Le ministre fédéral de la Santé continue sa traque aux excès de consommation de médicaments. Dans le cadre de son budget 2026 et en suivant sa feuille de route balisée par les économies, le ministre vise les antiacides. La digestion des gourmandises de Noël risque d’être plus compliquée ces prochaines années.
«Depuis des années, la Belgique fait partie des pays où la consommation d’antiacides est la plus élevée en Europe: au moins un Belge sur cinq en prend. Seuls l’Espagne, l’Italie et les Pays-Bas nous devancent. Entre 2004 et 2017, leur consommation a triplé et elle continue d’augmenter d’année en année. Plus inquiétant encore, de nombreuses personnes utilisent des antiacides (NDLR: IPP, inhibiteurs de pompe à protons) beaucoup plus longtemps que recommandé, ce qui comporte des risques pour la santé», explique Frank Vandenbroucke, ministre fédéral de la Santé (Vooruit), pour défendre sa mesure d’économies sur les antiacides.
Eliott, un jeune homme de 29 ans, est frontalement concerné par cette mesure. Il est sujet à de fortes remontées gastriques depuis la fin de son adolescence. Chaque mois, il consomme environ deux plaquettes de ces IPP. «Mon médecin m’a déjà conseillé de diminuer ma consommation. Voire de trouver des alternatives, parce que ça risque de devenir impayable à la fréquence où j’en consomme.» Ses troubles gastriques engendrent maux de ventre, reflux gastriques gênants, difficultés à s’endormir, stress. «Surtout, cela impacte ma vie sociale. Parfois, je ne participe pas à des soirées avec des amis par peur de l’effet des boissons sur mon estomac. Même une seule bière entraînera des conséquences le lendemain. Ces médicaments m’aident à mieux me sentir et gérer au quotidien. Là, je vais devoir m’adapter, ce qui ne m’enchante pas beaucoup.» Eliott comprend toutefois la volonté de réglementer ces antiacides. «C’est sûr qu’il y a des abus et je me remets souvent en question sur ma propre consommation. Toutefois, les gastro-entérologues que j’ai vus m’ont toujours proposé ces médicaments sans vraiment m’informer des alternatives.»
L’ambition du gouvernement est de réaliser 53,9 millions d’euros d’économie sur ces seuls médicaments. Cela se concrétisera à partir du 1er janvier 2026 via une augmentation du ticket modérateur, à charge du patient, de deux minimum euros (un euro pour statut BIM). Mais aussi par une diminution importante du remboursement par la mutuelle. «L’augmentation du ticket modérateur s’accompagnera d’une campagne d’information sur l’utilisation correcte des antiacides menée par les pouvoirs publics», explique Frank Vandenbroucke.
Mais attention, pas d’économie et hausse de prix quand il s’agit d’une pathologie jugée grave: «Les antiacides de la catégorie de remboursement A ne sont pas concernés, car ils sont destinés aux personnes souffrant d’affections importantes, telles que le syndrome de Barrett», rassure le ministre de la Santé.
La pathologie de l’œsophage de Barrett concerne par exemple 2% de la population adulte et se manifeste par des brûlures d’estomac intenses, des remontées acides… Son diagnostic se révèle assez compliqué car il nécessite une biopsie chez un spécialiste, avec prélèvement des muqueuses de l’œsophage et analyse au microscope. La plupart du temps, comme pour Eliott, les généralistes favorisent la prescription d’antiacides plutôt qu’un examen plus fastidieux. Les symptômes disparaissent, mais le problème subsiste, est toujours là, prêt à se réveiller en cas d’arrêt de la médication. Avec le risque de développer plus facilement un cancer de l’œsophage. Une étude de 2017 portant sur 350.000 patients révélait une surmortalité d’environ 25% pour les consommateurs réguliers d’antiacides.
«Je comprends que certaines personnes y voient un traitement de confort. Peut-être est-ce en partie vrai. Mais cela découle à la base d’un problème sérieux.»
Quel impact sur le prix?
Rien de mieux qu’un exemple concret. Eliott consomme deux marques d’antiacides, les plus populaires, soit Nexiam et Pantomed. Pour des reflux gastriques modérés, les médecins préconisent des boîtes de 20 comprimés de 20 mg d’IPP. Avant 2026, cette boîte de Nexiam coûte 11,06 euros en moyenne, avec 3,75 euros à charge du patient et donc 7,31 euros pour les mutuelles. Après 2026, le coût à charge du patient passera à neuf euros.
Actuellement, les Pantomed sont meilleur marché, elles coûtent 8,71 euros en pharmacie, soit 6,55 euros à charge des mutuelles et 2,16 euros pour le patient. Après la réforme, cela passera à sept euros.
Bref, s’il poursuit son traitement, le coût annuel d’Eliott, qui tourne autour d’une consommation de deux boîtes par mois, va donc passer d’une fourchette de 50 à 90 euros à un budget minimum de 124 à 218 euros, pour ces marques bons marchés.
Là où l’Etat prenait en charge 80% du prix avant 2026, il ne remboursera plus qu’environ 20% du total. C’est sur cette marge de 60% que Frank Vandenbroucke compte réaliser ses 53,9 millions d’économies. Economies rendues possibles par un changement de catégorie de remboursement de certains médicaments. Les antiacides passent du régime B (remboursement à 80%) au régime Cx, qui ne permet qu’un remboursement partiel de 20%.
Confort ou manque d’alternatives?
Pour justifier la hausse de la contribution financière des patients, le ministre Frank Vandenbroucke et l’Inami pointent du doigt un «problème structurel dans la consommation des antiacides.» L’Institut national d’assurance maladie explique pourquoi ils partagent la décision du socialiste flamand: «Ce n’est pas tant pour faire des économies qu’il faut restreindre la prise d’antiacides, mais pour contrôler la sécurité des patients.» L’Inami se base sur les effets secondaires, susceptibles de toucher tous les consommateurs. Selon plusieurs médecins, une prise régulière d’antiacides sur le long terme va diminuer l’absorption de calcium chez le patient, ce qui peut mener à l’ostéoporose (perte de solidité osseuse), et entraîne une plus forte probabilité de fractures. Selon les études scientifiques, il existe par ailleurs un risque accru de pneumonies et d’infections bactérielles qui ne sont plus automatiquement éliminées par l’acidité naturelle de l’estomac.
L’Inami souligne des abus fréquents de la part des patients: «Les recherches ont montré qu’une grande partie de leur usage se fait en dehors des indications normales, avec notamment l’administration de doses élevées injustifiées et la prolongation de la durée des traitements.»
Eliott s’y reconnaît. «J’essaye de ne pas en abuser mais il est compliqué d’arrêter du jour au lendemain. Mes problèmes gastriques vont simplement revenir, voire peut-être s’intensifier parce que mon corps est habitué à ces médicaments depuis plusieurs années. Je comprends que certaines personnes y voient un traitement de confort. Peut-être est-ce en partie vrai. Mais cela découle à la base d’un problème sérieux. Et pour ça, je n’ai actuellement pas d’alternative. Je n’ai pas pensé à faire une opération mais peut-être que je devrais l’envisager», conclut le jeune homme, qui n’a pas été diagnostiqué comme cas sévère.