Les médecins en grève le 7 juillet: pourquoi cette action historique contre Frank Vandenbrouck et sa «médecine d'Etat» © Getty Images

Les médecins en grève: pourquoi cette action historique contre Frank Vandenbroucke et sa «médecine d’Etat»

Ce 7 juillet, une grève nationale des médecins belges marque un tournant dans les relations déjà tendues entre les syndicats médicaux et le ministre fédéral de la Santé Frank Vandenbroucke.

Alors que les syndicats médicaux annoncent une grève pour le 7 juillet, le ministre fédéral Frank Vandenbroucke (Vooruit) s’apprête à rejoindre le cercle très restreint des ministres de la Santé ayant suscité une suspension massive des soins par les médecins. L’avant-projet de loi-cadre qui met fin au conventionnement partiel et plafonne les suppléments d’honoraires cristallise la colère. Les syndicats dénoncent une attaque en règle contre la médecine libérale, quand le ministre réaffirme sa volonté de corriger les abus et garantir un accès équitable aux soins.

«Nous avons rejoint ce gouvernement parce que nous voulons réformer et investir dans les soins de santé. L’objectif est de les rendre accessibles, et combattre les inégalités, a justifié Frank Vandenbroucke lors d’une récente intervention à la Chambre. Nous devons publier une nouvelle législation pour réguler les excès dans les tarifs des médecins mais aussi pénaliser les fraudeurs, en leur retirant leur numéro Inami.»

Le dialogue semble rompu. L’Absym et le GBO, les deux principales organisations syndicales du secteur, maintiennent leur appel à une grève de 24 heures. A leurs yeux, ce projet «pénalise l’ensemble de la profession pour des comportements marginaux» et traduit «une volonté politique d’étatiser la médecine

France Dammel, porte-parole de l’Absym, en appelle à la mobilisation générale: «Nous refusons une médecine d’Etat que prône Frank Vandenbroucke. Il faut agir face aux fraudeurs, ceux qui sont complètement à côté de la norme, mais cela ne concerne qu’un ou deux pour cent des médecins. Nos revendications sont claires. Nous ne sommes pas opposés à une réforme, mais elle doit être construite, pas imposée. Le ministre doit d’abord nous transmettre les détails du plafonnement tarifaire. Ensuite, nous discuterons.»

Selon une enquête conjointe des médias Le Spécialiste et Medi-sphère menée auprès de 2.500 médecins, 86% des praticiens francophones et 74% des néerlandophones réclament le retrait pur et simple du texte et sa réécriture complète avec concertation. Les partisans de la réforme en l’état sont à peine 7% à l’échelle nationale. Plus de sept médecins sur dix estiment que le projet du ministre porte un coup fatal à l’indépendance de la médecine libérale.

Frank Vandenbroucke devient le sixième ministre de la Santé à susciter une grève et le troisième à vouloir modifier le système de conventionnement. Un terrain glissant, chargé d’histoire, qui ravive un vieux clivage entre médecine libérale et médecine d’Etat.

Sous le conventionnement, la poudrière

Pour comprendre la portée symbolique de cette nouvelle fronde, il faut revenir sur les précédentes mobilisations. Depuis 1830, la Belgique n’a connu que deux interruptions totales des soins de santé. La plus célèbre reste la «Grande grève» d’avril 1964. Dix-huit jours de blocage, 10.000 médecins qui cessent leurs consultations, ferment cabinets et cliniques, certains quittent même le pays. L’opération, surnommée «valise», marque un tournant. Les médecins s’opposaient alors à la loi Leburton, qui imposait un conventionnement obligatoire et plafonnait les honoraires. Une légère ressemblance avec les mesures actuelles… Pour les syndicats, c’était la fin de la médecine libérale. Le ministre socialiste Edmond Leburton recule finalement. Les mesures sont abandonnées.

Quinze ans plus tard, en décembre 1979, rebelote. Le ministre Luc Dhoore (CVP, ancien CD&V) s’attaque aux forfaits et envisage de plafonner les tarifs. Une nouvelle grève éclate, plus longue encore, qui s’étend jusqu’à la mi-janvier 1980. L’armée est envoyée en renfort pour assurer des permanences hospitalières. Une issue mitigée, mais les syndicats obtiennent là aussi l’abandon du plafonnement, qu’ils dénoncent comme une tentative d’étatisation des soins.

La dernière grève médicale d’envergure, en 2001, avait été évitée de justesse après des négociations de dernière minute. Les médecins dénonçaient des réformes jugées technocratiques et une perte progressive de leur autonomie. Les mêmes lignes de fracture refaisaient surface: encadrement tarifaire, rapport à l’Inami, inquiétude face à une médecine plus étatisée.

Depuis, plus aucun ministre n’avait osé rouvrir le chantier du conventionnement. Jusqu’à aujourd’hui. Voilà 45 ans que le sujet n’avait pas été frontalement remis sur la table. L’avant-projet de loi de Frank Vandenbroucke tente de franchir une ligne que ses prédécesseurs avaient contournée. A chaque fois que ce dossier refait surface, la colère monte. Avec elle, une opposition persistante sur le rôle de l’Etat dans l’organisation des soins et sur la liberté tarifaire des praticiens. Officiellement, l’Absym ne s’oppose pas à toute forme de régulation, mais fustige la méthode. Pour le syndicat, «l’autoritarisme du ministre traduit un refus du dialogue et une volonté idéologique de mettre fin à la médecine libérale au profit d’une médecine d’Etat.»

Vandenbroucke, de son côté, temporise. «La méthode a été clairement présentée dans l’accord de gouvernement. Si aucun accord n’est trouvé avec les intéressés, le gouvernement tranchera avant la fin de l’année 2026. Le nouveau mode de conventionnement et les plafonds tarifaires n’arriveront pas avant 2028. Je préfère jouer la carte de la prudence et prendre mon temps. Mais je ne comprends pas qu’on puisse s’opposer à des mesures qui prônent l’égalité des soins de santé, la fin des factures excessives sans aucun justificatif, et donc la protection du patient.»

Les conséquences d’une grève exceptionnelle

Au-delà de l’arrêt des consultations prévu le 7 juillet, les tensions se traduisent déjà dans les chiffres. Selon l’enquête menée par Le Spécialiste et Medi-Sphère, 39% des médecins sont aujourd’hui hors convention. A cela s’ajoutent 22% qui affirment qu’ils quitteront le système si la réforme passe, et 24% qui n’excluent pas de le faire. Autrement dit, plus de six praticiens sur dix pourraient se retrouver en dehors du cadre tarifaire Inami. «Un seuil critique à partir duquel les tarifs de référence perdraient leur rôle régulateur. En disant vouloir ouvrir les soins de santé, Vandenbroucke va les restreindre», dénonce l’Absym. L’Inami indiquait un taux de 86% de médecins conventionnés début 2024. Selon les syndicats, ce pourcentage, qui s’effrite à hauteur de 0,3% chaque année, risque une chute drastique si les mesures sont appliquées.

La grève elle-même comporte aussi des effets potentiels sur l’organisation des soins. Dans les cabinets et structures concernées, des consultations seront reportées ou annulées, en particulier en médecine spécialisée, mais les contours exacts de la grève, à l’heure actuelle, restent flous.

Les syndicats affirment avoir pris des dispositions pour limiter les conséquences sur les patients. «Les services d’urgence fonctionneront normalement, assure France Dammel, porte-parole de l’Absym. Si un rendez-vous est jugé médicalement indispensable, il sera maintenu. Nous avons toujours respecté notre déontologie, et cela ne changera pas.»

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