Des femmes sous traitement anti-obésité rapportent des grossesses inattendues, parfois malgré la pilule. Si la perte de poids favorise la fertilité, certains régulateurs alertent aussi sur un effet potentiel de ces médicaments sur l’efficacité des contraceptions orales. Une dizaine de cas ont été signalés en Belgique, une quarantaine au Royaume-Uni.
Depuis quelques mois, des témoignages sur l’Ozempic affluent sur les réseaux sociaux, entre remerciements et critiques. Certaines femmes font part d’une expérience inattendue: «Je suis tombée enceinte sous Ozempic.» Un groupe Facebook a vu le jour, rassemblant près d’un millier d’utilisateurs. Leurs récits interrogent. Utilisés pour traiter l’obésité et le surpoids, ces médicaments semblent produire un effet secondaire inattendu: une hausse de la fertilité.
Les agences de surveillance des médicaments confirment l’émergence de ce phénomène. Le Royaume-Uni a recensé plus de 40 signalements, dont 26 avec le Mounjaro. La Belgique en compte une dizaine. Toutes ces grossesses sont survenues alors que les patientes utilisaient une contraception orale. Pour l’agence britannique (MHRA), le lien est établi: «Nous avons reçu des témoignages de femmes ayant rapporté des grossesses inattendues. Nous pensons que le médicament pourrait réduire l’efficacité de la pilule. Nous recommandons l’usage de contraceptifs barrières, comme le préservatif.»
En Belgique, l’Agence fédérale des médicaments et des produits de santé (AFMPS) adopte une autre position. Elle affirme n’avoir «aucun élément scientifique permettant de conclure à une diminution de l’efficacité des contraceptifs oraux» chez les patientes utilisant ces traitements. L’agence ne nie pas l’effet d’une perte de poids sur la fertilité, mais refuse de désigner les médicaments eux-mêmes comme responsables directs des grossesses surprises. Pour l’AFMPS, c’est l’amaigrissement qui accroît la fertilité, pas le médicament. La MHRA, elle, considère que si le médicament provoque la perte de poids, il peut logiquement être tenu pour responsable.
«L’identification claire du responsable est primordiale pour pouvoir alerter la population», plaide Kathleen Depoorter (N-VA), qui souhaite interroger le ministre de la Santé Frank Vandenbroucke (Vooruit) en commission parlementaire. Mais la question a été reportée il y a une semaine, en raison des tensions autour de la loi-cadre sur la santé portée par le socialiste flamand, et qui a provoqué une grève des médecins le 7 juillet dernier. La députée de la N-VA s’inquiète du manque de réactivité politique: «Je souhaite savoir si Monsieur Vandenbroucke a connaissance du problème. Je sais que ce n’est pas un sujet jugé comme prioritaire vu l’agenda actuel du ministre, mais les patientes doivent être mises au courant au plus vite. Il est important de faire passer l’information aux pharmaciens via une circulaire. Même si l’impact du médicament sur la fertilité n’est pas encore scientifiquement prouvé, la relation entre l’obésité et la fertilité l’est. Il faut envisager de l’inscrire sur les notices. Le traitement contre l’obésité doit être interrompu en cas de grossesse, ce qui rend paradoxal et alertant le fait qu’il puisse en provoquer une. »
Obésité et fertilité, un lien documenté
Si le rôle des médicaments reste débattu et à prouver, l’impact du poids corporel sur la fertilité est bien documenté. Selon Nathalie Sermondade, médecin biologiste spécialisée en reproduction, «une femme obèse a trois fois plus de risques de présenter une faible fertilité qu’une femme en corpulence « saine ». La probabilité d’obtenir une grossesse naturelle décroît proportionnellement à l’augmentation de l’indice de masse corporelle (IMC).» Au-delà de 29 kg/m², le taux de grossesse spontanée diminue de 4% par point d’IMC. Chez l’homme aussi, le surpoids altère la qualité du sperme.
La perte de poids améliore aussi le fonctionnement hormonal. Chez les femmes, elle régularise les cycles et favorise l’ovulation. «Une perte de poids, même modérée, améliore la fonction ovulatoire. Plusieurs études indiquent que les traitements injectables comme l’Ozempic, en facilitant l’amaigrissement, peuvent indirectement augmenter les chances de conception», précise la biologiste.
Ces médicaments amincissants agissent en mimant une hormone intestinale, le GLP-1, qui diminue l’appétit et ralentit la digestion. Pour Nathalie Sermondade, ce ralentissement de la vidange gastrique pourrait avoir un effet secondaire: «Il peut réduire l’absorption de la pilule contraceptive. En parallèle, les effets indésirables fréquents comme les vomissements ou les diarrhées peuvent perturber l’assimilation des hormones contraceptives.»
Pas un remède miracle
Les fabricants des médicaments anti-obésité appellent à la prudence. Novo Nordisk, le laboratoire qui commercialise Ozempic et Wegovy, rappelle que «la grossesse ou l’intention de grossesse étaient des critères d’exclusion dans les essais cliniques.» Il n’existe donc pas de données suffisantes pour évaluer la sécurité de ces médicaments chez la femme enceinte. L’entreprise a lancé des études à ce sujet, mais recommande pour l’heure de ne pas utiliser le traitement pendant la grossesse.
La notice précise que le traitement doit être interrompu au moins deux mois avant toute tentative de conception. En cas de grossesse, il faut l’arrêter immédiatement. Il est aussi conseillé d’utiliser une contraception efficace pendant toute la durée du traitement. L’usage du préservatif, en complément de la pilule, est largement recommandé par les fabricants, comme par le MHRA.
Pour Pino Navarro, endocrinologue à l’institut français Bernabeu spécialisé dans la reproduction assistée, ce regain de fertilité ne doit pas être perçu comme un effet bonus: «La perte de poids améliore certes la santé reproductive, mais ces traitements n’ont jamais été conçus à cette fin. Ils ne remplacent ni un suivi médical en cas d’infertilité, ni un projet de grossesse encadré. L’absence de données sur l’impact potentiel du médicament sur le développement fœtal impose de rester extrêmement vigilant. Il n’existe à ce jour aucune étude publiée sur les effets de ces médicaments chez l’enfant à naître.»
Interrogée sur les directives britanniques et les cas de «bébés Ozempic», l’Agence fédérale des médicaments (AFMPS) indique suivre de près les évaluations en cours au niveau européen, et s’engage à prendre des mesures une fois «toutes les clés en main et si nécessaire.»