Le froid affecte particulièrement les extrémités du corps (pieds, mains, nez), moins bien alimentées par la circulation sanguine. Certains facteurs, comme l’hypothyroïde, peuvent aggraver le phénomène. Mais un changement de coloration des doigts ou des orteils peut également être le signe de la maladie de Raynaud.
22h55. Elle se glisse innocemment dans le lit conjugal. Au prétexte d’un câlin, elle s’approche de sa cible. Puis intercale subtilement ses pieds gelés entre les chevilles de son partenaire, qui pousse un cri de surprise. «Mais comment est-ce possible d’avoir les orteils si froids?».
Au-delà de ses conséquences conjugales, le refroidissement des extrémités du corps (pieds, mains, nez, voire oreilles) n’a a priori rien d’anormal en période hivernale. Le corps humain est adaptatif et répond spontanément aux variations de température. «Par temps froid, l’organisme réagit en contractant ses vaisseaux sanguins, explique le Dr Alexandre Hublet, chirurgien vasculaire au Chirec Delta. Pour conserver la chaleur, il va privilégier la vascularisation des organes importants (NDLR: le coeur, par exemple), plutôt que les extrémités, qui vont devenir plus froides et, parfois, plus pâles.» Ce phénomène de vasoconstriction, par opposition à la vasodilatation observée par temps chaud, va donc entraîner une réduction du calibre des petits vaisseaux sanguins et limiter l’alimentation en sang de ces parties du corps.
Primaire et secondaire
Réaction physiologique naturelle, la vasoconstriction peut parfois s’avérer trop prononcée, au travers de vasospasmes excessifs. C’est notamment le cas pour les patients atteints de la maladie de Raynaud. «Le muscle autour de la petite artère (l’artériole) qui vascularise le doigt ou l’orteil va se refermer, donc il n’y aura plus du tout de sang qui y circulera, précise le Dr Alexandre Hublet. Le doigt va alors devenir blanc, livide, voire cadavérique, en raison d’une ischémie temporaire, puis cyanosé, c’est-à-dire tout bleu, car toute l’oxygène sera consommée. Enfin, à un moment donné, l’artère va se rouvrir et entraîner un afflux de sang massif, résultant en une couleur rouge.»
Ces suites de couleur blanc, bleu et rouge sont caractéristiques du phénomène de Raynaud, qui peut également entraîner des engourdissements ou, dans les cas graves, de plaies. Environ 5% de la population mondiale serait atteinte de ce trouble de la circulation sanguine. Il peut exister en tant que condition isolée (maladie de Raynaud primaire), ou résulter d’une maladie sous-jacente (on parle alors de syndrome de Raynaud secondaire). Dans le premier cas, la pathologie, plutôt bénigne, se manifeste à un âge précoce, principalement chez les femmes ou les personnes vivant dans des climats plus froids. «Les symptômes sont souvent bilatéraux (touchant les deux mains ou les deux pieds en même temps) et peuvent s’estomper et s’améliorer avec l’âge, note le chirurgien vasculaire. Le Raynaud secondaire, lui, peut être la conséquence d’un lupus ou d’une sclérodermie, par exemple, et se manifester de manière asymétrique, tant chez les hommes que chez les femmes.»
Hypothyroïdie
Outre la maladie de Raynaud, il existe d’autres troubles circulatoires susceptibles d’aggraver la sensation de froid dans les extrémités du corps. A commencer par la maladie artérielle obstructive. «Dans ce cas, les artères qui amènent le sang dans les différentes parties du corps sont encrassés par de l’athérosclérose, note le Dr Alexandre Hublet. Cela crée donc une sorte de bouchon, principalement au niveau des membres inférieurs.» Cette maladie cardiovasculaire peut être favorisée par plusieurs facteurs de risque, comme l’hypertension, le cholestérol, le diabète, l’obésité ou le tabagisme. «De manière générale, le tabac a une propension de vasospasme, et se révèle donc tout aussi mauvais pour la maladie artérielle obstructive que pour la maladie de Raynaud», insiste le chirurgien vasculaire.
Globalement, d’autres facteurs peuvent aussi aggraver le refroidissement des extrémités en période hivernale. Des pieds gelés et peinant à se réchauffer peuvent être le signe de troubles endocriniens, notamment d’hypothyroïdie. La diminution de la production d’hormones thyroïdiennes provoque en effet un ralentissement des fonctions vitales et diminue la production de chaleur corporelle, entraînant une intolérance au froid, en particulier au niveau des extrémités.
Une carence en fer (anémie) peut également être à l’origine de ces refroidissements. «L’anémie se caractérise par une une diminution des globules rouges dans le sang, résultant en un manque d’oxygène pour certains tissus du corps, rappelle le Dr Alexandre Hublet. Certes, la circulation sanguine peut être affectée par des troubles qui touchent les « tuyaux » qui transportent le sang, comme dans le cas de la maladie de Raynaud, mais si le sang lui-même n’est pas suffisamment qualitatif, c’est aussi problématique.» Dans la même veine, une carence en vitamine B12, cruciale dans le processus de fabrication des globules rouges, peut également altérer la circulation sanguine, et donc, l’afflux de sang dans les mains ou les pieds.
Repérer les changements
Bref, en cas de refroidissement anormal des extrémités du corps, une prise de sang s’impose pour vérifier tous ces paramètres. Dans le doute, mieux vaut toujours consulter un médecin. «Même si le refroidissement des pieds ou des mains peut être plus ou moins intense selon les individus, il faut être particulièrement attentif aux changements inhabituels, avertit Pierre-Louis Deudon, généraliste à Etterbeek. Si ces pieds gelés se déclarent de manière subite ou si l’on observe des changements de couleur, ce sont des signes qui doivent alerter. Tout comme les douleurs ou les crampes, surtout si elles sont asymétriques et touchent un seul pied, par exemple.»
Dans le cas de la maladie de Raynaud, les deux médecins se veulent rassurants. «Cela peut être invalidant, mais dans la majorité des cas, ce n’est pas grave, surtout pour la forme primaire, insiste le Dr Alexandre Hublet. Il faut limiter les facteurs favorisant, comme le froid en se couvrant minutieusement, ou l’alcool. Il faut également arrêter le tabac ainsi que la prise de médicaments vasoconstricteurs, et limiter les sources de stress qui peuvent également renforcer les vasospasmes. Mais généralement, une jeune femme de 20 ans qui présente ces symptômes n’a pas à s’inquiéter. Par contre, une personne âgée de 60 ans qui a un doigt tout blanc, c’est moins rassurant, car cela peut être le signe d’un Raynaud secondaire qui s’accompagne d’autres pathologies.» D’où l’importance d’identifier les autres symptômes connexes, comme les affections pulmonaires, la prise de poids ou les signes d’éruption cutanées.
Enfin, quelle que soit l’origine de ces refroidissements, l’idéal est de réchauffer l’ensemble du corps. «On a tendance à couvrir uniquement les extrémités qui sont gelées, par exemple avec des gants, observe Pierre-Louis Deudon. Mais la vasoconstriction à l’origine de ces refroidissements est un réflexe central, un signal envoyé par le cerveau en réponse à la chute des températures. Plus l’organisme sera maintenu bien au chaud, moins ses extrémités auront tendance à être froides.»