Vendu comme la solution miracle pour brûler les graisses, très populaire sur les réseaux sociaux, le régime keto cache un cocktail de restrictions drastiques, de déséquilibres nutritionnels… et de produits hors de prix. Entre marketing agressif et pseudo-expertise, ce phénomène alimentaire inquiète les spécialistes de la santé.
A chaque nouvelle mode alimentaire, son lot de promesses, de produits miracles… et de dangers potentiels. Le régime cétogène, ou «keto», ne déroge pas à la règle. Très populaire sur les réseaux sociaux, il conseille de réduire drastiquement les apports en glucides (riz, pâtes, pain…) pour les remplacer par des lipides, des graisses (avocats, noix, saumon…). Ce changement de carburant entraîne une perte de poids rapide, souvent spectaculaire dans les premières semaines. Privé de ses réserves de sucre, l’organisme va puiser dans les graisses pour produire de l’énergie sous forme de corps cétoniques, d’où l’appellation «cétogène.» Cette réaction biochimique appelée cétose induit une baisse du taux d’insuline et une diminution des stocks de glycogène, ce qui fait fondre à la fois l’eau stockée et une partie des tissus graisseux. Le corps «s’adapte» en mode survie, mais au prix d’un déséquilibre global. La perte de poids est donc en partie liée à la déshydratation et à la fonte musculaire, et non pas uniquement à une élimination durable des graisses.
Mais derrière l’image séduisante de ce régime, dont le hashtag est l’un des plus populaires sur les réseaux sociaux dans sa catégorie, les professionnels de la santé alertent sur les effets secondaires. Déséquilibres nutritionnels, récupération commerciale abusive… Les risques sont nombreux.
«Le meilleur régime, c’est d’avoir une alimentation équilibrée, soucieuse et consciente. Tous les diététiciens sérieux sont unanimes là-dessus. Il n’y a pas de régime miracle, pas d’alimentation parfaite, seulement des habitudes alimentaires plus respectueuses de la santé que d’autres», rappelle Nathalie Delzenne, professeure en nutrition et métabolisme à l’UCLouvain et membre du Conseil supérieur de la santé. Selon elle, l’intérêt d’un régime ne réside pas dans la mode, mais dans la capacité à écouter son corps et à répondre à ses besoins de manière durable. Après tout, «on est ce qu’on mange.»
Un avis que partage Mathilde Hanuise, diététicienne-nutritionniste spécialisée dans l’accompagnement cétogène en cabinet privé: «Je reçois beaucoup de patients attirés par le keto. Mais je leur explique que ce modèle alimentaire, très contraignant, ne s’adresse pas à tout le monde et surtout pas à long terme.» Dans sa pratique, elle ne propose une phase stricte (moins de 20 grammes de glucides par jour) que dans des cas bien particuliers, comme le diabète, et pour une durée limitée de quatre à huit semaines avant de réintroduire progressivement les glucides.
Derrière l’engouement pour le régime cétogène se cache un véritable business. Huiles, pains, snacks ou compléments alimentaires labellisés «keto» sont vendus à des prix exorbitants. Pour un simple pain multigrains de 360 grammes, comptez 8,39 euros, sans oublier 6,90 euros de frais de livraison. Un croissant pauvre en glucides s’élève à trois euros, et un paquet de chips de 30 grammes au fromage épicé coûte 2,79 euros.
La «grippe cétogène»
Mais la facture ne s’arrête pas là. En réduisant drastiquement les glucides à moins de 50 grammes par jour, le corps entre dans un état dit de cétose. Presque inévitablement, les adeptes de ce régime subissent ce qu’on appelle la «grippe cétogène.» Malgré son nom révélateur d’un méfait pour la santé, c’est le graal recherché par ceux qui pratiquent le régime. «Il existe plusieurs types de régimes cétogènes, mais tous ont un point commun: provoquer un stress métabolique en réduisant drastiquement les apports en glucides», explique Nathalie Delzenne. Exit les céréales, les pâtes, le riz, les féculents et même certains fruits. Une privation lourde de conséquences, alors que les recommandations nutritionnelles préconisent que 50 à 55% de l’apport énergétique journalier provienne des glucides.
«Passer de ce taux à presque zéro est très traumatique pour le métabolisme. Le foie doit alors convertir les acides gras en corps cétoniques, des molécules de secours qui permettent au cerveau, aux muscles et aux organes de continuer à fonctionner. C’est un mécanisme d’urgence, pas une stratégie de long terme.»
Ballonnements, nausées, constipation, maux de tête, crampes, vertiges, douleurs musculaires, épuisement… Les symptômes varient selon les individus, mais sont particulièrement marqués durant les premières semaines. Les vendeurs l’ont bien compris: pour pallier les effets de la «grippe cétogène», ils proposent une quarantaine de compléments différents sous forme de poudres, gélules, cafés ou thés, pour des prix oscillant entre quinze et 50 euros la boîte.
Des applications médicales limitées
Loin d’être une nouveauté, le régime cétogène est parfois utilisé en milieu médical depuis près d’un siècle. Il a été introduit pour réduire la fréquence des crises d’épilepsie chez certains enfants résistants aux traitements classiques, sur base d’observations cliniques menées à l’époque chez des jeunes patients placés à jeun pour d’autres pathologies. Mais son efficacité reste largement débattue.
Une analyse du réseau Cochrane, une association de chercheurs indépendants, parue en 2020, n’a pas identifié de bénéfices nets et souligne au contraire plusieurs effets secondaires (diarrhées, vomissements, constipation) ainsi que la complexité de sa mise en œuvre sur la durée. Ce régime peut encore être prescrit dans des cas très ciblés, mais toujours sous étroite surveillance médicale.
Mathilde Hanuise insiste aussi sur cette prudence: «Le régime cétogène peut être utile dans certaines pathologies, mais il est totalement contre-indiqué chez les enfants en bonne santé, les femmes enceintes, les personnes en sous-poids, ou celles souffrant de troubles du comportement alimentaire.» Elle-même refuse de le conseiller dans ces cas, et se dit sceptique quant à son usage chez les sportifs, «où les études sont contradictoires et où l’énergie rapide apportée par les glucides reste essentielle.»
Dans le champ des maladies inflammatoires chroniques telles que la maladie de Crohn, la spondylarthrite ou la polyarthrite rhumatoïde, certains de ces «experts en nutrition» mettent en avant les vertus supposées anti-inflammatoires des corps cétoniques. Une hypothèse mise à mal par une étude de l’Inserm publiée en 2019, qui révèle que le corps cétonique généré par l’organisme pourrait en réalité aggraver l’inflammation.
Nutritionnistes autoproclamés, un danger pour la santé publique
Le flou autour du mot «nutritionniste» alimente une confusion largement exploitée. Nathalie Delzenne explique: «Il faut faire attention aux experts en nutrition. Ce n’est pas un titre protégé. Tout le monde peut se revendiquer nutritionniste. A l’inverse du titre de diététicien, qui lui est protégé. Si l’expert se dit uniquement nutritionniste, fuyez. Ce sont souvent des charlatans.»
Mathilde Hanuise partage cette inquiétude: «Je reçois régulièrement des appels de personnes qui veulent se reconvertir et devenir coach en nutrition. Ils suivent une formation express, puis commencent à donner des consultations. Ce n’est pas toujours bien encadré, et ça peut être dangereux.»
Une campagne de l’Union professionnelle des diététiciens francophones (UPDLF) rappelle que la seule façon de s’assurer que l’on consulte un professionnel reconnu est de vérifier son nom sur la liste officielle de l’UPDLF, ou, pour la Flandre, sur le site du VBDV. Le médecin généraliste peut également accompagner une démarche nutritionnelle, mais en aucun cas un simple «coach» sans formation officielle.