La pose de bandelettes sous-urétrales pour traiter l’incontinence urinaire à l’effort peut entraîner de sévères complications. Les victimes déplorent le manque d’informations autour des risques encourus.
«C’est la vieillesse». «C’est l’usure naturelle». Ou pire: «C’est dans votre tête». Dix années d’errance médicale ont valu à Carine, 50 ans, pléthore de diagnostics douteux et de remarques condescendantes. Souffrant de douleurs chroniques au flanc droit (cou, dos, jambe, genoux, pied), la Presloise multiplie les visites chez les spécialistes depuis 2015. En vain. «Je vis avec des douleurs constantes, expose la mère de famille. J’ai une sorte de sciatique en permanence, qui m’empêche parfois de sortir de la voiture après un long trajet. Tous les trois mois, je dois consulter un ostéopathe pour me « décoincer ». Mais aucun médecin n’a jamais trouvé d’explications convaincantes à mes maux.»
Jusqu’à ce jour de janvier, où Carine est prise de vives douleurs dans le bas-ventre. «Ça me lançait tellement que je suis allée aux urgences, où un gastroentérologue m’a auscultée, sans rien relever d’anormal. Après de multiples examens, j’ai été reçue par un gynécologue, qui a finalement fait le lien avec ma bandelette urinaire.» Tout s’accélère alors. Carine se renseigne et réalise le calvaire vécu par de nombreuses femmes avant elle. «Quand j’ai découvert tout ça, j’ai beaucoup pleuré, se remémore la quinquagénaire. Je me suis rendue compte que tout ce que j’avais vécu était bien réel. Et que tous mes maux étaient liés à cette bandelette posée il y a dix ans.»
Comme plus d’une femme sur cinq, Carine souffrait d’incontinence urinaire à l’âge de 40 ans. «Ce n’était pas comme un robinet qui fuyait, mais j’avais tout de même quelques gouttes qui coulaient régulièrement.» Son gynécologue de l’époque lui conseille alors un «remède miraculeux»: la pose d’une bandelette placée sous l’urètre pour le soutenir et ainsi prévenir les fuites lors d’efforts tels que la toux, l’éternuement ou l’exercice. Concrètement, il existe deux types de bandelettes sous-urétrales: les TVT et les TOT, caractérisées par deux techniques de pose différentes. Dans le cas des TVT (tension-free vaginal tape), la prothèse est placée grâce à des incisions réalisées dans «l’espace rétropubien», précise le Pr François Hervé, urologue spécialisé en incontinence, périnée et neuro-urologie à l’UZ Gent. Dans la technique TOT (trans-obturator tape), la prothèse passe par des incisions latérales dans le foramen obturateur, le pli situé entre la cuisse et la vulve.
Douleurs temporaires ou chroniques
La prothèse, souvent en polypropylène, est posée au cours d’une intervention chirurgicale d’une vingtaine de minutes. Si la majorité des opérations se déroule sans encombre, une mauvaise exécution du geste chirurgical peut entraîner des complications post-opératoires, qu’elles soient temporaires ou chroniques.
A commencer par des douleurs pelviennes, notamment si le nerf pudendal est touché. «Une pudendalgie se caractérise par des douleurs aussi intenses qu’une rage de dents, illustre Sophie Jongen, kinésithérapeute spécialisée en pelvi-périnéologie et fondatrice de la Maison du Périnée. C’est comme si, à chaque fois que vous vous mettiez debout ou que vous vous asseyiez, on vous enfonçait une grosse aiguille dans le périnée. C’est extrêmement invalidant.» Des douleurs musculo-squelettiques peuvent également se manifester. «De nombreux nerfs passent au niveau du foramen obturateur, pouvant provoquer des douleurs irradiant dans toute la jambe, expose François Hervé. Ces maux sont rarement bilatéraux. Généralement, ils ne concernent qu’un côté du corps.»
En chiffres
En Belgique, la pose de bandelettes sous-urétrales (TVT ou TOT) pour incontinence urinaire à l’effort est remboursée par l’Inami. Le nombre d’interventions fluctue globalement entre 5.000 et 9.000 par an.
De 6.559 en 2015, le nombre d’implants annuels est passé à 5.462 en 2019, révèlent les données communiquées par l’Inami. Après un creux important au cours de la pandémie (à peine 3.500 poses en 2020 et 2021), les bandelettes connaissent un regain de succès depuis 2022.
En 2024, l’Inami en a recensé un nombre record de 9.386. Une augmentation que le Pr. François Hervé attribue à la libération de la parole autour des fuites urinaires. «Le tabou se lève. C’est positif!»
Des douleurs pendant les rapports sexuels (dyspareunie) sont également possibles. «C’est assez fréquent, et pourtant souvent minimisé par le corps médical, s’insurge Sophie Jongen. Comme les femmes à qui on pose les bandelettes ne sont plus toujours dans la fleur de l’âge, certains chirurgiens sous-estiment l’impact de ces complications. Comme si la vie sexuelle d’une femme s’arrêtait à 50 ou 60 ans…»
Une prise en charge progressive
Des difficultés à uriner peuvent également se manifester si la bandelette est mal placée. C’est ce qu’a vécu Sophie* (lire plus bas) après son opération, en juillet 2011. «Cinq jours après la pose, je me suis retrouvée aux urgences, car j’avais une rétention urinaire totale, raconte la quinquagénaire. Je ne pouvais tout simplement plus aller aux toilettes, donc on m’a sondée pour pouvoir évacuer l’urine. Sans autre solution, je me suis retrouvée avec une poche à demeure, obligée de m’auto-sonder pendant des semaines. Ça a été un épisode extrêmement traumatisant.»
Une forme de rejet peut également s’observer dans une minorité des cas. «La bandelette, c’est un matériel prothétique, donc un corps étranger à l’organisme, rappelle François Hervé. Certaines patientes peuvent donc le rejeter vers l’extérieur, ce qui peut provoquer une érosion du vagin ou du canal urinaire.»
Mais l’urologue insiste: ces complications restent rares. Depuis leur existence (1997, en Belgique), les bandelettes urinaires «ont aidé des milliers de femmes» souffrant d’incontinence. Le problème, c’est qu’elles sont souvent prescrites trop rapidement. Or, une prise en charge multidisciplinaire et progressive est indispensable. «Les femmes qui souffrent d’incontinence ne vont jamais en mourir, insiste François Hervé. Il ne faut pas sauter sur les patientes avec un bistouri et les opérer à tout prix. L’essentiel, c’est une prise en charge adaptée à leur degré d’inconfort.»
En cas d’incontinence légère, des séances de kiné du périnée suffisent généralement. «C’est le premier réflexe à avoir, insiste Sophie Jongen. Ce n’est que si on voit que ça ne fonctionne vraiment pas, par exemple si la patiente souffre d’une ouverture du col vésical et d’un relâchement du sphincter interne de l’urètre, qu’il faudra passer à l’étape supérieure.» Pourtant, la pose de TVT ou TOT est parfois la première solution proposée –ou imposée– par le corps médical, déplore la fondatrice de la Maison du Périnée.
Interpellation politique
En outre, les patientes ne sont pas toujours informées des risques encourus. «Jamais on ne m’a mise en garde contre des effets secondaires potentiels, déplore Carine. Or, toute intervention est censée requérir le consentement libre et éclairé du patient. Si on m’avait expliqué tous les risques, je serais restée avec mes fuites.» Carine n’a pas non plus été informée du caractère irréversible de la pose. Or, après son placement, la bandelette urinaire «se fige progressivement dans les tissus», rappelle François Hervé, rendant son retrait particulièrement complexe… voire impossible sans altérer les organes avoisinants.
Heureusement, la nouvelle génération de médecins semble de plus en plus conscientisée à la problématique. «Les mentalités commencent à évoluer, reconnaît Sophie Jongen. Il ne faut pas mettre tous les spécialistes dans le même sac. Tous n’opèrent pas à tour de bras. Certains soignants sont plus précautionneux et informent systématiquement leurs patientes des risques encourus.» Globalement, la parole commence aussi à se libérer parmi les victimes de complications. En France, 136 femmes ont porté plainte contre X pour faire reconnaître leurs souffrances. Ailleurs, la mobilisation a permis un encadrement strict de la pratique, comme aux Etats-Unis, voire son interdiction totale, comme en Ecosse.
A l’échelle nationale, le collectif Bandelettes Belgique plaide pour la reconnaissance officielle du préjudice lié à ces prothèses. Le groupement exige le suivi médical à long terme des femmes implantées, une prise en charge intégrale des soins liés aux complications, ainsi qu’une imprescriptibilité des actions civiles ou pénales en justice en lien avec la pose de ce matériel. Le collectif a également été reçu par le cabinet du ministre wallon de la Santé, Yves Copietters (Les Engagés), qui a «proposé d’en discuter à l’occasion d’un prochain échange avec le cabinet du ministre Frank Vandenbroucke (Vooruit)». Le socialiste flamand, en charge de la Santé au niveau fédéral, n’a pas donné suite à nos sollicitations.
«C’était tellement pénible que je n’étais plus capable d’imaginer vivre»
De la «poudre aux yeux». C’est ainsi que Sophie, 51 ans, qualifie l’opération que son gynécologue lui a vendue en 2012. Après avoir donné naissance à ses trois enfants, la professeure en logopédie souffrait d’une légère incontinence à l’effort. «J’avais de très faibles fuites, par exemple quand j’éternuais ou quand j’avais un fou rire.»
Son spécialiste lui conseille alors d’envisager la pose d’une bandelette urinaire. «Je me suis laissée convaincre. Je ne jurais que par lui, car il avait accouché mes trois enfants.» Le chirurgien attitré la rassure également: «C’est une petite intervention banale, qui ne durera que quinze minutes.»
Mais «l’opération de confort» vire rapidement au cauchemar. Cinq jours plus tard, en pleines vacances, Sophie se voit obligée de courir aux urgences. «J’avais une rétention urinaire totale. Je ne pouvais tout simplement plus aller aux toilettes, donc on m’a sondée pour pouvoir évacuer l’urine. Sans autre solution, je me suis retrouvée avec une poche à demeure, obligée de m’auto-sonder pendant des semaines. Ça a été un épisode extrêmement traumatisant.»
Les séquelles urinaires s’estompent peu à peu, sans jamais totalement disparaître. Mais, profondément marquée psychologiquement, la jeune maman préfère les refouler. Et prétendre que tout est rentré dans l’ordre.
Trois ans plus tard, après une pratique intensive de la course à pied, Sophie commence à enchaîner les blessures. Des tendinites à répétition, d’abord au genou, puis à la hanche, l’obligent finalement à arrêter toute activité sportive. Les dizaines de professionnels consultés (médecin du sport, acupuncteur, ostéopathe, kiné, podologue, rhumatologue ou même algologue, spécialisé dans la prise en charge de la douleur) peinent à percer le mystère de ses maux. «J’ai même changé toute ma literie et acheté une voiture automatique pour limiter les mouvements de ma jambe gauche, tant les douleurs persistaient.»
L’errance médicale de Sophie se poursuit durant huit ans, avec des symptômes de plus en plus nombreux et intenses, partout dans le corps. «Au niveau vaginal, je ressentais parfois des douleurs terribles et subites. C’était d’une violence inouïe, comme une décharge électrique ou des coups de poignard.» Sa vie sexuelle s’en voit également complètement altérée. «Envisager une pénétration, quelle qu’elle soit, était devenu totalement inenvisageable.»
Puis, en 2024, la lecture d’un témoignage similaire dans un magazine sportif fait l’effet d’un électrochoc. «J’avais l’impression de lire mon histoire. Ca a été une révélation.» Sophie commence à se renseigner. «Je prends contact avec un groupe de victimes, je demande mon dossier médical à l’hôpital, je prends un rendez-vous chez une urologue. Elle me confirme le lien entre les douleurs et la bandelette, et tout s’accélère brutalement.»
La mère de famille s’informe sur les traitements potentiels. Elle entend parler d’un retrait aux Etats-Unis, sans vraiment y croire. Peu convaincue par les solutions proposées en Belgique, Sophie songe à traverser l’Atlantique, malgré le coût qu’implique l’intervention: entre 20.000 et 25.000 euros. Elle pèse le pour et le contre avec son mari. «Je lui ai dit: si quelqu’un me disait « dans deux ou trois ans, tu vas avoir un accident de voiture et tu ne seras plus là », je pourrais encore tenir avec de telles douleurs. Mais au-delà, non. C’était devenu invivable. C’était tellement pénible que je n’étais plus capable d’imaginer vivre.»
Début février, Sophie saute finalement le pas. L’opération de retrait, bien que complexe en raison d’une bandelette initialement très mal posée, se solde par une réussite. Les séquelles sont lourdes, mais la mère de famille s’en remet peu à peu. «Je dois encore beaucoup récupérer, mais les douleurs se sont largement estompées. Et surtout, je peux enfin uriner normalement. J’en ai pleuré la première fois. Dès que je vais aux toilettes, je souris. Personne ne peut imaginer cet enfer tant qu’il ne l’a pas vécu.»