4 étapes de l’ostéoporose. © Getty Images/iStockphoto

L’ostéoporose, une «maladie sournoise» en pleine progression: «Que font les enfants sur des vélos électriques?»

L’ostéoporose coûte énormément d’argent à notre sécurité sociale, et le nombre de patients ne cesse d’augmenter. Eviter d’avoir les os fragiles après 50 ans est une précaution que l’on prend bien en amont. Or, les mauvaises habitudes s’installent dès l’enfance.

275 par jour, c’est le nombre estimé de fractures osseuses chez les plus de 50 ans en Belgique, causées par l’ostéoporose, une affection chronique communément appelée «décalcification osseuse». D’ici à une dizaine d’années, à cause du vieillissement croissant de la population, ce chiffre devrait même atteindre les 340 fractures par jour. L’ostéoporose est ainsi responsable de plus d’hospitalisations que les crises cardiaques, les accidents vasculaires cérébraux et le cancer du sein réunis. En vieillissant, la qualité des os se dégrade progressivement. Chez les personnes atteintes d’ostéoporose, cette dégradation osseuse se produit bien plus rapidement que la formation de nouveau tissu osseux. Au point que les os finissent par ressembler à un morceau d’emmental criblé de trous, de plus en plus grands. Et plus il y a de trous, plus l’os est amené à se fracturer en cas de chute, en soulevant une charge ou parfois même à cause d’un simple éternuement.

 «C’est une maladie sournoise», écrit le chirurgien orthopédiste et traumatologue Thierry De Baets (AZ Turnhout) dans son livre Des os solides et des articulations souples (Standaard Uitgeverij, 2025). «Premièrement, elle est très fréquente. Deuxièmement, elle augmente insidieusement en gravité. Troisièmement, elle entraîne des fractures osseuses aux conséquences graves pour le patient. Et quatrièmement, nous disposons jusqu’à ce jour de très peu de moyens pour guérir les personnes atteintes d’ostéoporose

Avec quelque 680.000 patients souffrant d’ostéoporose en Belgique, le Dr. De Baets ne craint pas de manquer de travail. Sans compter qu’il existe un autre phénomène de société, responsable de nombreuses fractures et qui, depuis le début de sa carrière, lui garantit un surcroît d’activité: l’abus d’alcool. L’ébriété provoque des accidents, et donc des fractures. «Je ne vois pas encore beaucoup de patients férus de bières 0%. L’alcoolisme est, dans certains milieux comme les cercles étudiants ou les équipes de sport, la chose la plus banalisée du monde. La plupart des étudiants se ressaisissent, heureusement, plus tard dans leur vie, mais certains restent englués dans de mauvaises habitudes. Pour moi, il est évident que si l’alcool était inventé aujourd’hui, il finirait immédiatement sur la liste des substances interdites, au même titre que la cocaïne.»

L’ostéoporose est responsable de plus d’hospitalisations que les crises cardiaques, les AVC et le cancer du sein réunis.

Des os imbibés d’alcool à des os poreux: il n’y a qu’un pas. Pourtant, on fait encore peu de cas des maladies des os et des articulations. Comment cela s’explique-t-il?

L’ostéoporose pourrait sembler moins grave que le cancer, pourtant le nombre de décès est hallucinant. Cette affection tue plus de femmes que le cancer du sein. L’ostéoporose n’est évidemment que rarement la seule cause de décès. Comme il s’agit de personnes âgées, les chiffres sont quelque peu biaisés. Une nonagénaire souffrant de diabète et d’insuffisance rénale, qui décède d’une fracture de la hanche, ne sera pas nécessairement considérée dans les statistiques comme morte à cause de l’ostéoporose.

Pourquoi une fracture de la hanche ou du bassin est-elle un tel choc pour les personnes âgées?

Une fracture de la hanche est une lourde charge pour un organisme vieillissant. La fracture libère des déchets métaboliques, des embolies graisseuses peuvent alors pénétrer dans la circulation sanguine, ce qui affecte le fonctionnement du cœur et des poumons. Les reins, déjà affaiblis, doivent également travailler davantage. La combinaison de ces facteurs fait que 25% des personnes âgées présentant une fracture de la hanche décèdent dans l’année. D’autres perdent leur autonomie et doivent entrer en maison de repos. C’est souvent le début du dernier chapitre de la vie. Une fracture du poignet, par exemple, génère moins de déchets métaboliques et a moins d’impact sur la mobilité et l’autonomie.

En 2019, le coût des soins et de la rééducation des patients atteints d’ostéoporose en Belgique s’élevait à près d’1,1 milliard d’euros, soit 2,4% du budget de la santé. Peut-on réduire cette facture?

L’ostéoporose coûte effectivement énormément d’argent à la société. Pour éviter cela, il suffirait de pouvoir prévenir la maladie dès le plus jeune âge en faisant les bons choix. Mais nous n’en verrions les résultats que dans 20 à 50 ans. On peut comparer le squelette à un seau de sable. Chacun naît avec un seau vide, qui se remplit pendant l’enfance. A partir de 30 ans, on en retire chaque année une cuillère à café. Chez les femmes, cela passe même à une cuillère à soupe dès que survient la ménopause. Si nous voulons éviter de finir avec un seau vide, c’est-à-dire des os poreux, nous devons donc constituer une réserve maximale de sable durant les 30 premières années de notre vie.

Comment faire?

Tout commence avec l’éducation. Il faut à tout prix éloigner les enfants des écrans et qu’ils aillent davantage bouger dehors, courir, jouer au football ou construire une cabane. Je suis stupéfait de voir combien d’adolescents de 14 ans à peine se rendent à l’école en vélo électrique. Que fait un enfant, bon sang, sur un vélo ou une trottinette électrique? La force musculaire est un élément essentiel de protection contre l’ostéoporose, car les muscles exercent une pression sur les os et stimulent le corps à produire du nouveau tissu osseux. Une alimentation saine est également un facteur clé pour maintenir une bonne masse osseuse. Les pouvoirs publics pourraient contribuer à la santé osseuse des jeunes en augmentant la fiscalité sur les boissons sucrées, comme le soda, et les aliments ultratransformés, et en diminuant celle sur les fruits et légumes. Les sodas, par exemple, peuvent avoir un effet négatif sur la masse osseuse maximale, car ils modifient l’acidité du corps et augmentent la dégradation osseuse.

«La minéralisation osseuse est plus faible chez les végans que chez les personnes consommant des produits d’origine animale.»

Les jeunes consomment-ils aujourd’hui suffisamment de calcium?

Les os ont besoin de calcium, de phosphore, de protéines et de vitamine D. Les produits laitiers tels que le lait, les fromages et le yaourt sont les principales sources de calcium et de protéines. Cela ne vous étonnera donc pas que je ne sois pas particulièrement fan de la tendance au véganisme, de plus en plus courante, surtout chez les jeunes. Des études montrent que la minéralisation osseuse est plus faible chez les végans que chez les personnes consommant des produits d’origine animale. Si les végans raisonnables adoptent un régime bien équilibré, complété par des suppléments, certains jeunes sont plus imprudents et éliminent les produits laitiers ou les aliments d’origine animale de leur alimentation, sans aucune alternative. Un latte à base de lait d’avoine ou d’amande n’est pas un substitut aux produits laitiers, et c’est vraiment catastrophique pour les os des jeunes.

Les laits végétaux sont pourtant devenus incontournables dans les cafés branchés.

Bien sûr, consommer occasionnellement du lait végétal dans son café, c’est très bien. Mais le lait d’avoine consiste principalement en de l’eau, complétée par des sucres, des épaississants et des stabilisants pour en améliorer le goût, la conservation et la texture. Par ailleurs, les protéines végétales sont moins bien assimilées que les protéines animales. Je ne comprends pas non plus cette étrange mode des produits «enrichis en protéines». Le yaourt grec, le fromage blanc et les fromages contiennent davantage de protéines que toutes ces barres et boissons protéinées bourrées de sucres, d’arômes artificiels et d’édulcorants. C’est du pur marketing. Un petit nombre de multinationales domine le marché alimentaire mondial et étouffe les agriculteurs locaux avec ces gigantesques machines publicitaires.

«Le chasseur-cueilleur ne buvait pas de lait, ne mangeait pas de fromage, mais ne souffrait pas d’ostéoporose», vous diront les adeptes de la rhétorique antilaitière.

Les chasseurs-cueilleurs ne vivaient pas très vieux. Ils ne passaient pas non plus leurs journées assis devant un écran d’ordinateur. Il ne mangeaient pas non plus de blanc de poulet industriel sorti d’une barquette en plastique, mais des aliments purs comme des noix, de la viande, du poisson, des légumes et des fruits.

Et que répondre aux personnes souffrent d’intolérance au lactose. Est-ce un problème?

Près de 15% de la population d’Europe du nord est intolérante au lactose. Les produits laitiers fermentés tels que les fromages affinés, le kéfir et le skyr contiennent moins de lactose et sont généralement mieux tolérés. Néanmoins, pour les personnes plus lourdement intolérantes, il est plus intéressant de prendre un supplément de calcium et un supplément de vitamine D, pour assurer une meilleure absorption du calcium.

Peut-on encore faire quelque chose après 30 ans pour s’assurer des os solides?

Les adultes ne peuvent plus augmenter leur masse osseuse maximale, mais ils peuvent en maintenir au mieux la solidité et la qualité en consommant suffisamment de calcium. Et davantage par une alimentation saine et variée que par des suppléments. Deuxièmement, l’activité physique est essentielle pour préserver la solidité osseuse. En cas de charge insuffisante, l’os libère son calcium dans l’organisme et devient fragile et cassant. L’exemple le plus parlant est celui des astronautes: ils développent beaucoup plus rapidement de l’ostéoporose que nous, parce que leurs os ne sont pas soumis à la gravité pendant de longues périodes.

Mieux vaut prévenir que guérir, mais que faire lorsque l’on souffre déjà d’ostéoporose?

Les médicaments peuvent améliorer la situation, mais ils ont souvent des effets secondaires ou comportent des risques. Ils ne peuvent donc pas être pris trop longtemps. Le meilleur traitement consiste en une combinaison de médicaments et d’un mode de vie sain. Une alimentation variée, la juste dose de soleil et d’exercice, ne pas fumer et limiter la consommation d’alcool sont essentiels. Mais guérir complètement l’ostéoporose est difficile.

Quel type d’exercice est le plus efficace?

Le fitness et le renforcement musculaire stimulent le corps à produire du nouveau tissu osseux. Mais si votre abonnement à la salle reste dans le tiroir après un mois, je préfère que vous alliez marcher, danser ou faire du vélo, même si ce dernier est moins efficace pour renforcer les os. Le squelette a besoin de chocs pour devenir plus fort. Mais si toutes les personnes âgées se mettaient à faire du football ou du basket pour prévenir l’ostéoporose, ma salle d’attente serait bientôt remplie de cas d’arthrose de la cheville et du genou, ce qui n’est évidemment pas souhaitable.

«Les changements météorologiques se ressentent dans les os. Les personnes qui ont eu une fracture peuvent sentir que le temps va changer.»

Quelles sont les différences entre l’arthrose et l’ostéoporose?

L’arthrose est une usure des articulations causée par la baisse de qualité du cartilage, ce qui entraîne des inflammations et des raideurs. Elle est en partie déterminée génétiquement, mais le surpoids et une alimentation inadaptée jouent également un rôle. Comparée à l’ostéoporose, elle est un peu plus difficile à prévenir. Là aussi, continuer à bouger est essentiel. Le vélo et la natation sont d’excellentes formes d’exercice pour les patients souffrant d’arthrose. Une thérapie par l’exercice, ciblée, éventuellement avec l’aide d’un kinésithérapeute, permet en outre de développer suffisamment de muscles qui servent d’amortisseurs pour les articulations. Le tai-chi présente l’avantage de renforcer les os et les muscles, mais aussi d’améliorer la coordination et la stabilité, réduisant ainsi le risque de chute. Ce qui aide également à prévenir les fractures liées à l’ostéoporose.

Les personnes souffrant d’arthrose se tournent souvent vers des compléments alimentaires comme le curcuma, la glucosamine et la chondroïtine. Est-ce une bonne idée?

Le curcuma peut agir contre l’inflammation liée à l’arthrose. La glucosamine et la chondroïtine peuvent ralentir le processus d’usure du cartilage. Il n’existe toutefois pas de consensus général sur l’efficacité réelle de ces compléments contre l’arthrose. Ils ont peut-être un effet placebo. Si vous pouvez vous les permettre et qu’ils vous aident, continuez à les prendre. Ils ne présentent aucun risque à court terme. Maigrir est également une option pour réduire la pression exercée sur les articulations. Mais si l’articulation est usée jusqu’à l’os et que vous roulez, pour ainsi dire, «sur les jantes», la seule solution sera l’opération.

Ou déménager dans un pays chaud?

Les changements météorologiques se ressentent réellement dans les os. Les personnes ayant une fracture sentent lorsque le temps va changer. Cela est probablement lié à une variation de la pression atmosphérique. Beaucoup de mes patients souffrant de douleurs articulaires me disent également qu’ils ont moins mal lorsqu’ils passent des vacances dans un climat chaud. Mais cela peut tout aussi bien être lié à la disparition du stress quotidien ou au soleil, qui améliore l’humeur. Ce n’est pas comme si l’arthrose n’existait pas en Espagne, par exemple.

Des scientifiques chinois ont développé une colle osseuse qui répare les fractures en trois minutes, sans vis ni plaques. Pourrez-vous bientôt prendre davantage de vacances?

Une telle colle osseuse pourrait en effet être très prometteuse. Mais je ne m’en fais pas trop: il faudra toujours quelqu’un pour remettre ces os et articulations dans la bonne position. J’ai encore du travail pour un bon moment.

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