Inhalateurs
Dans la série Alice in Borderlands de Netflix, le personnage de Kuina utilise un inhalateur sans fumée pour lutter contre ses envies de tabac. © Netflix

Le pipeau des inhalateurs sans fumée: «Dire que fumer est “cool” est un argument ancien de l’industrie du tabac»

Alors que les gouvernements prennent des mesures pour faire reculer le tabagisme, des entrepreneurs surfent sur la vague des solutions pour arrêter de fumer. L’une d’elles (re)commence à émerger sur Internet: les inhalateurs sans fumée et sans nicotine. Gare aux fausses promesses.

Plus de 9.000 Belges décèdent chaque année des conséquences du tabagisme, selon Sciensano. «Cela équivaut à un décès toutes les heures», souligne l’Institut national de santé publique. Bonne nouvelle: la consommation de tabac en Belgique diminue. En revanche, selon l’Enquête de Santé 2023-2024, celle des cigarettes électroniques augmente. Et si la solution était ailleurs?

Ces temps-ci, une publicité pour Pipo, un inhalateur sans fumée et sans nicotine dont la promesse est d’aider les fumeurs à arrêter, s’intercale entre deux stories Instagram. Long et fin, ce produit fait penser aux puffs, ces cigarettes électroniques jetables interdites à la vente en Belgique depuis le 1er janvier 2025.

Jacques Dumont, tabacologue à l’hôpital Erasme, n’avait jamais entendu parler de ce produit présenté comme une solution antitabagique, mais qui lui rappelle l’«Inhaler», proposé par la marque Nicorette et contenant, lui, de la nicotine. Le spécialiste émet certains doutes quant à l’efficacité de cet inhalateur sans fumée pour arrêter de fumer. «Pour une personne dépendante à la nicotine, ce type de produit ne sera d’aucune utilité puisqu’il n’en contient pas, souligne-t-il. Pour les autres, il pourrait aider. Toutefois, l’utilisateur va conserver le geste de porter un objet à sa bouche, et c’est là tout le problème. Il en va de même avec Nicorette ou avec la cigarette électronique.»

Les inhalateurs, sains et naturels… vraiment?

Sur son site, Pipo présente sa solution sans fumée et sans nicotine comme un moyen sain d’arrêter de fumer. Contrairement à une cigarette électronique, il n’y a pas de combustion, le risque d’irritation des voies respiratoires est donc moindre. Mais pas nul pour autant.

Selon la marque, les «Souffles» (des cartouches aromatisées à placer dans l’inhalateur) seraient composés d’ingrédients végétaux naturels. Or, le site n’indique nulle part la liste des ingrédients. Hormis des huiles essentielles, le contenu de ces recharges en polyester reste obscur. Dans ses FAQ, Pipo avance que «les Souffles ont fait l’objet de tests toxicologiques indépendants», sans rendre les résultats publics. Contacté, le responsable de la marque en France explique que ces tests «concernent la conformité des matériaux et la sécurité alimentaire des arômes utilisés». Sans étayer sa réponse de documents.

«Dire que fumer est « cool » est un argument ancien de l’industrie du tabac. ll n’est pas normal qu’une marque, en 2025, l’utilise encore.»

«Affirmer qu’un produit est sans danger, voire sain, sans présenter de références toxicologiques, n’a pas de valeur, insiste Jacques Dumont. Les tabacologues préfèrent toujours se référer à des publications scientifiques qui ont montré les preuves de l’efficacité d’une solution antitabagique. Ce n’est absolument pas le cas ici.» En 2022, une étude américaine publiée dans National Library of Medicine soulignait déjà le problème potentiel que pouvaient représenter ces inhalateurs du fait de l’absence d’études toxicologiques et cliniques.

Sur son site et sur les réseaux sociaux, la marque Pipo use de mots tels que: «cool», «attitude», «style», «bijou»…

Fumer, ce n’est pas «cool»

Cette même étude mettait également en exergue les arguments marketing des marques proposant ce type de produits, celles-ci jouant systématiquement, comme évoqué plus haut, sur l’aspect sain et naturel. Pipo avance également des arguments de «style». Que ce soit sur son site ou sur ses réseaux sociaux, la marque utilise des mots tels que «cool», «attitude», «bijou»… «C’est un argument ancien de l’industrie du tabac, commente le tabacologue. Il n’est pas normal qu’une marque l’utilise encore en 2025. Il faut au contraire dénormaliser le fait de fumer. Ils sont complètement à côté de la plaque.»

La marque, elle, se défend de glamouriser la cigarette. Son but, souligne le responsable, est «d’accompagner celles et ceux qui veulent arrêter sans perdre complètement le geste ou la symbolique sociale. Beaucoup de personnes nous disent que le geste est ce qui leur manque le plus».

Pour arrêter de fumer, Jacques Dumont conseille d’utiliser des méthodes éprouvées scientifiquement, et surtout, prescrites par un spécialiste. «Par exemple des patchs à la nicotine combinés à des substituts oraux, comme la cigarette électronique, même si celle-ci présente des risques de rechute. Ou encore le médicament Champix, énumère le tabacologue. Pour les personnes dépendantes à la nicotine, on peut aussi proposer une approche cognitivo-comportementale

Les pipeaux derrière le Pipo

La marque Pipo semble très récente. Selon le responsable français, elle aurait été créée en 2024. Selon les informations trouvées dans les très succinctes mentions légales du site et les données de l’Institut National de la Propriété Industrielle (INPI, l’équivalent de la Banque-Carrefour des Entreprises en Belgique), la société française aurait vu le jour entre mars et juillet 2025. Elle est, en outre, une copie d’un site allemand du même nom.

«Si une offre vous paraît trop belle pour être vraie, c’est souvent qu’elle ne l’est pas.»

Du design de l’inhalateur jusqu’aux pochettes et aux recharges elles-mêmes, les produits proposés par Pipo ressemblent comme deux gouttes d’eau à d’autres inhalateurs vendus sur d’autres sites français, italiens, suisses, américains… Un indice de dropshipping, ce modèle commercial en ligne où le vendeur n’est pas celui qui gère les stocks?

Sur le site Trustpilot, un acheteur affirme avoir été livré directement depuis la Chine. Par ailleurs, une recherche d’image inversée permet de trouver facilement des inhalateurs en tous points identiques sur des sites comme Aliexpress, Temu ou Alibaba. La différence? Le prix. De 87 centimes à moins d’une dizaine d’euros… contre 49,99 euros en promotion pour Pipo.

Le responsable ne nie pas avoir recours au dropshipping. «Ce n’est pas une faiblesse. C’est une méthode de distribution comme une autre, qui comporte d’ailleurs de vrais défis.» Le SPF Economie est moins élogieux. La méthode est légale, mais le consommateur peut avoir le sentiment de s’être fait berner. «Les dropshippers peuvent donner l’impression sur leur webshop que vous ferez une bonne affaire, prévient le Service public fédéral. Certains tentent d’attirer les consommateurs via les réseaux sociaux avec des offres promotionnelles qui se révèlent ensuite fausses. En outre, des prix anormalement bas pour des produits de marque peuvent être le signe d’une contrefaçon.»

«Si une offre vous paraît trop belle pour être vraie, c’est souvent qu’elle ne l’est pas», prévient le SPF Economise, précisant que les produits issus du dropshipping peuvent se révéler dangereux. Un consommateur averti en vaut deux…

Deux inhalateurs a priori identiques vendus sur le site Aliexpress à 0,87 ou 7,15 euros.

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