellement valorisée que chez nous, compare Dorothée Demoiny. Le plat chaud à midi y est donc une institution.»
D’autres facteurs peuvent également justifier cette tradition. «Les spécialités gastronomiques belges, comme les carbonnades flamandes, le waterzoï ou le stoemp, doivent mijoter longtemps, rappelle la diététicienne, ce qui les rend plus compatibles avec un repas du soir qu’avec un lunch.» La Belgique a en outre une culture du pain bien plus ancrée que d’autres pays. «On trouve des boulangeries et des sandwicheries à chaque coin de rue, observe Chloë Shaw-Jackson, docteure en sciences et diplômée en nutrition, santé et micronutrition. Ce qui nous pousse à en manger matin, midi et soir.» A tel point qu’en Flandre, la «broodcultuur» a même récemment été reconnue patrimoine culturel immatériel.
Mais sur le plan diététique, un plat chaud le midi présenterait bien plus de vertus que ces baguettes à l’américain ou ces tartines au fromage. «Ce n’est pas tant la température du repas qui importe, mais plutôt sa qualité nutritionnelle, nuance Dorothée Demoiny. Mais le plat chaud a tendance à être plus équilibré qu’un repas froid car il est en général plus complet. On en maîtrise mieux la source protéinée, on peut davantage varier les féculents et on peut avoir un bon apport en fibres grâce à une quantité suffisante de légumes, qui garantissent également un bon apport hydrique.»
«Pas un ennemi à blacklister»
A contrario, le plat froid réduit au type «tartines» a tendance à être moins équilibré et plus monotone. «Or, on sait que la variété au niveau sensoriel et au niveau du goût favorise en général le sentiment de satiété, insiste Dorothée Demoiny. Plus de plaisir alimentaire entraîne un meilleur rassasiement, ce qui peut in fine conduire à réduire le risque d’obésité.»
Si beaucoup se tournent vers un sandwich à midi, c’est parce qu’ils estiment qu’il serait moins calorique qu’un plat chaud. «Or, les calories, ce n’est pas le plus important, insiste Chloë Shaw-Jackson. Ce qui compte, c’est l’impact du repas sur l’insuline, qui est le chef d’orchestre des hormones.» Or, manger une baguette entière à midi va entraîner un pic de glycémie en raison de sa haute teneur en glucides et de son absence de fibres, de vitamines ou de protéines. «Cette hypoglycémie réactionnelle peut entraîner des fringales et des coups de pompe l’après-midi, et surtout, engendrer un stockage d’énergie, alerte la nutritionniste. Par contre, une portion de poisson, avec des légumes en suffisance et quantité modérée de riz, sera peut-être plus calorique, mais stimulera moins l’insuline et limitera donc la prise de poids.»
«Les calories, ce n’est pas le plus important. Ce qui compte, c’est l’impact du repas sur l’insuline, qui est le chef d’orchestre des hormones.»
Dorothée Demoiny appelle toutefois à ne pas complètement diaboliser le pain. «C’est une source précieuse de glucides complexes, riche en vitamine B et en magnésium, rappelle la diététicienne. Ce n’est donc pas un ennemi à blacklister. Il n’y a d’ailleurs aucun aliment qui « ferait maigrir » ou qui « ferait grossir ».» Ce qui importe, c’est la composition de ce pain (complet ou au levain, plutôt que trop raffiné), ce qui l’accompagne (mieux vaut éviter les garnitures trop grasses ou trop salées) et la quantité consommée au long de la journée.
Chronobiologie nutritionnelle
Malgré tout, le modèle belge centré sur un repas «léger» à midi et un repas «copieux» le soir ne correspond pas du tout à «chronobiologie nutritionnelle», regrette Chloë Shaw-Jackson. «L’idéal, c’est de manger un petit-déjeuner de roi, un dîner de prince et un souper de pauvre, schématise la nutritionniste. Or, en Belgique, on fait tout à l’envers. On saute généralement le petit-déjeuner, on mange un lunch non-adapté à nos besoins énergétiques, et puis on se récompense avec un repas lourd le soir, qui va compliquer la digestion, troubler le sommeil et favoriser le stockage des graisses à cause des calories non dépensées.»
Logiquement, cette chronobiologie n’est pas toujours compatible avec des rythmes de vie effrénés. Le lunch idéal serait donc celui qui peut être vite avalé, mais qui ne sacrifie pas les équilibres nutritionnels. «La clé réside dans l’anticipation», expose Dorothée Demoiny. Réchauffer son repas chaud et équilibré de la veille, ou privilégier une salade composée à base de quinoa, de lentilles ou de riz complet peuvent être des pistes intéressantes et non-chronophages. «Et si on veut rester sur le modèle « sandwich », mieux vaut opter pour du pain complet ou des alternatives, comme des wraps complets ou de galettes de sarrasin pour augmenter l’apport en fibres, insiste la diététicienne. Sans oublier d’y ajouter des légumes et des fruits, ains qu’une bonne hydratation.»